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« Le labour est l’attaque majeure pour les sols viticoles »

Marc-André Selosse, biologiste, chercheur attaché au Muséum national d’histoire naturelle, réagit aux résultats du baromètre Genesis pointant la mauvaise santé des sols viticoles. Rencontre.

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La biodiversité est un paramètre primordial pour un sol en bonne santé.
© X. Delbecque

Seuls 10 % des sols viticoles seraient en bonne santé selon le baromètre Genesis sorti fin mars. Est-ce réellement le cas ?

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Marc-André Selosse, biologiste, chercheur attaché au Muséum national d’histoire naturelle milite pour un arrêt des labours. © C. de Nadaillac
M.-A. Selosse : Il y a des appréciations un peu différentes selon les sources, les chiffres de l’Inrae sont un peu moins alarmistes par exemple. Mais dans le fond, oui, les sols viticoles sont parmi les plus abîmés en France, et même en Europe.

Mais la bonne nouvelle, c’est que malgré cet état fragilisé des sols, il n’y a pas vraiment d’extinction d’espèces. En redressant les pratiques, on peut très vite voir les sols viticoles se repeupler. La biodiversité des sols est extrêmement résiliente. Or c’est elle qui assure le bon fonctionnement des sols.

Concrètement, qu’est-ce qu’un sol en mauvaise santé ?

M.-A. S. : Le sol est constitué de deux grandes colonnes vertébrales. La première est la biodiversité, la seconde étant la matière organique. Cette dernière permet l’agrégation du sol en petites mottes, la lutte contre l’érosion et la rétention d’eau. Elle nourrit la vie du sol et stocke le carbone.

Peut-on dater le début de la dégradation des sols viticoles ?

M.-A. S. : On manque de recul car la technique employée actuellement s’appuie sur des analyses d’ADN, et ce, depuis une quinzaine d’années. Genesis a surtout comparé les sols agricoles avec ceux qui ne le sont pas, ce qui donne des points de référence. Ce sont des comparaisons intersite, c’est peut-être la limite de son analyse.

L’étude pointe des disparités entre régions, certaines étant plus atteintes que d’autres comme la Bourgogne. À quoi est-ce dû : aux pratiques viticoles, au type de sous-sol, à la densité ?

M.-A. S. : Cela provient un peu des techniques employées, mais pas uniquement. Le climat est un autre élément clé. Ensuite, il y a le poids des usages. En Alsace, par exemple, il y a davantage de vignes enherbées qu’en Bourgogne. Or l’enherbement permet de prendre soin du sol. Il est antiérosion, amène de la matière organique, fixe l’azote. Mécaniquement, cela permet de réduire les apports d’engrais. Et au passage, ces couverts végétaux peuvent être implantés en vue de servir de répulsifs. On sait aujourd’hui que certaines légumineuses fixatrices d’azote sont des répulsifs de nématodes vecteurs du court-noué.

Mais l’approche par région est trop réductrice, je pense qu’il faut surtout se focaliser sur le fait qu’il y a un problème global de santé des sols viticoles auquel il faut s’atteler.

Quelles sont les causes de cette mauvaise santé ? Le travail du sol, le désherbage chimique, les apports d’engrais minéraux, les ruissellements de produits phytosanitaires fongicides ?

M.-A. S. : Les quatre en fait. Mais le labour est quand même l’attaque majeure. Quand on laboure, on fait respirer les rares êtres qui survivent. On perd alors la matière organique, la cohésion des sols, la réserve en eau. Le labour crée aussi une semelle, ce qui est dramatique. L’eau n’arrive pas à la traverser et les rares fois où elle y arrive, elle ne peut plus remonter car elle est retenue dedans par capillarité. Les racines ne peuvent pas non plus la franchir. Avoir une semelle de labour condamne le sol à n’être utilisable que sur la profondeur où il est labouré. Et c’est un cercle vicieux : comme il y a moins de matière organique et moins de vie sur cette zone, il y a moins de trous, l’eau s’infiltre moins, les racines remontent en surface, le sol se tient moins, il boit moins.

Le fait d’apporter des engrais minéraux n’est pas non plus la panacée car ils ne soutiennent pas la vie du sol. Par ailleurs ils sont utilisables immédiatement en surface au lieu d’être dégradés en profondeur. Là aussi, cela incite les racines de la vigne à remonter. Ce qui est problématique notamment lorsqu’on a un enherbement, car les racines de la vigne se mélangent à celles des adventices, ce qui entraîne des problèmes de baisse de rendement. Les pesticides, parmi lesquels je ne distingue pas les herbicides, sont aussi un problème.

Quelles sont les solutions pour améliorer l’état des sols ?

M.-A. S : Il ne faut surtout pas se lancer bille en tête. Avant toute chose, il est primordial de se renseigner, d’échanger avec des collègues ou des conseillers de chambres d’agriculture, ou de suivre des formations.

L’arrêt du labour n’est pas forcément l’action qui conviendra le mieux ou sera prioritaire dans votre situation et sur votre terroir. On peut par exemple commencer par l’implantation de haies qui permettent de réduire la sécheresse et d’inoculer des acariens protecteurs.

Mais dans l’ensemble, la direction est claire : il faut essayer de tendre vers des vignes non labourées, avec un enherbement permanent, et ce, dès le plus jeune âge de la vigne pour qu’elle soit allée chercher en profondeur. Avant toute plantation, il faut éliminer la semelle de labour, épandre un peu de matière organique puis ne plus toucher au sol. Ça, c’est dans les grandes lignes. Après, si jamais il y a du travail du sol sur le cavaillon, c’est supportable, sachant qu’on peut aussi le pailler ou avoir d’autres méthodes d’entretien. Enfin, si possible, il faut réduire les pesticides.

Quelle est la conséquence du cuivre sur la santé des sols à terme ?

M.-A. S. : Le cuivre est un métal lourd extrêmement toxique. Une fois mis sur les feuilles, il y décime toute vie, dont des acariens protecteurs, les typhlodromes. Lorsqu’il arrive au sol, il continue à tuer toute vie, mais il se lie très facilement aux argiles, à la matière organique, ce qui l’inactive. Il n’y a donc que le cuivre qui vient d’arriver qui est encore libre de circuler et qui est toxique. Raison pour laquelle il faut veiller à ne pas trop en employer, et ce d’autant plus qu’après, on risque de polluer les eaux. Mais un peu de cuivre est un moindre mal par rapport à bien des pesticides.

La phytorémédiation est-elle une solution ?

M.-A. S. : Malheureusement, les plantes extractrices de cuivre ne sont pas nombreuses, parce que le cuivre est très toxique. Il faut développer les rares plantes qui peuvent le faire mais ce sera très lent et compliqué. Une fois qu’elles ont accumulé du cuivre, il faut récolter ces plantes, puis les brûler et stocker les cendres. Ou se mettre en lien avec des industries qui utilisent ces plantes riches en cuivre comme catalyseurs. Quoi qu’il en soit, c’est une charge en plus pour le viticulteur. Mais c’est bien que la recherche continue à se pencher sur le sujet. Ce serait notamment intéressant si on pouvait extraire rapidement la fraction qui circule encore.

Comment conjuguer non-labour du cavaillon et rendement acceptable ?

M.-A. S. : Je pense que la solution réside dans l’alternance de techniques, afin que les inconvénients de chaque pratique soient annihilés par les avantages des autres. On peut alterner un désherbage au glyphosate, avec un labour, puis avec un paillage ou un mulch, etc. Mais si tout le reste du rang est géré de manière à favoriser la vie du sol et qu’il ne reste que le cavaillon qui ne soit pas optimisé, c’est bon car cela ne représente qu’une toute petite surface.

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