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Yannick Péchuzal, animateur Inosys Réseaux d’élevage bovins lait Auvergne-Lozère
"Dans le Massif central, les allaitantes tendent à se substituer aux laitières"

Les conversions du lait vers la viande se poursuivent, tout particulièrement dans les zones herbagères inconvertibles du Massif central. Une évolution peu favorable en termes d’emplois induits.

Yannick Péchuzal. "La conversion du lait vers la viande se traduit par une perte d’emplois induits."
© B. Griffoul
Les conversions du lait vers la viande ont contribué à mettre en place de nombreux cheptels allaitants depuis l’instauration des quotas laitiers. Comment évolue la situation dans le Massif Central ?
Yannick Péchuzal - Les reconversions du lait vers la viande se poursuivent. En particulier dans les départements où les exploitations laitières voisinent avec les exploitations allaitantes (Cantal, Puy-de-Dôme, nord Aveyron, nord Lozère…). Ce sont aussi des zones où il est de toute façon impossible de se réorienter vers les céréales. Le contexte pédoclimatique fait qu’il n’est pas possible de faire pousser autre chose que de l’herbe.

Les chiffres (voir graphique) sont très parlants. Compte tenu de la pyramide des âges et des départs en retraite, le nombre d’exploitations diminue en lait comme en viande mais le nombre de fermes « allaitantes » diminue nettement moins vite que le nombre de fermes « laitières ». Côté cheptel, les troupeaux s’agrandissent et les vaches allaitantes tendent à se substituer aux laitières dans les mêmes proportions.

Les évolutions du nombre d’exploitations et du nombre de vaches laitières et allaitantes traduisent l’impact des deux « crises du lait » de 2009 puis 2014. D’autres données plus administratives ont pu jouer comme les procédures d’échanges entre PMTVA et quotas laitiers. Dans beaucoup de départements, les offres étaient déséquilibrées (plus d’offres de lait que de PMTVA) avec peu d’échanges possibles. Cela avait contribué à figer les évolutions. Ce n’est plus vrai depuis 2015.

Quelles sont les perspectives ?
Y. P. - Quand elles choisissent de se spécialiser, les exploitations détenant un double troupeau s’orientent le plus souvent vers un système 100 % allaitant. Cette décision a souvent lieu au moment de la transmission. Quand dans un Gaec père-fils, le père arrive à l’âge de la retraite, son fils ne peut conduire seul les deux troupeaux et le recours à la main-d’œuvre salariée n’est pas toujours évident. Il fait un choix et s’oriente rarement vers le lait d’autant qu’il dispose alors souvent de suffisamment de surfaces pour effectuer cette reconversion sans avoir chercher d’hectares supplémentaires. Cette évolution est actuellement favorisée par les départs en retraite des éleveurs issus de la génération du « baby-boom ».

Le second cas de figure fréquemment rencontré est celui de l’approche de la cinquantaine chez les producteurs laitiers installés en individuel et parfois usés par l’astreinte laitière. C’est une période charnière dans la mesure où elle correspond à un âge où les prêts liés à la première vague d’investissements consécutifs à l’installation arrivent généralement à échéance. Plutôt que de réinvestir (robot de traite…) ces éleveurs s’interrogent souvent pour savoir s’ils n’auraient pas plutôt intérêt à opter pour une reconversion du lait vers la viande. Le revenu est rarement la seule raison invoquée.

Pouvez-vous préciser ?
Y. P. - Il y a deux problématiques fortes pour maintenir du lait en zone de montagne. Il y a le prix du lait et donc le revenu mais, et même peut être surtout, l’astreinte des systèmes laitiers. Il faut pouvoir trouver des alternatives pour permettre aux éleveurs de se libérer — même ponctuellement — pour prendre aisément un week-end ou quelques jours de congé sinon la conversion vers l’allaitant va s’intensifier.
Y a-t-il des différences entre zones de production ?
Y. P. - Oui et cette différence est à mon avis très liée à la proportion et à la dynamique allaitante de la zone. À titre d’exemple à Laguiole dans le nord Aveyron, la coopérative Jeune Montagne qui valorise pourtant très bien le lait de ses adhérents peine à renouveler ses producteurs qui cessent leur activité tant la dynamique allaitante dans son rayon de collecte est forte. Ce n’est donc pas qu’une question de revenu. C’est davantage l’astreinte de la traite qui joue.

En Haute-Loire, la situation est assez différente dans la mesure où ce département est beaucoup plus « laitier ». Certes, il y a des éleveurs allaitants mais ils sont moins nombreux. L’astreinte de la traite est alors probablement vécue différemment. Elle fait partie du quotidien de la quasi-totalité des éleveurs. À titre d’exemple, pour un éleveur laitier de Haute-Loire, il était probablement moins difficile d’aller traire le dimanche 15 juillet, jour de finale de coupe du monde, quand il savait que la plupart de ses voisins étaient eux aussi dans leur salle de traite. La situation était probablement différente dans le nord Aveyron où les éleveurs laitiers sont allés traire alors que la plupart de leurs voisins éleveurs allaitants regardaient le match !

Autre situation, la Franche-Comté : dans cette région, les revenus des fermes laitières sont globalement bons grâce au fromage d’appellation dont la région porte le nom. Mais comparativement au Massif central, il n’y a pas non plus la même proximité avec les éleveurs allaitants. Quand le prix du lait est attractif et quand on a peu l’occasion de discuter avec des voisins producteurs de viande bovine, on se pose forcément moins de questions. Sur une ferme herbagère bien conduite de 50 ha du Jura ou du Doubs il est possible de dégager un revenu en produisant du lait destiné à l’AOP Comté. Cela n’est plus vrai sur la même surface avec des allaitantes.

Le produit brut/hectare hors aide est donc contrasté entre un système laitier et un système allaitant ?
Y. P. - Il est effectivement très différent et penche nettement en faveur du lait (voir tableau). Remplacer un hectare consacré à l’élevage laitier par un hectare consacré à l’élevage allaitant divise grosso modo le produit brut hors aide par trois, sachant qu’il y a — à quelques euros près — le même niveau d’aide à l’hectare en lait et en viande.

De plus, si dans les mois et années à venir on assiste à un renforcement des conversions du lait vers la viande, cela aura un impact sur les disponibilités en bétail maigre et animaux finis. D’après les chiffres issus des exploitations laitières et allaitantes suivies dans le cadre du réseau d’élevage Inosys, si on remplace un hectare consacré à la production laitière par un hectare consacré à la production allaitante, on multiplie par deux la production de viande vive et qui plus est en augmentant la part de maigre. Dans un marché déjà globalement saturé, cela interroge. Cela signifie davantage de mâles à engraisser ou exporter et davantage de viande de femelles à valoriser.

L’élevage bovin c’est aussi des emplois en amont et en aval. Y a-t-il de grosses différences entre le lait et la viande ?
Y. P. - On retrouve les mêmes tendances que pour le produit brut/ha. D’après des données du GIS « élevage demain », les emplois indirects liés aux élevages laitiers sont essentiellement localisés dans l’industrie de transformation laitière, le commerce de gros et le bâtiment mais également les abattoirs. Pour une personne qui travaille dans un élevage laitier (éleveur ou salarié) il y a 1,07 personne qui travaille à côté à temps plein.

Ce chiffre est à mon avis plus élevé dans le Massif central. Les statistiques du GIS concernent des données nationales. Les laiteries du Grand Ouest dont l’activité repose principalement sur les produits de grande consommation, le lait UHT et la poudre de lait, génèrent probablement moins d’emplois comparativement au Massif central où une grosse part du lait est destinée à la transformation fromagère, que ce soit en laiterie (Cantal, Laguiole…) ou à la ferme (Saint Nectaire, Salers…).

En viande bovine, le GIS élevage demain a réalisé les mêmes calculs en les globalisant à l’ensemble du territoire français. Ils font état de 0,76 ETP pour une ETP présente sur les exploitations en soulignant qu’une part importante de ces emplois sont situés dans les entreprises d’abattage et de transformation. Dans un large Massif central où les systèmes naisseurs sont largement majoritaires et où l’engraissement ne concerne guère que les femelles, on est sans doute à moins de 0,76 ETP. Plus les exploitations sont orientées vers la production de maigre et moins il y a d’emplois indirects liés à cette production. Chaque fois que l’on remplace une production nécessitant de la main-d’œuvre en amont ou en aval pour la remplacer par une autre moins exigeante type céréales ou bétail maigre ce n’est jamais bien bon pour l’emploi.

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