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Six formules de recrutement de saisonniers à la loupe

Les solutions de main-d’œuvre sont variées et divergent selon la typologie de l’exploitation. Voici un éclairage sur les différentes options existantes, et des pistes pour faire son choix.

Dans la quasi-totalité des vignobles hexagonaux, le constat est le même : il est de plus en plus difficile de trouver de la main-d’œuvre pour les travaux de la vigne et du chai. Il faut dire que la société change et que les entreprises, ainsi que leurs besoins, évoluent. « D’un côté les structures viticoles moyennes sont de plus en plus grosses, remarque Olivier Antoine-Geny, fondateur d’AOC Conseils, donc leur gestion des ressources humaines doit s’adapter. D’un autre côté, les gens sont de moins en moins disposés à réaliser des travaux pénibles ou manuels. »

Le recours à la main-d’œuvre ne se fait donc plus aujourd’hui comme il y a cinquante ans, d’autant plus que le secteur agricole dispose dorénavant d’une mauvaise image, celle de proposer des travaux ingrats et peu rémunérateurs. Dans certains cas, le consultant observe la mise en place d’une stratégie relativement inédite pour le monde agricole. À savoir que les entreprises ne gardent qu’une seule personne, bien qualifiée, pour superviser le travail qui, lui, est réalisé entièrement par des sous-traitants (notamment des entreprises de travaux agricoles).

Bien sûr, il n’y a pas de solution généralisable, chaque entreprise étant unique. La bonne formule se définit au cas par cas. Avant de se lancer dans une stratégie de ressources humaines, il faut donc étudier en premier lieu les masses de travail de l’entreprise et le budget dont elle dispose. Mais également les orientations stratégiques. « On ne partira pas sur la même solution selon si l’exploitant prévoit de s’agrandir ou bien s’il pense partir à la retraite dans deux ans », illustre Roxane Brooke, collaboratrice chez VinéaJobs. Dans le premier cas, il est pertinent d’investir dans un salarié permanent. Dans l’autre, il vaudra mieux choisir une solution plus simple et économique.

Enfin, entre en compte l’aspect humain. « On ne peut pas raisonner seulement en termes de tâches à réaliser, explique Sylvie Brasquies, gérante de Néoverticales, cabinet de conseil en ressources humaines. Définir le besoin de compétence et de savoir-faire à mobiliser pour garantir la performance de l’exploitation est aussi important. » L’arbitrage entre les différentes solutions existantes doit donc se faire à la lumière de ces éléments. Et en attendant que les robots remplacent les mains humaines, voici les options qui s’offrent à vous.

Le CDI n’a plus la côte

Pour répondre au besoin de main-d’œuvre, le personnel permanent doit être à la base de la ressource. À condition bien sûr d’avoir atteint une taille critique. Cette solution est relativement rassurante, dans le sens où l’on est sûr d’avoir la ressource sous la main.

Elle permet en outre d’avoir des salariés qui connaissent bien l’entreprise et son fonctionnement. Mais elle est de plus en plus boudée par les exploitations. D’une part car les marges diminuent et qu’il faut être de plus en plus performant, d’autre part car les problèmes sociaux augmentent (arrêts, prud’hommes…). « L’absentéisme et les conflits éventuels représentent des coûts supplémentaires auxquels on ne pense pas », concède Sylvie Brasquies.

Un autre inconvénient est la rigidité du contrat, qui entraîne un vrai engagement, et le droit du travail qui évolue pour devenir de plus en plus complexe et exigeant. D’où l’intérêt, dans certains cas, de passer par une agence de recrutement, qui peut aider à cibler les candidats idoines. « Par exemple, certaines entreprises partent sur l’idée d’un profil junior parce que cela coûte moins cher, illustre Roxane Brooke, mais ce n’est pas toujours adapté. Parfois il vaut mieux investir dans un profil expérimenté qui sera plus rentable à terme. » Car c’est là le point fort de cette option : avoir du personnel adaptable et avec du savoir-faire, qui peut potentiellement créer plus de valeur. Mais pour rester rentable, mieux vaut calculer le besoin de l’entreprise et être bien dimensionné.

Des CDD pour gérer les saisons

Embaucher un saisonnier en direct possède un bel avantage, celui de bénéficier de primes pour les travailleurs occasionnels (valables jusqu’à 119 jours par an). Mais il a également les inconvénients d’un contrat de travail classique, à savoir la gestion du personnel et la paperasse administrative. « Je n’aime pas trop la stratégie de multiplier les CDD, confie Olivier Antoine-Geny, dans le sens où cela crée de la précarité sur le plan social. »

Cela étant dit, cette situation convient à une certaine cible de la population, et c’est souvent la solution la plus économique pour l’exploitation. « Bien qu’il y ait là encore des coûts cachés, relève Sylvie Brasquies. L’accueil des équipes, la transmission des bonnes pratiques ou la supervision représentent du temps et donc de l’argent. »

Pour faciliter l’embauche de tels salariés, les pouvoirs publics ont créé en 2009 le Titre emploi simplifié agricole (Tesa), devenu Titre emploi service agricole en janvier 2018. « Ce n’est pas un contrat différent, précise Véronique Maronet, juriste en droit social à la FDSEA de la Marne. Il s’agit simplement d’un mode de déclaration, un formulaire qui regroupe toutes les démarches. » Il est utilisable pour un contrat d’une durée de moins de trois mois, et peut être employé plusieurs fois dans l’année pour un même salarié à condition de respecter un délai de carence.

Penser à contrôler les ETA

Les prestataires de services, telles que les entreprises de travaux agricoles (ETA) sont des sociétés qui possèdent leurs propres employés et interviennent pour vous. Le gros avantage de cette formule est d’avoir seulement une facture à gérer, tout le reste étant pris en charge par le prestataire.

Ces entreprises fleurissent un peu partout sur le territoire, et permettent de réaliser à peu près tous les travaux. La mission est définie pour une tâche précise, payée au forfait. C’est une solution malléable qui est particulièrement bien adaptée pour les pics d’activité, comme les travaux en vert ou les vendanges. « Et les tarifs sont souvent attractifs, car les entreprises ont réussi à s’aligner sur les prix des tâcherons », remarque Véronique Maronet. « Mais il vaut mieux s’y prendre en début de saison, car les coûts grimpent si les vignerons sont en retard et que la demande augmente », nuance Olivier Antoine-Gény.

Certaines exploitations ont fait le choix d’externaliser entièrement les travaux manuels, « ce qui est pertinent si l’on a une personne pour les suivre, poursuit le consultant, car la qualité du travail est à contrôler ». Lorsque l’on a recours régulièrement à ces entreprises, il est opportun de créer une relation de partenariat, d’une part pour fidéliser les ouvriers et d’autre part pour être sûr de ne pas rester sur le carreau.

Bien souvent, les salariés sont des travailleurs détachés originaires de divers pays européens. Il faut donc être prudent, et demander au prestataire des justificatifs pour prouver qu’il est en règle (cartes d’identité, cotisations à jour…). Car la responsabilité du viticulteur est engagée en cas de problème ou de fraude. C’est en outre à lui de veiller au respect de la législation sociale en vigueur (temps et conditions de travail). « Quand le prix proposé est anormalement bas, il y a un risque pour que l’entreprise ne soit pas en règle et donc un risque pour le viticulteur », avertit la juriste.

Opter pour l’intérim en dépannage

L’intérim est une autre solution pour externaliser les travaux. À la différence d’une ETA, l’agence d’intérim ne réalise pas une prestation mais elle met le salarié à disposition de l’entreprise. Cela permet d’éviter toute la partie chronophage des recrutements, gestion de contrat et de paie, mais il faut tout de même s’occuper du management de la personne comme si elle était en interne. Le viticulteur doit alors veiller sur le travail, mais aussi relever les heures et les envoyer à l’agence, qui établira alors la facture.

L’engagement se fait par ailleurs pour une mission qui a une durée définie. « Les prix sont plus chers, car les agences ne bénéficient pas des primes pour les travailleurs occasionnels », remarque Véronique Maronet. De fait, cette solution est très peu utilisée et l’offre n’est pas pléthorique. « Ça a un côté pratique qui peut être intéressant pour dépanner sur quelques travaux », estime Olivier Antoine-Geny. C’est vrai notamment sur des postes spécialisés, car le personnel proposé est qualifié et expérimenté. C’est une bonne solution pour remplacer, par exemple, un tractoriste absent pendant quelques semaines.

Des tâcherons qui se raréfient

« Le travail à la tâche n’est pas prévu par la loi mais par les conventions collectives », plante Véronique Maronet. Il s’agit d’un contrat de travail classique, avec les mêmes avantages et inconvénients, seul le mode de calcul de la rémunération change.

La formule peut être motivante pour le salarié, car cela lui permet de multiplier son taux horaire s’il travaille vite, « parfois jusqu’à deux ou trois fois », avance la juriste. Mais attention car dans le cas contraire, le salaire minimum horaire lui est dû. Un autre avantage est de passer en direct, et de profiter ainsi des abaissements de charge prévus pour les travailleurs occasionnels. Par ailleurs, le Tesa peut également être utilisé pour ce type de contrat.

Dans beaucoup de départements viticoles, la grille tarifaire du travail à la tâche est précisée dans la convention collective. « C’est une solution intéressante, estime Olivier Antoine-Geny. Mais qui convient surtout pour de petites quantités de travail. » L’intérim est idéal pour faire face à des pics d’activité saisonniers, mais peut aussi se transformer en CDI à la tâche, comme en Champagne. Cependant, cette formule perd beaucoup d’ampleur, car il est de plus en plus difficile de trouver des tâcherons. Lorsque l’on trouve un tâcheron (souvent par bouche-à-oreille), mieux vaut donc nouer des liens pour le fidéliser.

Les groupements d’employeur se multiplient

Le groupement d’employeurs est une structure qui réunit plusieurs entreprises, et qui leur permet d’employer une main-d’œuvre à l’année qu’elles n’auraient pas eu les moyens de recruter seules, à l’instar d’une Cuma pour le matériel. L’exemple typique est celui de trois vignerons qui auraient besoin d’un tiers-temps. Il s’agit donc d’embaucher une personne à temps complet en commun, et qui sera répartie sur les trois structures au prorata du temps.

La structure est relativement simple à monter, puisqu’il suffit de constituer une association loi 1901, ou bien une structure coopérative. « C’est comme pour une association sportive, il y a juste à déposer les statuts en préfecture, puis à prévenir la MSA et la médecine du travail, sans apport de capital », confirme Véronique Maronet. En pratique, le groupement met l’employé à disposition des viticulteurs puis envoie la facture aux exploitations. C’est une solution qui se développe de plus en plus dans la filière. « Je pense que c’est l’avenir, car c’est positif à tout point de vue », estime Olivier Antoine-Gény.

Cela permet notamment de proposer des postes stables (en CDI et à temps complet), plus attractifs. Mais c’est avant tout une solution intéressante pour répondre à un besoin de main-d’œuvre de fond, qui est peu adaptée pour répondre à un pic d’activité. D’autant que l’on ne peut pas l’arrêter du jour au lendemain, il s’agit d'un véritable engagement. Il faut savoir aussi que toutes les entreprises sont responsables solidaires, en cas de défaut de paiement de l’une d’elle, les autres doivent honorer les dettes. La formule demande par ailleurs une bonne entente et une bonne organisation. « Le mieux est de rédiger un règlement intérieur avant, et d’y inclure la répartition du temps de travail », conseille Véronique Maronet.

Le groupement peut aussi avoir un intérêt pour les domaines importants qui comportent plusieurs structures. Cela leur permet d’être couverts si le salarié doit passer de l’une à l’autre des entités.

le conseil

Se rapprocher d’un centre de formation pour dénicher son tractoriste

Beaucoup de viticulteurs peinent à recruter des tractoristes qualifiés. Il faut dire que c’est un métier très spécialisé, et qui demande des compétences particulières. Dès lors, il peut être intéressant de se rapprocher des centres de formations (notamment les CFPPA) pour dénicher les nouveaux chauffeurs dès la sortie de la promotion. Il est d’ailleurs possible de les accueillir en stage, ce qui permet d’établir un premier contact et de les mettre à l’essai. Et cerise sur le gâteau, en règle générale ces apprentis passent le certiphyto pendant la formation.

voir plus loin

Pour contrer la pénurie de main-d’œuvre qui s’accentue en viticulture, certains acteurs ont décidé de prendre les devants. C’est notamment le cas de cinq châteaux bordelais (Beaumont, Beychevelle, Lagrange, Larose Trintodon et Pichon Baron), qui se sont unis pour créer une "École de la vigne". Le but étant d’attirer de nouveaux profils dans la filière, et de mieux les intégrer. De même, la FDSEA de la Marne s’est lancée depuis huit ans dans des campagnes de communication pour revaloriser les métiers de l’agriculture, accompagnées de stages de découvertes et d’interventions dans les écoles. Une action qui commence à porter ses fruits…

Découvrez tous les articles de notre dossier Main d'oeuvre : 

"Ressources humaines: à chaque situation sa solution"

"Six formules de recrutement de saisonniers à la loupe"

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