Luzerne : sept erreurs à éviter au semis
La luzerne est une culture fourragère exigeante qui réclame de la rigueur et une certaine technicité pour bien démarrer. Tour d’horizon des principaux écueils rencontrés sur le terrain, par différents experts de cette légumineuse.
La luzerne est une culture fourragère exigeante qui réclame de la rigueur et une certaine technicité pour bien démarrer. Tour d’horizon des principaux écueils rencontrés sur le terrain, par différents experts de cette légumineuse.



1 - Choisir une parcelle au sol inadapté
La luzerne ne peut pas s’installer correctement dans tous les types de sol. Elle a besoin d’un sol aéré et non asphyxiant. Elle ne tolère pas les excès d’eau avec des sols engorgés ou qui se réessuient mal. Lui fournir un sol sain est essentiel pour permettre aux bactéries (rhizobiums) qui vivent en symbiose sur ses racines, de capter l’azote de l’air à son profit.
Les sols compactés sont aussi à proscrire. La luzerne est sensible aux problèmes de structure du sol. Il faut par exemple éviter de créer une semelle de labour. Il est préférable de lui attribuer des sols profonds pour profiter des capacités exploratoires de sa racine pivotante.
La luzerne affectionne les sols neutres ou peu acides. Le pH optimal à partir duquel elle produit tout son potentiel est de 6,5. « Mais il reste possible de la cultiver à des pH inférieurs, nuance Patrice Pierre, de l'Institut de l'élevage. Par exemple, sur la ferme expérimentale de Thorigné-d’Anjou, nous la cultivons dans des sols à 5,5 de pH. Le tout est de corriger l’acidité en chaulant régulièrement. » Un amendement d’une tonne de CaO par hectare est à prévoir avant l’implantation en prenant soin de l’incorporer dans les dix à quinze premiers centimètres, puis tous les deux ans.
2 - Ne pas tenir compte du calcium du sol
Le pH du sol n’est pas le seul critère à prendre en compte. Il faut également regarder la quantité de calcium et des autres macroéléments et oligoéléments disponibles pour la luzerne. « Dans des terres sous 5,5 de pH, le calcium et d’autres éléments fertilisants ne sont pas disponibles. Dans ce cas, il faut changer de parcelle, indique Cédric Pasquier, de Cérience. Mais même dans un sol à pH basique, on peut avoir une faible disponibilité du calcium et être obligé de chauler. »
3 - Semer trop tardivement en fin d’été
« L’une des principales causes d’échec tient aux semis trop tardifs à l’automne », relève Mickaël Coquard, de Rhône Conseil élevage. Après le 15 septembre, les chances de réussite sont minimes car la luzerne n’est pas suffisamment développée avant l’hiver. » « L’autre problème rencontré en semant des mélanges de luzerne-graminées trop tardivement à l’automne, c’est aussi que les graminées concurrencent la luzerne car elles s’installent plus vite, poursuit le conseiller. Globalement, un mélange semé au printemps ressort avec une dominante luzerne à 80 %, alors que la proportion se voit inversée avec le même mélange semé à l’automne. »

Semer en début d’été est la meilleure solution pour obtenir un rendement maximal dès la première année de production. En intervenant le plus tôt possible après la culture précédente. « L’idéal est de semer juste après l’enlèvement des pailles et après une orge, qui a l’avantage de se récolter plus tôt que le blé. Un semis précoce assurera une couverture du sol pendant l’hiver. Dix à quinze jours de gagnés sur l’implantation peuvent faire une grosse différence sur le développement de la plante », indique Gilles Crocq, de Seenovia. En semant tôt dès fin juin-début juillet, la luzerne a le temps de se développer suffisamment avant l’hiver. Mais encore faut-il que les conditions météo le permettent.
« Il reste possible de semer après le 15 août, et au maximum jusqu’au 10-15 septembre », considère David Delbecque, animateur du GIEE Légumineuses de Normandie de l’association Apana. Il nous est arrivé de devoir attendre la récolte du maïs ensilage pour semer une luzerne dans le cadre d'un essai. Le semis est intervenu un 27 septembre. C'est un bel exemple de ce qu’il ne faut pas faire, c’était beaucoup trop tard. La luzerne s’est développée très lentement, la parcelle a été très sensible au salissement et aux attaques de ravageurs… »
4 - Semer en conditions trop sèches
Le choix de la date de semis doit également se faire en fonction des conditions d’humidité rencontrées. « S’il est possible de semer un colza dans le sec, ce n’est pas du tout envisageable avec la luzerne », pointe Romain Carpentier. En été, si l’hygrométrie du sol n’est pas là, mieux vaut reporter le semis de luzerne et attendre que la fraîcheur revienne. « Quitte à devoir reporter le semis à la prochaine pluie, fin août voire début septembre, insiste le conseiller. Et si les conditions ne sont vraiment pas réunies avant le 10 septembre, il est préférable de décaler le semis au printemps suivant, étant donné le risque d’échec lié aux conditions sèches. »
5 - Lésiner sur la fertilisation minérale
Une fumure insuffisante limite le rendement et la pérennité. La luzerne est peu consommatrice de phosphore, mais elle fait partie des espèces très exigeantes vis-à-vis de cet élément notamment dès son implantation, pour le développement optimal et rapide du système racinaire. Des travaux menés il y a plusieurs années à la station Arvalis de La Jaillière, sur des sols avec de faibles disponibilités en phosphore, ont confirmé l’importance d’un apport de 60 unités de phosphore par hectare, sous forme de superphosphate, avant le semis en août.
Concernant la potasse, à l’inverse du phosphore, la luzerne est moyennement exigeante pour cet élément, alors que ses exportations sont très élevées (26,2 kg de K2O/t MS). « Je conseille l’apport de 200 kg/ha de potasse de type chlorure avant le semis, notamment si la luzerne est associée à une graminée, indique Gilles Crocq. Les légumineuses ont plus de difficulté à absorber la potasse que les graminées, d’où l’importance de favoriser la disponibilité. »
Une analyse de sol complète l’année précédant le semis est indispensable pour piloter les impasses sans prendre de risque. Attention également aux oligoéléments ! Vérifier leur disponibilité, plus particulièrement celle du molybdène qui contribue au bon fonctionnement du rhizobium, et celle du bore qui participe à la fixation de l’azote.
6 - Utiliser des semences non inoculées
Il est communément recommandé d’inoculer la semence avec Rhizobium meliloti dans les sols dont le pH est inférieur à 6,5 ou qui n’ont pas reçu de luzerne depuis plus de dix ans, ou encore dans les sols à faible teneur en matière organique. La bactérie ne se conserve pas en sol acide et disparaît en l’absence de luzerne. Les experts s’interrogent également sur de possibles effets dépressifs des précédents culturaux. Du coup, ils estiment que, vu le coût de l’inoculation (20 €/ha) et le bénéfice de la symbiose qui s’amortit sur plusieurs années, autant inoculer en systématique. L’inoculation manuelle s’effectue le jour du semis, à hauteur de 400 grammes d’inoculant pour 50 kilos de semences de luzerne et nécessite quelques précautions.
Les semenciers proposent depuis plusieurs années des semences enrobées pré-inoculées. « Mais la réussite de la symbiose des semences pré-inoculées n’est pas toujours au rendez-vous », témoigne Gilles Crocq, en recommandant par sécurité d’inoculer soi-même les semences. David Delbecque prodigue le même conseil. « Nous avons pu comparer à travers des essais une même variété pré-inoculée ou inoculée manuellement, expose le conseiller. Avec les semences pré-inoculées, le démarrage s’est montré plus compliqué, avec des luzernes de couleur très claire, révélant une faim d’azote. Sur les deux premières coupes, ces dernières ont produit 2 t MS/ha de moins que les luzernes inoculées manuellement, mais l’écart s’est estompé à partir de la troisième coupe. » Le conseiller alerte sur l’importance de conditions de stockage adéquates des graines pré-inoculées, aussi bien à la ferme que chez les agrofournisseurs, pour garantir l’efficacité optimale.
7 - Négliger le risque de cuscute
La cuscute est une plante parasite annuelle qui germe au sol au printemps. Elle se nourrit de la sève de la luzerne. La plantule de cuscute développe des filaments qui se fixent par des suçoirs aux tiges de luzerne, se ramifient et passent d’une plante à l’autre en formant des tâches qui peuvent rapidement atteindre plusieurs mètres de diamètre. La luzerne se dessèche et meurt.
La contamination d’une parcelle est principalement due au semis de semences infestées. Sa dissémination est ensuite très liée aux passages d’outils porteurs de filaments ou de graines de cuscute. Semae recommande d’utiliser des semences certifiées garantissant la qualité « zéro cuscute ». Et de se montrer très vigilant dans l’utilisation de semences fermières car les graines de cuscute, de forme et de taille quasi identiques à celles de la luzerne, sont indifférenciables par un triage à la ferme.
MyLuzerne, une appli d’accompagnement technique
L’application gratuite myLuzerne, développée par Cérience, donne les clés pour améliorer l’implantation de la luzerne et optimiser sa productivité. « L’objectif est de mettre toutes les chances de son côté pour la réussite de sa culture, notamment en validant l’éligibilité d’une parcelle à recevoir la légumineuse pour la première fois, ou en identifiant les facteurs limitants d’une parcelle ayant déjà été semée en luzerne », indique le semencier. Le diagnostic agronomique est réalisé en quelques clics, en renseignant une vingtaine de points : type de sol, fertilité, historique de la parcelle… MyLuzerne référence également toutes les variétés de luzerne inscrites au catalogue français.
Le saviez-vous
Sur la culture précédente, le recours aux sulfonylurées, notamment au printemps sur céréales, peut avoir un effet phytotoxique sur la luzerne. Il est important de regarder l’historique des produits phytosanitaires utilisés sur la parcelle pour éviter tout risque de rémanence préjudiciable.
Mise en garde
En début du chantier, mieux vaut vérifier que les quantités semées correspondent bel et bien à l’objectif de densité retenu, généralement entre 20 et 25 kg/ha. « Par sécurité, je déconseille de se fier aveuglement aux réglages électroniques automatiques, alerte David Delbecque, des chambres d’agriculture de Normandie. Des écarts significatifs sont possibles. »