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Surgreffer pour gagner du temps

Vigneron sur 10 ha en Alsace à Ingersheim, Vincent Fleith a opté à plusieurs reprises pour la technique de surgreffage pour faire évoluer l'encépagement de son domaine. Des choix qui lui ont permis de résoudre des problèmes agronomiques et commerciaux.

Vincent et Brigitte Fleith, vignerons à Ingersheim, en Alsace, ont fait le choix de surgreffer pour réorienter plus rapidement leur production vers des cépages plus porteurs.  © Domaine Fleith
Vincent et Brigitte Fleith, vignerons à Ingersheim, en Alsace, ont fait le choix de surgreffer pour réorienter plus rapidement leur production vers des cépages plus porteurs.
© Domaine Fleith

Vincent Fleith a découvert la technique de surgreffage en Californie, en 1994, alors qu’il travaillait dans un domaine viticole. Après avoir repris le domaine familial en 1996, il a expérimenté cette solution en 2000 pour résoudre un problème agronomique sur une parcelle de 25 ares. « C’était du riesling qui ne mûrissait pas du fait d’une mauvaise adéquation entre le cépage tardif, le sol, et le porte-greffe tardif ». Plutôt que de se résoudre à récolter des petits degrés, il a décidé de surgreffer du cépage auxerrois, plus précoce. « J’en fais du crémant. » Il a travaillé avec Marc Birebent, de Worldwine Vineyard, dont il avait croisé le frère en Californie. Cette solution était aussi en phase avec son orientation vers la bio et la biodynamie, avec la préoccupation d’avoir la meilleure synergie possible entre la vigne et son environnement et son intérêt pour des greffes alternatives à l’omega.

Une façon d’être réactif face au marché

En 2006, c’est pour une raison plus commerciale qu’il a lancé un nouveau projet de surgreffage. Constatant la difficulté de valoriser son pinot gris en grand cru Furstentum, il a décidé de surgreffer des pinots noirs sur des pinots gris sur 20 ares. Le pinot noir n’est pourtant pas autorisé en grand cru. Mais Vincent Fleith constatait la forte attraction pour ce cépage. C’est lui-même qui avait replanté ces pinots gris dans les premières années de la reprise du domaine. « La vigne était impeccable, il ne manquait aucun pied », se remémore-t-il. Le bon état de la vigne est bien entendu une condition de base pour se lancer dans une telle opération.

Grâce à ce choix, Vincent Fleith a pu produire un pinot noir qu’il a appelé Pinot noir F. « Vingt ans après je vends mon Pinot noir F 10 euros plus cher que mon pinot gris grand cru Furstentum, soit 35 € au lieu de 25 €. J’ai perdu cette surface en grand cru mais je n’ai aucun regret car c’est un super endroit pour les rouges », résume le vigneron.

Il prévoit de renouveler l’opération sur ce même grand cru. Cette fois-ci, il surgreffera du riesling sur des pinots gris sur 15 ares, car les rieslings grand cru sont plus demandés. La qualité du matériel est primordiale. « L’an dernier, j’ai renoncé à surgreffer parce que j’ai jugé que mon matériel n’était pas bon. »

Pour Vincent Fleith, l’intérêt de cette méthode est un gain de temps précieux. « On ne perd qu’un an de récolte en surgreffant. Dès l’année suivante, on a une année quasi normale, souligne-t-il. En replantant, il faut sept ans d’attente pour avoir un racinaire développé. Là il n’y a pas de baisse qualitative. »

Un travail de précision et un protocole à suivre

Cette souplesse d’encépagement lui plaît. « Je connais des vignes qui ont été greffées 3 fois. » La démarche n’est pas spécialement compliquée sur le plan administratif. Le changement de cépage est déclaré à la douane au préalable. Puis l’année suivante, la parcelle est déclarée dans le nouveau cépage.

Cette technique lui permet aussi de planifier, de prendre le temps de sélectionner le matériel végétal à greffer. Il prélève ce qu’il faut en janvier sur les plants de sa sélection, avant les grosses gelées, puis stocke au froid en prévision des futurs regreffages.

En termes d’organisation, la fenêtre de tir est relativement étroite. Idéalement, le surgreffage intervient au moment de la fleur, début juin. « On pratique une greffe en T-bud. Si les tissus ne se décollent pas ou si l’on intervient à une autre période, c’est une greffe en chip-bud qui se pratique », observe-t-il.

Pour Vincent Fleith, faire appel à des spécialistes permet d’aller beaucoup plus vite et d’assurer une meilleure réussite. Mais ces spécialistes sont peu nombreux. « C’est une équipe de 5 à 8 personnes qui intervient. » Le succès tient à la dextérité de ces spécialistes mais aussi au travail d’entretien. Avant l’intervention de l’équipe, il passe enlever l’écorce. Après, le greffage, « il faut être méticuleux », considère Vincent Fleith. « On garde un sarment tire-sève et on le rabat à 1 à 2 feuilles. Il faut ébourgeonner régulièrement pour ne laisser que le bourgeon qu’on a greffé. L’œil débourre au début en puisant dans ses réserves pour les premières et deuxièmes feuilles ». Il faut ensuite surveiller le développement du pampre et arroser s’il stagne. « Le premier jour, la greffe est fragile mais dès qu’il y a 10 à 15 feuilles ça tient bien. C’est une super soudure ». Il peut le constater dans ses rangs de pinot noir et d’auxerrois regreffés, avec le recul du temps.

Cette technique pourrait se développer davantage selon Vincent Fleith, « si on laisse les spécialistes venir le faire ».

 

« Il y a une rigueur à avoir sur la première saison »

Patrick Schiffmann est vigneron-coopérateur pour la coopérative Bestheim sur 19 ha à Kaysersberg. En 2016, il a surgreffé 26 ares dans sa parcelle du grand cru schlossberg.

« Ce grand cru est le fer de lance de la coopérative en riesling et moi j’avais une jeune parcelle de gewurztraminer. J’ai émis l’idée de changer de cépage par surgreffage pour profiter de l’enracinement des gewurztraminers. » Un choix qu’il ne regrette pas même s’il a été un peu déçu par le taux de réussite obtenu de 75 %. L’entreprise de surgreffage l’a attribué à une mauvaise conservation de bois ce qui l’a laissé un peu dubitatif. Faire revenir l’entreprise pour reprendre les 25 % qui n’avaient pas pris s’est avéré compliqué. Le viticulteur pointe le manque de souplesse induit par le fait que la main-d’œuvre venue de l’étranger a un planning très rempli sur la saison. Finalement, il a arraché et replanté des jeunes plants. « Il y a une rigueur à avoir sur la première saison », souligne aussi le vigneron. « Pour que la greffe se fasse, il faut un apport d’eau. J’en ai mis 3 ou 4 fois dans la saison. Il faut un soin particulier au niveau des pousses, il faut les attacher, les surveiller. Si elles cassent, c’est perdu. » Mais au final, il juge que « l’opération est valable, même si ce n’est pas du 100 %. Économiquement on s’y retrouve ». Le coût a été de 2,40 €/pied. Dès l’année suivante, il a récolté. « Ce n’était pas une vendange pleine mais c’était qualitatif. » Il estime avoir ainsi gagné six à sept ans.

Xavier-Luc Linglin, directeur des vins & vignobles des domaines François Lurton

« Quelle que soit la technique, il faut avoir le coup de main »

« Il y a deux ans et l’an passé nous avons fait une grosse campagne de surgreffage de cabernet sauvignon sur du sauvignon blanc au Chili, à Lolol dans la vallée de Colghagua où est situé notre Hacienda Araucano. Sur une vigne de moins de 10 ans je préfère un T-bud ou un écusson mais sur des pieds anciens de 20 ans comme à Lolol, le surgreffage en fente était la technique la plus appropriée. Elle peut s’utiliser sur une plage de temps plus grande. Elle permet d’éliminer le cas échéant les bois malades. Quelle que soit la technique, il faut avoir le coup de main et nos équipes sont familiarisées avec celle-ci, ce qui se retrouve dans le taux de reprise de 91 % que nous avons obtenu. On met deux greffons. Si les deux prennent, le plus faible sera sacrifié à la taille. Cette technique a un gros inconvénient : la plaie de taille qui est importante. C’est une source d’entrée des maladies. Nous la protégeons avec un baume cicatrisant fait avec notre propre recette. Il est essentiel d’éviter le dessèchement du point de greffe. Ici on l’a recouvert avec du papier aluminium qui a l’avantage de bien prendre la forme des contours, mais sur les sols meubles on butte carrément le pied et la greffe avec de la terre ».

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