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Retour sur quinze ans de désalcoolisation des vins

Depuis 2005, le domaine de la Colombette, dans l’Hérault, utilise un osmoseur et une colonne de distillation pour désalcooliser ses vins à 9%. Vincent et François Pugibet, les vignerons, estiment ainsi produire des vins plus fins, et surtout plus aromatiques.

Vincent et François Pugibet, vignerons au domaine de la Colombette produisent aujourd’hui quasiment exclusivement des vins à faibles teneurs en alcool, ou sans alcool. © J. Gravé
Vincent et François Pugibet, vignerons au domaine de la Colombette produisent aujourd’hui quasiment exclusivement des vins à faibles teneurs en alcool, ou sans alcool.
© J. Gravé

C’est à l’occasion de la 13e édition de Vinexpo en 2005 que le domaine de la Colombette, situé sur les hauteurs de Béziers, a présenté sa gamme de vins allégés en alcool baptisée Plume. Plume est commercialisée sous la mention vin de France, et se décline en blancs, rosés et rouges. Le degré alcoolique affiché sur l’étiquette est de 9 %, pour rester dans le cadre légal de la mention « vin » fixé par le règlement européen. « On n’est pas hygiénistes, bien au contraire. On veut simplement que les gens qui apprécient nos vins puissent se resservir sans se poser de question », expose Vincent Pugibet, le vigneron. La perte de finesse et d’élégance dans les vins à mesure que les degrés alcooliques augmentent est un second argument qui l’a poussé à s’équiper.

Lire aussi " Itinéraires techniques, quels leviers pour limiter les degrés alcooliques ? "

20 000 à 30 000 bouteilles de vins désalcoolisés produites par jour

Vincent et son père, François Pugibet, se souviennent très bien de la première fois qu’ils ont dégusté un vin désalcoolisé. « On a été frappé par sa puissance aromatique, car les arômes volatils se libèrent davantage en l’absence d’alcool. Ça correspondait à ce qu’on voulait faire » se rappellent-t-ils. À l’époque, la désalcoolisation n’est pas une technique autorisée en France(1), ce qui leur vaut plusieurs années de déboires avec la justice. Malgré cela, ils achètent un osmoseur doublé d’une colonne distillation, qui s’avère être la technique la moins onéreuse, et la moins encombrante. « Il faut compter 100000 € pour l’osmoseur et la colonne de distillation, et prévoir de changer les membranes tous les cinq ans », indique le vigneron. Ce dernier a dû obtenir un statut de distillateur afin de pouvoir revendre l’alcool pur en industrie spécialisée. « Actuellement j’ai deux osmoseurs opérationnels. En organisant les équipes en 2 x 8 h, je peux désalcooliser 20000 à 30000 bouteilles à 9% par jour », indique Vincent Pugibet.

Limiter la charge phénolique des vins rouges en cours de fermentation alcoolique

Vincent Pugibet admet que les vins rouges désalcoolisés sont plus difficiles à faire que les blancs, les rosés et les effervescents. « Pour retrouver la même sensation de rondeur que sur les blancs et les rosés, je pense qu’il faudrait un peu moins désalcooliser nos vins rouges », commente l’Héraultais, qui, pour des raisons commerciales, vise 9% d’alcool indépendamment du type de vin. Parce que les cépages noirs qu’il travaille peuvent vite donner des vins très chargés en polyphénols, Vincent Pugibet prend garde à sa façon d’extraire lors des fermentations alcooliques. « Sur les moûts les plus denses, je vinifie un peu comme un rosé. Je laisse macérer les pellicules seulement trois jours avant de presser », commente-t-il. Une année, le vigneron a essayé de désalcooliser des vins rouges issus de thermovinification. « Mais c’est compliqué parce que ça a vite fait de basculer sur le jus de fruit. Or ce n’est pas ce que l’on recherche », ajoute-t-il. Dans l’ensemble de ses vins désalcoolisés, Vincent Pugibet conserve entre 4 et 6 g/l de sucres résiduels. « Ça permet de garder de la rondeur, une sensation apportée par l’alcool », développe-t-il.

Lire aussi " La consommation de vin doit inventer son fléxitarisme "              

Privilégier les meilleurs qualités pour éviter les mauvaises surprises

Les vins destinés à être désalcoolisés doivent être d’une qualité irréprochable, martèlent les Pugibet. « L’alcool agit comme un masque aromatique », relève Vincent Pugibet. Avec ses avantages et ses inconvénients. « Il est possible qu’on ne détecte pas de défauts à 14 %, mais que ce soit imbuvable à 11 %. Le pire, ce sont les Bretts », affirme-t-il. Cette notion de masque aromatique pose aussi la question du choix de la date de récolte, et de la maturité optimale. Car des raisins sous-mûrs pourraient donner des vins désalcoolisés aux notes végétales prononcées. « Pour respecter le cadre règlementaire, un vin ne peut-être désalcoolisé que dans la limite de 2 %, rappelle Vincent Pugibet. Il faut donc trouver le bon compromis. »

Aujourd’hui, le domaine de la Colombette produit quasiment exclusivement des vins à faibles degrés alcooliques, voire sans alcool. « En plus de l’osmose, on a des cépages résistants qui donnent naturellement des vins autour de 12 % », indique Vincent Pugibet. Pour rien au monde il ne reviendrait en arrière. « On fait des vins qui nous plaisent, qui ont trouvé leur marché (voir encadré) et on a fait de l’innovation notre valeur ajoutée », conclut le vigneron.

(1) La désalcoolisation partielle des vins est autorisée par l’Union européenne depuis 2009.
 

voir plus loin

Bien définir sa cible avant de se lancer 

Malgré une montée en puissance en France, ce n’est pas dans l’Hexagone que les cuvées peu ou non alcoolisées rencontrent le plus grand succès. Au fil des ans, le domaine de la Colombette a trouvé sa cible à l’étranger, qui concentre 80% des débouchés. À eux-seuls les États-Unis représentent la moitié des exportations du domaine. Pour Vincent Pugibet, ceux qui envisagent d’amener leur clientèle habituelle et locale sur ce type de vins prennent un risque. « L’alcool apporte une sensation tactile en bouche. Ceux qui n’ont pas l’habitude vont sûrement trouver les vins désalcoolisés un peu aqueux », prévient-il. Définir sa cible avant de se lancer est donc plus que jamais primordial.

Avis d’expert : Fabrice Delaveau, directeur général de la société Michael Paetzold

« Ce n'est pas le degré en lui-même qui pose un problème, mais plutôt l’effet masquant de l’alcool »

« Cela fait longtemps que l’on travaille sur les équilibres gustatifs lors de la désalcoolisation des vins. Nous avons testé le désucrage des moûts mais ne l'avons pas retenu car c’est très lourd à mettre en œuvre. Il faut le faire dans un temps très court, avant que les fermentations ne démarrent. Et on perd 9 à 10 % du volume pour chaque degré gagné, sans visibilité sur ce que cela va donner en fin de FA. On s’est rendu compte que ce n’était pas le degré en lui-même qui posait un problème, mais plutôt l’effet masquant de l’alcool. Parfois, on obtient de meilleurs résultats en termes d’aromatique et de fraîcheur en désalcoolisant des vins à TAV plutôt bas. Il n’y a donc pas de règles générales, sauf bien sûr lorsque le vin est alcooleux, là il n’y a pas de débat. En tant que prestataire pour la désalcoolisation et vendeur d'unités de désalcoolisation, on a senti qu’il y avait une nouvelle impulsion autour de cette pratique avant la taxe Trump. Le consommateur veut des vins fruités, plus « buvants », ce qui pousse les producteurs à voir la désalcoolisation comme une technique pour jouer sur l’aromatique. On verra si cette dynamique reprend une fois la menace des taxes définitivement enterrée. »

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