Assurer la perte de récolte due aux changements de pratiques viticoles
Depuis 2019, l’IFV, les caves de Buzet, de Tutiac et Groupama étudient un protocole test. Le but est de proposer aux viticulteurs un outil pour compenser le risque économique pris s’ils réduisent l’usage des fongicides pour protéger leurs vignes. Le point.
Depuis 2019, l’IFV, les caves de Buzet, de Tutiac et Groupama étudient un protocole test. Le but est de proposer aux viticulteurs un outil pour compenser le risque économique pris s’ils réduisent l’usage des fongicides pour protéger leurs vignes. Le point.
Le protocole test est développé par les caves de Buzet, de Tutiac et Groupama sous le nom de Processus de traitement assurable (PTA). Le principe est de préconiser un itinéraire avec le moins de traitements possible en s’appuyant sur les connaissances actuelles sur la protection contre les maladies de la vigne. « Réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires, on sait le faire dans nos essais, explique Marc Raynal, ingénieur à l’IFV. Pour transposer cette démarche sur de grandes surfaces on s’appuie sur l’accès aux différents outils d’aide à la décision développés par l’IFV et on préconise des règles plus minimalistes. Cela permet de définir un cahier des charges à respecter pour le positionnement des traitements et les doses appliquées. » Le PTA prévoit l’intervention de l’assurance si des pertes liées aux maladies sont constatées alors que ce cahier des charges risqué a bien été respecté.
DeciTrait avec des règles plus minimalistes
Dans les faits, les outils mobilisés pour définir ce cahier des charges sont la plateforme Epicure pour consulter les données météo et l’outil d’aide à la décision (OAD) Optidose pour préconiser les doses à appliquer. Pour les dates de traitement, le PTA s’appuie sur les stratégies d’optimisation préconisées par l’OAD DeciTrait. Mais des règles de décision sont adjointes pour restreindre les périodes de protection au strict minimum. Ainsi par exemple, les traitements contre mildiou et oïdium du PTA fixent de ne pas dépasser un IFT maximum de 1 lors de chaque intervention. « Cette règle, précise Marc Raynal, part du principe que les risques mildiou et oïdium sont antagonistes. Si l’un est fort, l’autre est faible. En fonction du scénario climatique, le modèle indique le risque dominant. Si la dose préconisée est à 80 % destinée à lutter contre le mildiou et à 40 % contre l’oïdium, la règle du PTA Optidose propose d’écrêter l’IFT à 1 avec 80 % d’une dose homologuée mildiou et seulement 20 % d’une dose oïdium. » À noter que, exception faite du soufre, cette règle ne s’applique pas aux produits de biocontrôle car leur efficacité reste à ce jour trop partielle.
Retarder la date du premier traitement
Une autre règle du PTA consiste à repousser le déclenchement du premier traitement et à avancer l’arrêt de la protection. La règle de déclenchement se base sur les résultats d’analyses statistiques réalisées par Mathilde Chen, dans le cadre de sa thèse en 2019 sur les données de la base Epicure à Bordeaux, soit 160 sites. « L’application d’un des résultats de la thèse nous confirme dans l’idée que près de huit années sur dix, on peut prendre le risque de laisser les premières tâches de mildiou s’installer au vignoble avant de déclencher le premier traitement sans diminuer la qualité de la protection, explique Marc Raynal. Réduire l’IFT de 50 % est alors possible ». Ce choix est effectivement plus risqué que de privilégier le déclenchement au regard du risque épidémique modélisé, comme le fait DeciTrait dans sa version « classique » plus sécurisée. Et pour ce qui est de la possibilité d’arrêter plus précocement les traitements, la décision se prend, là aussi, en fonction du risque modélisé et en même temps de l’état sanitaire constaté.
Des résultats encourageants sur les trois années d’essai
La cave de Buzet a annoncé qu’en 2021, l’application du PTA a permis de repousser le premier traitement de près d’un mois. Sur les trois années d’essai, les IFT sont diminués de 30 à 50 % pour les traitements antimildiou et jusqu’à 70 % pour l’oïdium par rapport aux pratiques des adhérents des deux caves. Cette stratégie minimaliste génère des niveaux de protection très acceptables sur la très grande majorité des surfaces expérimentées, soit en tout 80 hectares en 2021. Seules quelques parcelles ou zones sensibles, à proximité des témoins non traités notamment, nécessitent d’affiner encore quelques règles de décision du PTA.
Encore des questions sur le dispositif d’assurance
Que faire pour des parcelles touchées tous les ans par la maladie comme c’est le cas actuellement sur certaines zones du dispositif assurantiel expérimental ? « Le caractère non aléatoire du risque maladie dans ce genre de situation récurrente ne semble pas compatible avec l’assurance, précise Dimitri Lely, directeur agricole Groupama Centre Atlantique. Reste à savoir comment ces zones seront identifiées lors de la signature d’un contrat sur une exploitation. C’est l’une des questions sur laquelle nous travaillons. »
Autre axe encore en réflexion, le choix des outils de mesure de la traçabilité pour attester que le viticulteur a bien respecté le cahier des charges du PTA.
L’évaluation des pertes de rendement réellement imputables aux attaques de maladies est aussi un point majeur. L’observation des dégâts sur les témoins non traités peut donner une indication, mais il reste difficile de distinguer la part de la pression épidémique dans la chute globale des rendements.
Deux formules en test
« Ce type d’expertise est effectivement complexe, admet le directeur. Le contrat que l’on va tester cette année comprendra la garantie « multirisque climatique » (MRC) subventionnable et expertisable et à côté, l’option Maladie, en garantie paramétrique basée sur le rendement final. Cela dit, actuellement il semble assez difficile d’envisager qu’un tel contrat 'hybride' puisse entrer dans le dispositif réglementaire qui permet d’obtenir des subventions de l’offre MRC. »
Sera également testé un autre type de dispositif assurantiel : un contrat spécifique maladie avec son propre niveau de franchise et un rendement assuré sur la base du rendement potentiel. « Ici aussi la question de savoir comment rendre cette garantie subventionnable reste à discuter. Mais là encore cette question dépasse le cadre de la technique et celui de la recherche », souligne Dimitri Lely.
M.-N. C.