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L’infusion, pour gagner en élégance

Certains vignerons revendiquent le fait de vinifier leurs vins rouges presque par infusion, avec très peu d’extractions. Leur objectif : gagner en élégance, éviter le moindre tanin astringent. Explications avec trois vignerons adeptes.

« Il y a quinze ans il nous arrivait de piger trois fois par jour. On avait bien sûr de la matière dans les vins, mais c’était au détriment du côté soyeux, délicat en dégustation. Depuis, on a fait du boulot à la vigne pour avoir des raisins plus équilibrés et à la cave, on procède à des extractions lentes et douces. » Nicolas Rossignol, installé à Beaune en Bourgogne, fait partie de ces vignerons adeptes de « l’infusion » des marcs en vinification en rouge, c’est-à-dire des macérations sans trituration, avec très peu de pigeages, délestages ou remontages. Il estime que la différence en dégustation est nette sur pinot noir : « on gagne en élégance, en rondeur et soyeux des tanins. Il y a moins de tanins abrupts et les arômes sont plus frais et épicés, moins fruit noir », estime-t-il. Ses clients ont apprécié la métamorphose de ses vins. D’autant plus qu’on ne perd pas en potentiel de vieillissement. « Il n’y a pas moins de tanins mais des tanins de meilleure qualité, note-t-il. J’ai d’ailleurs les mêmes IPT (indices de polyphénols totaux) qu’avec davantage de pigeages. »

La première condition pour obtenir un vin de qualité par infusion est bien sûr de disposer d’une vendange parfaite : faibles rendements, maturité optimale et excellent état sanitaire. La récolte, manuelle, est évidemment triée et traitée le plus respectueusement possible. La vendange est souvent partiellement éraflée et peu foulée pour rechercher le côté fruité des fermentations intracellulaires et pour garder les pépins emprisonnés dans les baies. Ensuite les schémas de vinification varient selon les vignerons.

Nicolas Rossignol préfère agir surtout en fin de cuvaison : « Je fais l’inverse de ce que l’on apprend à l’école, je procède à un remontage d’homogénéisation au départ puis je ne touche à rien pendant huit à dix jours. Je pige juste une fois en milieu de fermentation pour casser un peu le marc compacté et oxygéner, puis éventuellement une ou deux fois en fin de macération pour corriger, en fonction de la dégustation. » Le vigneron favorise les fermentations lentes et ses macérations s’étalent sur trois semaines avec plusieurs jours en post-fermentaire pour arrondir les tanins. Le marc, moins malaxé, renferme encore les pépins, ce qui évite d’extraire des tanins durs.

Jouer sur les températures pour davantage de complexité aromatique

Thibault Liger-Belair, à Nuits-Saint-Georges, joue en plus sur les températures. « Je démarre à 12 ou 13 °C pendant quatre à six jours avec un seul remontage d’homogénéisation à la mise en cuve. Puis je remonte à l’air pour aérer et activer les levures sur deux ou trois jours avec parfois un pigeage doux pour désorganiser le chapeau. Et j’affine en fin de macération selon la dégustation avec un ou deux pigeages. C’est une démarche pas à pas. En revanche je laisse les températures monter parfois jusqu’à 34 °C pendant deux ou trois jours. Avec ce coup de chaud j’obtiens une complexité aromatique que je n’ai pas à des températures inférieures. » La cuvaison dure deux ou trois semaines. Thibault Liger-Belair est adepte des macérations prolongées sur des fins de fermentation très lentes. « J’ajoute du sucre pour maintenir une fermentation, je trouve l’extraction plus qualitative en fermentation languissante qu’en simple macération post-fermentaire. »

Enfin Lionel Gauby, dans le Roussillon, va jusqu’à encuver une vendange entière non foulée, non égrappée, un peu comme en macération carbonique. « Il se produit une fermentation intracellulaire en partie mais qui diffère d’une macération carbonique car on obtient davantage de jus et les cuves ne sont pas saturées de suite en gaz carbonique. » Le chapeau représente plus de 50 % du volume de la cuve. « J’essaie de ne pas le toucher du tout jusqu’à ce que la coule (jus de goutte) soit sèche. Je fais juste quelques remontages au seau pour mouiller le haut ; parfois un pigeage léger. » Les jus de presse représentent alors plus de 50 % du volume et sont assemblés de suite au vin de goutte. « Ils sont plus qualitatifs, plus souples que la coule, dans la douceur. »

On pourrait craindre d’obtenir des vins trop légers. Mais tout est dans la qualité de la vendange, assure Thibault Liger-Belair : « ce que le raisin veut donner, pigeage ou pas, il le donnera ». Le principal risque est plutôt d’ordre sanitaire : la surface du chapeau peut se piquer en cas d’exposition prolongée à l’air au risque de contaminer toute la cuve. Les vignerons gèrent en mouillant le marc par des mini-remontages ou en ayant recours à des cuves à plafond mobile. Le plafond descendu au-dessus du chapeau produit alors de la condensation qui le maintient humide. Autre point à surveiller : les marcs peu travaillés renferment encore du jus, les jus de presse sont donc souvent sucrés au décuvage. À noter que l’infusion est plus facile à maîtriser en cuves de faible capacité.

Travail des vignes et faible extraction

L’impact du travail à la vigne sur les conditions d’extraction est net selon Jean-Michel Comme. « Depuis douze ans que nous pratiquons la biodynamie, le niveau d’extraction nécessaire en chai lors des macérations en rouge est de plus en plus faible. » Le régisseur du château Pontet-Canet à Pauillac en Gironde constate que les pellicules de raisin s'ouvrent plus facilement. « Au toucher les peaux sont plus onctueuses très tôt dans la saison. » Depuis, pigeages et délestages ont été supprimés. L’extraction se limite à deux remontages de cinq à dix minutes quotidiens en début de macération contre quatre remontages de vingt minutes autrefois.

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