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« Il faut réhumaniser notre alimentation », selon le sociologue Éric Birlouez

Avec des consommateurs de plus en plus conscientisés, les filières agroalimentaires vont devoir être plus sincères et ouvrir la boîte noire du système de production et de transformation alimentaire.

Éric Birlouez a la double casquette d’ingénieur agronome et de sociologue. Il est consultant, expert, enseignant et auteur. Après avoir commencé par la sociologie du monde agricole et rural, il a évolué vers l’histoire et la sociologie de l’alimentation. © P. Le Douarin
Éric Birlouez a la double casquette d’ingénieur agronome et de sociologue. Il est consultant, expert, enseignant et auteur. Après avoir commencé par la sociologie du monde agricole et rural, il a évolué vers l’histoire et la sociologie de l’alimentation.
© P. Le Douarin

Qu’est ce qui a changé entre le consommateur d’il y a trois-quatre ans et celui d’aujourd’hui ?

Éric Birlouez - « Les Français sont encore plus attentifs à ce qu’ils mangent. Ils deviennent plus exigeants et plus pressés (d’où le succès de la livraison rapide), mais aussi plus enclins qu’avant à changer leurs habitudes de consommation. Ils n’hésitent plus à quitter un produit ou une marque. Une part grandissante évolue vers le « manger moins mais mieux » en optant pour des produits plus qualitatifs. Néanmoins, le prix reste le premier critère de choix pour 40 % d’entre eux. Tous sont convaincus du lien entre l’alimentation et leur santé et beaucoup, surtout parmi les jeunes estiment que leur manière de manger aura un impact important sur l’état de la planète, d’où de nouveaux styles alimentaires (flexitarisme, véganisme…) pour donner du sens à leur alimentation. Enfin, l’inquiétude et la méfiance s’accroissent… Cette dernière est légitime, mais elle peut aller jusqu’à la défiance envers le fournisseur des aliments. »

Dans ce contexte, que peuvent faire les producteurs et leurs filières pour les rassurer ?

E. B - « Les agriculteurs ont une cote d’amour élevée, mais certains de nos concitoyens s’interrogent sur une agriculture jugée industrielle. Il est nécessaire de s’appuyer sur cette confiance pour répondre à leurs interrogations, comme « quelle est la composition ? », « d’où cela vient ? », « comment cela a été produit ? » Autant de questions qu’ils ne se posaient pas ou peu. Le consommateur qui avait laissé les clés du camion à l’industrie alimentaire et à la grande distribution veut reprendre le volant et décider… d’autant plus qu’il se dit que le Code de la route n’a pas toujours été respecté. La production alimentaire est devenue une boîte noire à mesure qu’elle s’industrialisait. On ne sait pas ce qui s’y passe et on a perdu le lien avec la production. Donc, cela fait peur et on imagine le pire. C’est pour cette raison que je préconise d’ouvrir les portes des entreprises. À chaque fois qu’elles le font, elles y gagnent parce que la réalité rassure. »

Le « manger local » sera-t-il une mode durable ?

E. B - « Je suis convaincu que c’est une tendance de fond qui a un potentiel de développement. Le mot « local » a surgi à partir de 2016 dans les réponses des consommateurs interrogés sur ce qu’ils associent spontanément au bien manger. Il est souvent associé au petit producteur, lui-même synonyme de tradition et de ce qui se fait de mieux. Être un petit producteur c’est top ! 82 % des consommateurs lui font confiance, avant les labels de qualité (à 67 %) et loin devant les grandes marques (37 %). Acheter local ou français, c’est aussi permettre au producteur de vivre de son métier. Mais le mot local n’est pas lié qu’à la géographie. Il y a aussi la proximité humaine. Le citadin que je suis achète son foie gras auprès d’un producteur du Périgord qu’il connaît personnellement. Acheter local est une manière de se rassurer ou d’exprimer le besoin de se reconnecter aux aliments. Désormais, on considère que manger doit répondre de plus en plus à une éthique personnelle en conformité à ses propres valeurs et règles de conduite. Manger devient un acte militant. De plus en plus de personnes veulent reprendre en main leur alimentation. C’est un moyen de ne pas consommer des OCNI : objets comestibles non identifiés. »

Quelles sont les valeurs incontournables auxquelles devra répondre l’agriculteur de demain ?

E. B – « La nouvelle éthique alimentaire qui émerge comporte cinq valeurs clés. Il y a tout d’abord l’attention croissante portée à la santé et, plus largement, au corps et au bien-être global. Vient ensuite une éthique de la nature, c’est-à-dire la nécessité de respecter l’environnement. La troisième dimension est celle de la responsabilité citoyenne (lutter contre le gaspillage alimentaire ou les émissions de GES) et de la solidarité avec les (petits) producteurs agricoles. Il y a aussi le respect de l’animal et, enfin, la valeur de « transparence » : le producteur doit montrer ce qu’il fait et répondre sincèrement aux questions que lui posent les consommateurs. Cette éthique alimentaire est plus particulièrement portée par des individus dotés d’un capital culturel élevé, qui intègrent leurs choix alimentaires dans une quête de sens globale. »

Est-il préférable de répondre à une catégorie de consommateurs ou de « ratisser large » ?

E. B - « Par rapport aux Trente Glorieuses durant lesquelles les attentes étaient peu nombreuses (un produit sain, pratique et ayant du goût), les attentes alimentaires se sont multipliées : composition, santé, fraîcheur, fait maison, service, saveur, environnement, bien-être animal, origine, lien au terroir, nouveauté mais aussi tradition, naturalité, proximité humaine, éthique de production, et prix bien entendu… Elles diffèrent d’un consommateur à l’autre et en fonction des moments chez le même consommateur. Il est donc difficile d’y répondre avec un seul produit. D’où la segmentation du marché. Un français sur cinq a abandonné le repas à la française « standard », avec la viande au cœur du repas, et affiche un style alimentaire particulier : sans gluten, bio, sans viande ou sans produits laitiers, crudivore, végan, halal… »

La France pourrait-elle basculer dans le végétarisme ?

E. B – « Les Français ne s’orientent pas massivement vers le végétarisme quoique en disent les médias. Il n’y a que 3 % de végétariens et les végans sont ultra-minoritaires (0,4 %) même s’ils bénéficient d’un accueil et d’une bienveillance médiatiques. Et souvenons-nous que les attaques anti viande ne datent pas d’hier. 97 % des Français mangent de la viande et continueront à en manger dans leur immense majorité, même si sa consommation continue à décliner. Je rappelle que ce déclin a commencé il y a 40 ans. On en mange moins mais mieux… comme le vin. Pour mémoire, ce sont les jeunes qui consomment le plus de produits carnés. »

Et le bio ?

E. B - « Nous sommes dans une société de défiance à laquelle même le Bio n’échappe pas. En dépit d’une croissance à deux chiffres, il faut noter qu’en 2018 il y a eu 4 % de consommateurs Bios quotidiens en moins, et une hausse des non consommateurs de 4 %. Les freins sont le prix (à 84 % pour les non-acheteurs) et aussi les doutes (pour 62 %). Produire sans pesticide de synthèse oui, mais est-ce une production industrielle ou familiale, est-ce vraiment éthique… ?"

Et le commerce éthique justement ?

E. B - « Malgré un lancement très récent, le lait éthique (comme, par exemple, la marque « c’est qui le patron ») dont l’objectif est d’accorder une meilleure part de la valeur à l’éleveur, occupe déjà 10 % du marché. Un certain nombre de consommateurs accepte de payer pour être solidaire des éleveurs. C’est très nouveau et encourageant pour le milieu agricole. »

« On veut savoir ce qu’on mange »

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