Droits de douane américains à 15 % : quelles conséquences pour la filière vins et spiritueux ?
À ce jour, les vins et les spiritueux français font partie des produits taxés à 15 % à leur entrée aux États-Unis. Une nouvelle donne qui oblige ceux qui exportent à s’adapter.
À ce jour, les vins et les spiritueux français font partie des produits taxés à 15 % à leur entrée aux États-Unis. Une nouvelle donne qui oblige ceux qui exportent à s’adapter.

Difficile de savoir si la situation est durable mais depuis le 7 août 2025, les vins et spiritueux sont taxés à 15 % de leur valeur lorsqu’ils entrent sur le sol américain. C’est davantage que les 10 % qui avaient été fixés provisoirement mais moins que les 200 %, 50 % ou encore 30 % annoncés auparavant par Donald Trump. Un véritable feuilleton douanier qui n’est pas à l’abri de nouveaux rebondissements.
La barrière douanière édifiée par le président américain consterne d’autant plus que les États-Unis sont de loin notre premier client export en valeur pour les vins et spiritueux. Avec un montant de 3,8 milliards d’euros atteint en 2024, ils pesaient 24,5 % de notre chiffre d’affaires export en 2024. C’est un des pays où nos vins se valorisent le mieux.
Dans un communiqué de réaction aux taxes douanières de 15 % publié le 1er août 2025, la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS) prédit que ces droits, cumulés avec l’effet devise pourraient aboutir « à une réduction d’un quart de nos ventes aux États-Unis, soit une perte de 1 milliard d’euros ». Elle ajoute que « dans une filière déjà très fragilisée par les sanctions chinoises et un environnement économique très déprimé, une telle baisse des exportations ne manquera pas d’avoir des effets sur les 600 000 emplois directs et indirects de la filière des vins et spiritueux ».
Raphaël Delpech, directeur général du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) observe depuis deux mois « une baisse marquée des expéditions vers le marché américain », après une période plutôt haussière due à des envois de précaution. Il évoque lui aussi l’effet du taux de change qui accentue encore la hausse du prix des vins. « On anticipe des mauvais résultats jusqu’à la fin de l’année », concède-t-il.
Si la filière espère toujours qu’une négociation permettra d’inscrire les vins et spiritueux sur la liste des produits exemptés de taxes, elle doit s’adapter à ces nouvelles conditions commerciales.
Les importateurs face à un besoin de trésorerie nouveau
« Entre la baisse du dollar et les taxes, les prix montent de 25 % pour tous nos clients », atteste Olivier Grataloupt, fondateur de l’agence commerciale export de vin français Aetheo. Pour le moment, il continue à « générer de la commande », l’annonce des 15 % ayant interrompu une période de flottement au printemps, voir carrément d’arrêt en début d’année. Mais il n’est pas certain que cela continue au-delà de 2025. « Certains clients ne vont pas pouvoir suivre », s’inquiète-t-il. Et d’évoquer l’un de ses importateurs en Californie qui « va jusqu’à remettre en question la pérennité de son entreprise ».
Le coup est en effet rude pour les importateurs, premiers maillons de la chaîne de commercialisation des vins et spiritueux aux États-Unis, avant les distributeurs et les détaillants ou restaurateurs. « L’importateur est celui qui doit payer les droits de douane. Cela représente des besoins de trésorerie colossaux », observe Marion Barral, consultante Rhône Provence chez AOC Conseils. « Si l’on fait venir un container d’une valeur de 100 000 euros, il faut sortir 15 000 euros pour le dédouaner », illustre Bertrand Leulliette, président & CEO de Bertrand’s Wines, importateur de vins de Bourgogne aux États-Unis. Un poids difficile à assumer pour des trésoreries déjà asséchées par la baisse d’activité commerciale et le gonflement des stocks.
Marion Barral insiste sur la nécessité de collaborer avec l’importateur pour étudier les solutions possibles. « Fractionner les commandes peut être une piste. Même si cela augmente les coûts de transport, c’est à étudier », conseille-t-elle.
Les entrées de gamme sont les plus exposées
Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et professeur affilié à l’Inseec Grande École, évoque un impact de la hausse des prix sur les ventes variable selon le niveau de gamme des vins. « Plus on monte en gamme, moins il y a de substituts possibles au vin et plus l’élasticité est faible. À l’inverse, la sensibilité est d’autant plus forte que le prix est bas », explicite-t-il. Même alerte de la part de Marion Barral. « Il y a une réflexion à mener sur les gammes car les vins vendus à moins de 10 dollars sur le marché américain seront les plus touchés », développe-t-elle. Ce créneau est dominé par les vins chiliens et espagnols, qui même s’ils sont taxés respectivement à 10 % et 15 %, disposent de coûts de production plus bas et sont capables de fournir des gros volumes. « Il y a des places à prendre sur le créneau des vins entre 10 et 15 dollars et au-delà de 15 dollars, argumente-t-elle. Inutile de mettre de l’énergie sur des segments de marché qui n’en valent pas la peine. »
Mais pour Bertrand Leulliette, il y a tout de même des seuils : « si l’on passe la barre des 20 dollars, c’est sûr qu’on risque de perdre la moitié de sa clientèle. Là où on était cher, on devient encore plus cher ». Lui choisit de jouer la carte de la transparence de ses prix d’achat avec certains de ses distributeurs. Il compte aussi s’appuyer sur l’étendue de sa gamme, forte d’un large choix d’appellations bourguignonnes. « Il y a des appellations qui ne sont pas dans les radars des gens et où ils n’ont pas de références de prix. Dans ce cas il est plus facile d’amener un client sur un autre vin de Bourgogne », projette-t-il. Mais il admet que cela fonctionne sur les blancs mais beaucoup moins sur les rouges, qui sont vinifiés avec des techniques plus variées et dont les clients sont plus attachés aux appellations.
Olivier Grataloupt reconnaît que les importateurs demandent ce qui peut être fait sur les tarifs, mais qu’il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre. « Du côté des vignerons, les coûts ont augmenté. Nous, on ne veut pas détruire de la valeur, ce n’est pas notre philosophie », confie-t-il. Travaillant avec des domaines de différentes régions viticoles, Aetheo mise également sur la diversité de son portefeuille. Très récemment, l’agence a ajouté un domaine du Jura à sa palette, « pour se démarquer et avoir des vins plaisir, sur la fraîcheur qui restent abordables ».
Continuer à travailler le marché avec un soutien marketing actif
Pour cette agence qui a bataillé pour atteindre aujourd’hui 27 % de son activité aux États-Unis, pas question de battre en retraite. « Nous continuons donc à être présents sur le marché, à aller sur les salons, à trouver de nouveaux clients », relate Olivier Grataloupt.
Au BNIC, Raphaël Delpech fait part d’une stratégie d’adaptation aux nouveaux comportements de consommation engagée depuis de nombreux mois par le négoce cognaçais. « Ce travail de repositionnement va se poursuivre avec tous les partenaires commerciaux », annonce-t-il.
Pas de doute, rester sur le marché américain exige encore plus d’efforts. Marion Barral rappelle la nécessité de bien connaître ses coûts. « Il faut avoir des chiffres pour mettre en place une stratégie. Calculez le prix de revient de vos cuvées et vérifiez que la vente est rentable », insiste-t-elle. Elle pointe également le besoin d’un soutien marketing actif avec une communication adaptée sur les réseaux sociaux. « Le volet digital est essentiel pour exister sur ce marché comme l’ont bien compris des marques comme Miraval », rappelle-t-elle. Il n’est pas obligatoire de recruter Brad Pitt mais d’incarner son vin pour être visible par tous les intermédiaires. Autre conseil, concentrer ses efforts sur les villes et états les plus riches où le pouvoir d’achat en restauration est élevé.
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Attention à la tentation du « court termisme », prévient-elle. Elle déconseille par exemple de baisser le coût unitaire de la bouteille et de facturer des frais marketing qui eux ne sont pas soumis à droit de douane. Ou de céder à des propositions d’importateurs spécialisés dans la vente en ligne faisant miroiter des perspectives alléchantes tout en demandant des délais de paiements. Elle alerte sur les risques de non-paiement, d’autant plus forts que les importateurs sont fragilisés. Le prix des vins est aussi très difficile à maîtriser en e-commerce. Le vin peut se retrouver bradé, ce qui compromettra la cohésion tarifaire.
Bertrand Leulliette comme Olivier Grataloupt soulignent l’importance de continuer à être présent en restauration, particulièrement dans la liste des vins servis au verre. « Le caviste est opportuniste tandis que le restaurateur construit sa carte », résume le dirigeant de Bertrand’s Wine.
Plus que jamais, la réalité du marché américain challenge l’inventivité et créativité commerciale.
Compenser des pertes sur le marché américain
Faut-il aller voir ailleurs pour compenser ce débouché devenu plus incertain ? « C’est une évidence aujourd’hui qu’il faut réduire notre dépendance aux exportations américaines », clame Jean-Marie Cardebat. Mais il en convient, ce n’est pas une seule destination qui va compenser le marché américain. Parmi les pistes, il milite pour ré-acculturer le consommateur européen au vin en le vendant différemment. « Notre seule stratégie nationale est de réduire l’offre, ce qui est hyperdéfaitiste sur la demande, regrette-t-il. Des évolutions de packaging pourraient par exemple être une grande ambition en investissant massivement le développement de formats 50 cl. »
Marion Barral conseille également de « se retrousser les manches pour trouver cinq ou six pays qui vont compenser le marché américain. On peut trouver un volume intéressant avec plusieurs opérateurs plus petits ». Elle estime qu’il y a encore du potentiel en Europe. De son côté, l’agence Aetheo cherche à développer ses ventes sur l’Amérique du Sud, l’Asie du sud-est, l’Océanie ou certains pays d’Afrique.
Dans une analyse publiée fin juillet, NielsenIQ estime que la croissance nécessaire en France pour compenser une baisse de 5 % du chiffre d’affaires aux États-Unis serait de + 77 % pour le cognac et de 4 % pour le champagne. « Pour six maisons majeures du cognac, le développement du marché britannique pourrait contribuer à compenser une éventuelle crise aux États-Unis. Idem pour le champagne », encouragent les auteurs de l’étude. Un marché beaucoup plus proche !
Taxes Trump, le retour
18 octobre 2019 : les Etats-Unis imposent des droits de douanes additionnels de 25% sur les vins tranquilles français, exportés en contenant inférieur ou égal à 2 litres et ayant un degré d’alcool inférieur ou égal à 14 %, dans le cadre du conflit commercial Boeing/Airbus. La mesure touche aussi l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
12 janvier 2021 : la surtaxe de 25 % est étendue à l’ensemble des vins tranquilles et aux spiritueux issus de raisins comme le cognac et l’armagnac.
6 mars 2021 : suspension des taxes Trump par le président Joe Biden.
2 avril 2025 : annonce, par Donald Trump, de droits de douanes supplémentaires à 20 % pour les produits originaires de l’Union européenne.
9 avril 2025 : annonce d’un taux plancher de droits de douane fixé à 10 % pour 3 mois, en attente du taux définitif.
7 août 2025 : entrée en application de la taxe sur les produits de l’Union européenne de 15 %.