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La sécheresse menace la majeure partie des vignobles du monde
Alors que le développement précoce de la vigne commence à inquiéter en Europe, Serge Zaka, agroclimatologue pour ITK, revient les conséquences de la sécheresse sur l’ensemble des vignobles de la planète.
Alors que le développement précoce de la vigne commence à inquiéter en Europe, Serge Zaka, agroclimatologue pour ITK, revient les conséquences de la sécheresse sur l’ensemble des vignobles de la planète.
Avec un hiver particulièrement doux, l’actualité se concentre sur le développement précoce de la vigne en Europe. Quelques rares parcelles méridionales montrent depuis début janvier des signes de réveil (bourgeons gonflés). Heureusement, cette situation reste, pour le moment, marginale. Les températures devraient revenir aux normales de saison à partir du 17 janvier, ce qui devrait arrêter le développement de la vigne. Il faudra surveiller les températures en février. Si la vigne débourre trop tôt, elle sera sensible au gel d’avril.
Dans le même, en plein hiver, la situation hydrique des sols reste inédite sur toutes les vignes de l’Aude et des Pyrénées Orientales. Cette sécheresse prolongée nous a poussés à prendre un peu de hauteur : quelles régions viticoles du monde subiront une accentuation des stress hydriques estivaux ? Et le résultat n’est pas très rassurant…
La répartition des zones viticoles mondiales n’est pas le fruit du hasard
Le climat méditerranéen offre un environnement adapté à l’exploitation d’une grande palette de terroirs viticoles. La saison de croissance y est longue et ensoleillée. Cela permet à la fois un démarrage précoce de la végétation et des vendanges tardives. Le climat méditerranéen est également particulièrement favorable à des processus de maturation bien équilibrés et à une bonne qualité organoleptique (couleur, tannins et arômes). C’est pour cela que toutes les régions bénéficiant du climat méditerranéen sont connues pour leur production viticole : le pourtour de la Méditerranée, la Californie, le centre du Chili, la pointe de l’Afrique du Sud et l’Australie.
L’intégralité des climats méditerranéens se trouve aux latitudes moyennes (40° à 50° N et 30° à 40° S), généralement entre l’isotherme 10 et 20°C. C’est essentiellement là que l’on retrouve donc la production viticole. Il y a cependant quelques exceptions comme les vignobles chinois et d’Uruguay qui ne bénéficient pas d’un climat méditerranéen ou encore des vignobles périphériques bénéficiant de microclimats comme les vignobles de Champagne et d’Alsace.
Les vignobles se situent essentiellement dans des hotspots climatiques
D’après l’Atlas du GIEC, illustrant les évolutions anticipées du climat, pour un réchauffement de 2°C, l’ensemble des climats méditerranéens du globe verront les précipitations annuelles baisser de -5 à -30%. Cette baisse est notamment due à un assèchement de la période estivale et sera accentuée par une évapotranspiration à la hausse (pilotée par la hausse des températures). Ainsi, près de 90% des surfaces mondiales de vignes devraient subir des stress hydriques plus prononcés. Les vignobles chinois et d’Uruguay, hors climat méditerranéen, semblent épargnés par cette tendance. Il est important de noter que, contrairement à l’évolution de la température, les simulations d’impacts sur les précipitations sont beaucoup plus complexes. Pour ce paramètre, il existe encore d’importantes incertitudes dans les résultats de simulations des modèles exploités par le GIEC.
La zone méditerranéenne européenne est d’ailleurs décrite comme un « hotspot » du changement climatique par les climatologues. C’est la région viticole qui devrait, à priori, subir le plus d’évènements climatiques affectant la production du vin et nécessitant une évolution des traditions.
Des évolutions nécessaires de la production
Le changement climatique ne signe pas la fin de la production viticole des climats méditerranéens. Les vignobles doivent apprendre à évoluer avec le climat :
- Des décalages des travaux agricoles suivant l’évolution de la phénologie : débourrement et vendanges plus précoces, périodes de sensibilité et de traitements décalées etc.
- Des adaptations de la génétique : implantation de cépages plus résistants aux stress hydriques et thermiques.
- Des évolutions, parfois profondes, des traditions et des cahiers des charges : évolution du cahier des charges de AOC, inévitable modifications des qualités organoleptiques à commencer par la teneur en alcool.
- Des modifications des pratiques agricoles vers des systèmes maximisant la rétention de l’eau par le sol et l’entêtement des extremums thermiques : techniques de l’agriculture de conservation des sols (moins de labour, couverts végétaux), modification du port végétal pour maximiser l’ombrage sur le sol et protéger les grappes (comme le port « pergola »).
- Des pratiques de conservations et de protections de l’eau : retenues collinaires étudiées en accord avec les normes environnementales de chaque pays, déploiement des outils d’aide à la décision agricole et des systèmes d’irrigations performants et connectés.
L’évolution la plus marquante sera certainement l’évolution de la biogéographie des régions viticoles, c’est-à-dire l’aire de répartition de l’implantation de la vigne. En effet, la zone de production s’étend au nord et prend de l’altitude. D’ici 2050, il ne serait pas étonnant d’avoir un millésime belge ou anglais.
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