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Le collectif de la filière porcine française en danger

L’actualité de ces derniers mois démontre les tensions grandissantes dans la filière. Les dossiers de la fin de la castration à vif et de l’équarrissage sont révélateurs du délitement de l’action collective.

« Le collectif, encore le collectif, toujours le collectif… ». L’intitulé du rapport d’orientation du comité régional porcin (CRP) de Bretagne présenté par son président Philippe Bizien le 1er juillet dernier est révélateur de l’inquiétude qui saisit aujourd’hui les représentants syndicaux des éleveurs de porcs. Progressivement, un nombre important d’actions collectives mises en place au fil des années sont mises à mal par les projets d’entreprises, dont les objectifs de créer de la valeur ajoutée demandent parfois une mise en œuvre individuelle. C’est le cas notamment des alternatives à la castration à vif qui devront être mises en place au 1er janvier 2022, et de la gestion de l’équarrissage.

Fin de la castration à vif : les éleveurs toujours dans le flou

L’assemblée générale de l’interprofession Inaporc le 6 juillet dernier n’a pas apporté d’avancées sur le dossier de la castration. Les trois techniques alternatives à la castration à vif sont désormais bien identifiées : l’élevage de mâles entiers, la castration sous anesthésie locale ou générale, et l’immunocastration. « Mais la solution ne sera pas unique », souligne Caroline Tailleur, directrice adjointe d’Inaporc. « Elle dépendra du choix des opérateurs et des filières. » Autant dire qu’un accord consensuel n’est plus à l’ordre du jour.

D’un côté, les structures représentant les producteurs poussent pour que le mâle entier devienne la production de référence, avec cependant des dérogations possibles pour des filières nécessitant la castration des porcs comme dans le Sud-Ouest. Ces dérogations devront être accompagnées de plus-values permettant de couvrir les surcoûts. De l’autre, le principal syndicat d’abatteurs, Culture viandes, se positionne clairement contre l’élevage de mâles entiers, arguant de problèmes de qualité, voire de viande « impropre à la consommation ».

Les gros abattoirs ne se sont pas encore positionnés sur la mise en place de moyens permettant la détection des carcasses odorantes, de son financement et de la nécessaire modification de la grille de paiement. Un protocole de détection par des nez humains est en cours de validation par Uniporc Ouest . Il devrait être prêt au 1er janvier 2022. Mais Paul Auffray, son président, est très prudent. « Ça ne va pas se faire comme ça… L’année 2022 ne sera sûrement pas de trop pour discuter, négocier, trouver un consensus entre la production et les abatteurs », a-t-il affirmé, lors de l’assemblée générale d’Uniporc le 1er juillet dernier.

Guillaume Roué, président sortant d’Inaporc, a d’ailleurs ironisé sur la complexité du dossier. « Je souhaite bien du plaisir aux groupements pour choisir les élevages concernés par la castration », a-t-il lancé. En effet, dans les régions où la castration devrait cohabiter avec la non-castration — à hauteur de 50 %, selon lui —, une sélection devra, de fait, s’opérer. Une chose est sûre, ce dossier « va changer le paysage porcin français », le poussant probablement vers davantage de contractualisations, car les orientations prises engagent à la fois « l’éleveur et son client ».

Équarrissage : la Cooperl prend son indépendance

Le groupe lamballais explique dans une lettre ouverte à Julien Denormandie datée du 28 juin qu’il veut quitter ATM (le système interprofessionnel d’équarrissage) pour valoriser en biocarburant les cadavres d’animaux issus des élevages de ses adhérents, afin d’alimenter sa flotte de camions. Un projet dans lequel elle a « lourdement investi ». « Les animaux trouvés morts en ferme sont la propriété des éleveurs et un gisement potentiel de valorisation », écrit la coopérative. « Cette valorisation va revêtir un caractère crucial dans les années à venir, la filière porcine devant au plus vite décarboner sa production. »

Pour contrer l’initiative de la Cooperl, les administrateurs de l’interprofession Inaporc (dont Cooperl ne fait plus partie) ont choisi à l’unanimité cinq jours avant ce courrier de rendre obligatoires les deux cotisations ATM (amont et aval), jusque-là volontaires. Une décision qui vise « la sécurisation du financement de l’équarrissage », précise Culture viande (abatteurs) dans sa newsletter du 25 juin.

Un argument réfuté par Cooperl, qui estime que « l’initiative et la liberté d’entreprendre que revendique le groupe ne mettent pas en danger la pérennité du système ATM ». Et de rappeler que ses volumes « ne représentent que 5 millions d’euros, soit moins de 5 % du total » du budget de l’équarrissage en France, toutes espèces confondues.

François Valy, le président de la Fédération nationale porcine, ne partage pas cet avis. « Aujourd’hui, le coût de l’équarrissage est mutualisé, rappelle-t-il. Il est supporté à 80 % par l’aval. Sans ATM, le coût pour les éleveurs pourrait varier de un à dix selon les territoires. » Philippe Bizien, le président du Comité régional porcin de Bretagne, enfonce le clou. « Certains enjeux sont indiscutables. Sur l’équarrissage, l’enjeu sanitaire est national et concerne toutes les productions. »

Dans son courrier, Cooperl exhorte aussi le ministre à demander à Inaporc de « se réformer en profondeur et de faire la transparence sur ses comptes », dénonçant « le caractère opaque et depuis longtemps irrégulier, voire illégal, de l’interprofession porcine Inaporc, organe de gestion des ATM ». Les comités régionaux porcins de Bretagne et des Pays de la Loire avaient bien essayé de « créer les conditions du dialogue pour aller au fond des dossiers ». « À ce jour, nous avons une fin de non-recevoir », déplorait Philippe Bizien à l’AG du CRP Bretagne. « Mais la porte sera toujours ouverte. » Une porte que Cooperl semble avoir prise définitivement.

« Je souhaite bien du plaisir aux groupements pour choisir les élevages concernés par la castration »

 

 
Guillaume Roué, président sortant d'Inaporc
Guillaume Roué, président sortant d'Inaporc © D. Poilvet

Guillaume Roué, président sortant d’Inaporc

Tensions autour des outils industriels

Sur le terrain, la Cooperl affiche ses ambitions de développement, avec notamment la récente reprise de l’abattoir Gad à Lampaul-Guimiliau. En parallèle, le groupe Avril veut céder son abattoir Abera. Un mouvement de recomposition industrielle qui, combiné aux prises de position sur la castration et sur l’équarrissage, attise les tensions. Dans un communiqué de presse en date du 23 juin dernier, les CRP de l’Ouest considèrent que « l’avenir des éleveurs et de toute la filière porcine française ne peut être pris en otage par l’actuelle guerre agro-industrielle » qui « génère des tensions et attise des pressions de toute part ». Les CRP « saluent les initiatives industrielles et partagent les idées exprimées du développement de la production ». Mais ils mettent en garde contre « tout risque de casse industrielle et d’emplois que pourrait entraîner une surcapacité d’abattage. Il en va aussi de l’équilibre de l’emploi sur les territoires ».

Toujours pas de références techniques nationales

Depuis 2015, l’Ifip ne peut plus diffuser les références technico-économiques nationales issues des GTE et des GTTT. Lors de l’assemblée générale du CRP Bretagne, une présentation de l’Ifip sur les performances techniques comparées des principaux pays européens producteurs de porcs a illustré l’absurdité de cette situation. Les chiffres de productivité de nos principaux concurrents européens y étaient mentionnés, mais pas ceux de la France. « C’est incroyable », a aussitôt réagit François Pot, le président sortant du MPB. « Aujourd’hui, un éleveur français ne peut plus comparer ses performances à celles des autres éleveurs et de ses concurrents étrangers, alors que je suis certain que ceux-ci connaissent parfaitement nos chiffres. J’ose espérer que leurs représentants reviendront à raison et permettront à nouveau la diffusion des chiffres GTE. »

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