Agriculture de conservation des sols : comment lutter contre les campagnols des champs ?
Semis direct, couverts végétaux, bandes enherbées… L’agriculture de conservation des sols (ACS) offre des conditions de vie idéales au campagnol des champs. Face à ce rongeur très prolifique, les agriculteurs doivent combiner surveillance, prévention et intervention précoces pour limiter les dégâts.
Semis direct, couverts végétaux, bandes enherbées… L’agriculture de conservation des sols (ACS) offre des conditions de vie idéales au campagnol des champs. Face à ce rongeur très prolifique, les agriculteurs doivent combiner surveillance, prévention et intervention précoces pour limiter les dégâts.

Des ronds suspects de végétation dévorés dans les cultures, le coupable pourrait bien être le campagnol des champs. Petit, discret, mais très vorace, ce rongeur peut consommer 7 à 9 kg de végétaux par an. Sachant qu’un campagnol peut générer jusqu’à 100 individus du printemps à l’automne, leur présence peut impacter le rendement, indique Patrick Giraudoux, professeur émérite d’écologie à l’Université Marie et Louis Pasteur de Besançon. Ils prolifèrent quand le milieu leur est favorable : paysage ouvert, couverture végétale permanente les protégeant des prédateurs, couverts de légumineuses, cultures porte-graine, qu’ils affectionnent particulièrement, ou encore parcelles en semis direct sous couvert. C’est en agriculture de conservation des sols que les dégâts sont les plus importants, indique Geoffroy Couval, de Fredon Bourgogne Franche-Comté et référent technique campagnols à Fredon France. « Pour exemple, en 2023, sur une parcelle de soja conduite en ACS, nous avons notifié des pertes de 10 q/ha liées à des dégâts de campagnols. »
« Quand la pullulation est là, il est trop tard, énonce Patrick Giraudoux. Il faut donc observer ses parcelles. » La prévention passe par la surveillance des foyers pour agir à basse densité de population. Ils se matérialisent par des terriers de 2 à 3 cm de diamètre reliés par de petits couloirs, des traces de grignotage dans la parcelle et des fèces inférieurs à 5 millimètres. Les suivis menés par Fredon Bourgogne Franche-Comté et ses partenaires ont montré que le rongeur est présent dans les bandes enherbées, son habitat de prédilection, et qu’il fait un va-et-vient permanent avec les parcelles limitrophes.
Favoriser la prédation pour réguler les populations
Pour l’agroécologue Cécile Waligora, il faut « agir sur le milieu pour favoriser les prédateurs que sont les renards ou les rapaces ». Mettre des perchoirs, faire des bandes enherbées intra parcellaires, rouler les couverts, sont des leviers à l’échelle individuelle et collective. Mais il n’est pas aisé de contrôler l’action des prédateurs. Le programme DURBAN (gestion durable des bandes enherbées) a mesuré de 2021 à 2024 l’impact du maintien d’un couvert ras (5 fauches par an) sur les bandes, conjugué à une pose de perchoirs à rapaces sur un territoire en ACS dans le finage jurassien. Les suivis n'ont pas permis de démontrer statistiquement une présence plus importante des prédateurs, ni d’effet sur les populations de campagnols. « Cela ne remet pas en cause, pour autant, l’utilité de la prédation sur le long terme, indique Geoffroy Couval. L’expérimentation est prolongée pour quatre à cinq ans afin de tirer des conclusions robustes. »
Autre levier testé, casser le réseau des galeries superficielles des campagnols dans les parcelles. « L’expérimentation conduite de 2017 à 2021 a montré qu’un hersage avant semis, avec une herse magnum (outil à quatre rangées de dents), a un effet positif en basse densité, sans nuire pour autant à la vie du sol dont les vers de terre », explique le référent de la Fredon France. Mais s’il est prouvé que cela marche à court terme, la question se pose sur le long terme, puisque tous les mois une nouvelle génération de campagnols peut apparaître. « Nous allons multiplier les passages de herse dans les expérimentations à venir. » Toutes ces stratégies sont utilisées par des agriculteurs en ACS qui ne veulent plus retourner leurs sols et qui font plus ou moins « avec » le campagnol, quand d’autres « font le dos rond » et labourent une fois tous les cinq ans après la moisson.
Le phosphure de zinc, un produit à utiliser avec précaution
Uns stratégie plus radicale consiste à utiliser du phosphure de zinc, seule matière active autorisée aujourd’hui en France sur campagnol des champs et présente dans cinq à six spécialités commerciales. Le produit qui se présente sous forme de grain de blé enrobé, ou d’un appât à base de luzerne déshydratée, est autorisé à 2 kg par hectare et par an. Une dizaine de grains est déposée par l’agriculteur dans le terrier et le campagnol s’intoxique en les consommant. « Il faut être prudent, car le risque de toxicité primaire est très élevé. Il est mortel pour les lièvres, les granivores ou les sangliers, qui viendraient à le consommer », indique Geoffroy Couval. Il faut donc bien veiller à ne pas laisser de grains en surface. « Ces produits ont une très bonne efficacité à bas niveau de population, mais dès lors que les densités augmentent, l’efficacité chute liée au phénomène de recolonisation des terriers. »
Du fait de sa toxicité primaire et des dynamiques pluriannuelles avec des pullulations tous les cinq ans, le phosphure de zinc est peu utilisé par les agriculteurs. Beaucoup préfèrent s’en passer et réfléchissent à d’autres moyens d’action, comme collecter les menus paille, refuges à campagnols, mais là aussi, il faut trouver un juste compromis avec leur intérêt agronomique. Le piégeage est une autre méthode qui a prouvé son efficacité. Elle consiste entre autres à poser des pièges poubelles dans les bandes enherbées ou les cultures. Les prédateurs viennent dans les pièges et mangent les campagnols. « Cela fonctionne, mais c’est très consommateur de main-d’œuvre », indique l’expert Fredon France.
Un cycle de prolifération en dents de scie
Les populations de campagnols des champs sont soumises à des cycles tous les trois-quatre ans, explique l’agroécologue Cécile Waligora. « Ils alternent des phases où ils pullulent et des phases où la population s’effondre, en lien avec l’action des prédateurs, comme le renard qui consomme en moyenne 5 000 à 6 000 rongeurs par an, dont une majorité de campagnols. » Ils prolifèrent quand le paysage leur est favorable et que l’hiver est doux, puis les populations de prédateurs augmentent à leur tour et les campagnols commencent à diminuer. Les causes du déclin sont mal connues, mais il s’agirait de facteurs externes non climatiques, en particulier la prédation et les maladies (virus, bactéries, protozoaires).