Fertilisation azotée sur blé : économiser les apports d’engrais permet-il de gagner en rentabilité ?
Les engrais azotés sont chers. Les prix des céréales sont bas. Dans ce contexte, quelle stratégie adopter pour obtenir la meilleure marge possible sur son blé tendre ? Analyse de la situation et pistes d’économies sur les apports d’engrais.
Solution azotée, urée, ammonitrate : en ces temps moroses avec des cours des céréales au plus bas et des prix élevés des engrais, des études économiques s’imposent pour choisir l’engrais avec le résultat technico-économique le plus satisfaisant. Faut-il réduire les quantités d’engrais azotés pour obtenir la meilleure marge possible ?
« En ce moment, nous sommes dans le même contexte qu’en 2023 où le coût très élevé des engrais après le début de la guerre en Ukraine était retombé et les cours du blé étaient redescendus également, se remémore Cédric Lioton, conseiller en agronomie au Cerfrance 49. En nous référant à un tableau édité par Arvalis fin 2022, nous remarquons qu’il faudrait baisser la quantité d’azote de 20 à 30 unités par rapport à la dose prévisionnelle (méthode du Bilan) pour atteindre un optimum technico-économique avec un prix du blé à 160 euros la tonne et un prix de l’ammonitrate à 1,50 euro l’unité d’azote », précisait le spécialiste début novembre.
L’intérêt de réduire les apports azotés est limité
Selon Arvalis, le ratio entre prix du blé (en €/t) et le prix de l’engrais azoté (en € pour 100 kg d’azote) est un bon indicateur pour juger rapidement de l’intérêt ou non de réduire la dose d’azote. « En dessous d’un ratio de 1,2, l’optimum technico-économique (avec recherche de la meilleure marge) est plus pertinent que l’optimum technique (où l’on cherche le rendement maximum), précisait l’institut technique dans le contexte de fin 2022. Réduire la dose d’azote est envisageable dans cette situation. » C’est le cas par exemple avec un prix du blé à 160 euros la tonne et un prix de l’azote à 150 euros pour 100 unités (le ratio est alors de 1,06). Mais si le prix du blé est plutôt à 180 euros la tonne et le prix de l’azote à 1,35 euro l’unité, comme c’était le cas début novembre avec l’ammonitrate (source La Dépêche-Le petit meunier), le ratio est supérieur à 1,2 (1,33). Il apparaît donc moins pertinent de réduire l’azote.
Arvalis a mesuré l’impact sur le rendement et la teneur en protéines de la réduction d’azote. « Nous nous sommes basés sur 35 essais de 2023 à 2025, avec 40 unités retirées soit au tallage, soit à épi 1 cm, soit en fin de cycle (entre 2 nœuds et gonflement) ou équilibrées sur les trois dates d’apports. Dans tous les cas, il y a un impact significatif sur le rendement, en moyenne de 4 quintaux par hectare, souligne François Taulemesse, du service agronomie à Arvalis. Sur la teneur en protéines, on perd 0,6 point en moyenne avec une réduction au stade tallage et davantage (1,1 point) avec une réduction en fin de cycle. »
La mesure de reliquat de sortie d’hiver pour optimiser les apports
Selon l’expert, la diminution d’apport azoté est souvent moins pénalisante quand elle est réalisée à une date précoce comme au tallage (sauf dans des régions où les blés supportent mal les impasses à tallage : sur les craies de Champagne, en Alsace…) plutôt qu’à une date tardive, avec dans ce cas un moindre impact sur la teneur en protéines.
Des essais de la coopérative Noriap montrent des résultats similaires. « Selon une synthèse de 20 ans de nos essais, la baisse de 30 unités d’azote par rapport à la dose bilan a comme impact la perte de 3 quintaux par hectare en rendement et de 0,5 point en protéines en moyenne », précise Philippe Pluquet, responsable technique productions végétales de Noriap (Hauts-de-France et Seine-Maritime). Pour l’expert, il reste important d’apporter suffisamment d’azote. « C’est une nécessité pour faire de la protéine (en plus du rendement), et ceci est fondamental pour rester référencé par les acheteurs de blé sur un marché très concurrentiel. »
L’économie d’engrais reste possible « en essayant d’optimiser tout ce que l’on peut sur l’alimentation azotée du blé », encourage Philippe Pluquet. Il met en avant la mesure de reliquat de sortie d’hiver (RSH) « qui fonctionne à tous les coups. C’est bien d’en faire une analyse par précédent cultural au moins, l’idéal étant de le faire pour chaque parcelle. Même avec un coût de 40 euros par analyse, cela peut rapporter gros par rapport à des valeurs moyennes qui sont diffusées par les chambres d’agriculture ou Arvalis par secteur. » Une simple différence de 10 unités sur un RSH, grâce à une mesure locale sur une parcelle de 10 hectares, amène par exemple à réaliser une économie de 100 unités d’azote, soit 110 à 130 euros selon l’engrais utilisé. « Sans l’information précise du RSH, soit l’on met trop d’azote et il y aura un risque de verse et de maladie plus important sur la céréale, soit on n’en met pas assez et il y aura une perte de rendement et de teneur en protéines », insiste Philippe Pluquet.
La solution azotée est actuellement intéressante dans un contexte de prix bas du blé
Entre ammonitrate, urée et solution azotée, une forme d’engrais est-elle à privilégier dans le contexte économique actuel ? « Dans la grande majorité des situations en comparaison avec un usage tout ammonitrate, l’utilisation de l’urée s’avère la plus compétitive et celle de la solution azotée, la moins intéressante, rapporte Grégory Véricel, spécialiste fertilisation à Arvalis, sur la base d’une étude réalisée en 2019. Mais avec un prix de céréale à 160 euros la tonne et un prix de l’unité d’azote compris entre 1,04 euro (solution azotée) et 1,35 euro (ammonitrate) qui correspond à la situation actuelle, l’utilisation de solution azotée se montre presque aussi rentable que celle de l’ammonitrate et l’urée reste toujours en tête (gain moyen de 29 €/ha de marge brute calculé à l’époque). » Plus largement, l’utilisation de solution azotée est presque toujours moins rentable que celle de l’ammonitrate sauf lorsque, simultanément, le prix de vente du blé est faible et le prix d’achat des engrais est médian à élevé.
Techniquement parlant, l’ammonitrate est l’engrais azoté le plus efficace pour l’alimentation de la céréale. Les engrais uréiques et la solution azotée sont sujets à des pertes d’azote par volatilisation (jusqu’à 20 %), d’autant plus si les conditions d’application ne sont pas optimales avec par exemple du vent, un sol sec… Leur impact environnemental doit être pris en compte. Ces engrais peuvent être additionnés d’inhibiteurs d’uréase (ou avec un enrobage dans le cas de l’urée) pour en diminuer la sensibilité à la volatilisation mais cela en augmente le coût.
Outre les quantités apportées, les conditions d’apport, la forme de l’engrais… l’efficacité de l’azote dans la plante passe aussi par un équilibre avec d’autres éléments nutritifs ou la qualité du sol. « Avec un pH acide inférieur à 5,5, un tiers de l’azote n’est pas disponible, cite par exemple Cédric Lioton, d’où l’intérêt du chaulage pour ces sols. La carence en certains éléments, comme le magnésium ou le soufre, interagit avec la disponibilité de l’azote. » Le conseiller met en avant l’intérêt de piloter la nutrition azotée avec des analyses de sève, permettant de mettre en lumière certaines carences. « L’apport de produits foliaires ciblés avec les oligoéléments utiles donne des résultats intéressants en essais. » Mais il faut s’assurer de la rentabilité de ces applications.
Un fractionnement des apports azotés à adapter à la région
Dans les situations au sud de la Loire, il y a souvent un manque de précipitations après la mi-mars, ce qui incite à faire des apports d’engrais avant. Pour Cédric Lioton, de Cerfrance 49, « nous pouvons moins nous permettre un fractionnement en trois ou quatre apports que dans la moitié nord de la France où il y a plus de précipitations. 80 % de l’azote sera apporté avant le stade épi 1 cm sur notre secteur. En outre, une bonne partie des blés est représentée par des variétés précoces à maturité, car nous redoutons les périodes d’échaudage de mai-juin. En conséquence, ces variétés doivent être alimentées assez vite dans leur cycle. » L’expert conseille la fourniture de 30 à 40 unités au tallage du blé et le solde à épi 1 cm tout en gardant 20 unités en fin de cycle en ajustant la quantité au potentiel du blé avec des OAD.
D’importants reliquats apportés par les légumineuses
Les mesures de RSH permettent de quantifier l’azote apporté par des effluents d’élevage, des précédents culturaux ou des cultures intermédiaires… « Le game changer, ce sont les précédents culturaux apportant d’importants reliquats azotés, exprime Philippe Pluquet, de Noriap. Nous en avons beaucoup dans notre région avec la pomme de terre et des légumineuses comme le haricot, les pois de conserve ou protéagineux, les féveroles… » L’impact des couverts d’interculture n’est pas à négliger non plus, même en antéprécédent du blé avant une culture de printemps. « Un tel couvert composé à quasiment 100 % de légumineuse, comme un trèfle implanté à l’automne, pourra apporter 120 unités d’azote à la culture de printemps qui suit comme le maïs, et encore quelques dizaines d’unités au blé qui succédera au maïs », présente Jean-Luc Lespinas, de la Cavac.