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L'agriculture périurbaine peut-elle nourrir Paris ?

En réponse à l’attente d’une nouvelle souveraineté alimentaire, les agricultures périurbaines se redynamisent à l’exemple de Paris. Destiné à créer « un écosystème durable, de la terre à l’assiette », le projet Agoralim veut accroître la part des circuits courts dans l’alimentation des Franciliens.

« Pourquoi les agricultures périurbaines ont disparu ? » s’est interrogé Stéphane Layani, président de la Semmaris, lors d’une séance que tenait l’Académie d’agriculture de France le 1er février à Paris, sur le thème des agricultures périurbaines face à l’urgence de souveraineté alimentaire. Le gestionnaire du marché de Rungis a rappelé que, dans son histoire, la région parisienne regorgeait de produits locaux de grande qualité, mais qu’entre le XIXe et le XXe siècle, l’Île-de-France est passée d’un approvisionnement par une agriculture locale à une agriculture nationale, voire internationale.

La raison en est simple : « l’activité agricole est avant tout une activité économique, et les agriculteurs sont des opérateurs économiques, obligés de faire des arbitrages à toutes périodes ». À titre d’exemple, l’Île-de-France était une grande région horticole, de production de fleurs, mais elle n’a pu résister face aux envolées des prix du foncier… Le haut fonctionnaire détaille les raisons de ce déclin. « Depuis plus de trente ans, la dissociation entre milieux urbains et ruraux, la distance entre l’agriculture et les citoyens sont devenues telles que peu à peu, il s’est établi une crise de confiance […]. La résurgence du bio et du local correspond avant tout à une réponse à un problème psychologique ».

Le Covid a révélé une appétence pour le local

Les consommateurs n’ont pas confiance en des produits qu’ils ne connaissent pas et de provenance lointaine. Dans un premier temps, le consommateur a demandé à la puissance publique de créer des labels pour se rassurer, mais la crise du Covid a révélé une appétence plus grande pour le local. « L’abandon programmé en 2023 et 2024 de 50 ha supplémentaires de vergers en bio ne laissera que 500 ha maximum de production intensive contre 5 000 ha après-guerre. À peine cinq arboriculteurs franciliens peuvent éventuellement enseigner la taille sur les poiriers en production qualitative », avertit Xavier Laureau, gérant des Fermes de Gally qui exploitent près de 90 ha en production maraîchère et arboricole en Île-de-France.

« À Rungis, plus de 300 agriculteurs vendent directement leur production et 60 % des produits sont issus d’une agriculture locale. Seulement, cela ne représente que 2,5 % des besoins alimentaires des Franciliens », mentionne Stéphane Layani. Si les 13 000 tonnes réceptionnées sont vendues en totalité, il s’agit plutôt de produits haut de gamme destinés aux restaurants et à l’exportation vers la Belgique et le Royaume-Uni. « Même si nous privilégions la production locale nationale 80 % des fruits et légumes vendus à Rungis sont français dont 50 % sous signes officiels de qualité le besoin en Île-de-France est énorme et nous n’en couvrons que 60 à 65 % », commente le responsable. « Pour développer une agriculture périurbaine, il faut créer des voies de transformation et de distribution », assure-t-il.

Un projet dans le Val d’Oise

Pour le président du MIN, « si l’on veut atteindre une forme de souveraineté alimentaire, il est indispensable d’avoir une vision étatique et technocratique des choses ». Il est évident qu’il n’y a pas assez de production locale autour de Paris, et « on ne peut demander aux céréaliers et aux éleveurs de se transformer en maraîchers ou arboriculteurs ». C’est pour cette raison que Stéphane Layani a porté l’idée de « réaliser un projet autour du Triangle de Gonesse, de la fourche à la fourchette, nommé Agoralim ». Il a ainsi remis le 7 février 2022 au Premier ministre un rapport sur ce projet, destiné à créer « un écosystème durable, de la terre à l’assiette » pour accroître la part des circuits courts dans l’alimentation des Franciliens.

Prévu à l’horizon 2026 au nord de Paris dans le Val-d’Oise, ce programme doit intégrer un centre de formation dédié aux pratiques agricoles durables, et plus largement aux métiers de la transition écologique, en lien avec l’université de Cergy-Pontoise, mais aussi un centre de production maraîchère, une légumerie, une conserverie, et une ferme pédagogique. Le projet s’installera sur quatre sites principaux sur près de 100 ha dans le Val d’Oise. « Il faut s’intéresser aux conditions économiques des investissements sur les exploitations agricoles, du stockage, de la logistique, et à la commercialisation pour envisager un redéploiement possible, souhaité et surtout faisable », insiste Xavier Laureau. « La région Île-de-France vient d’accentuer sa politique de soutien aux investissements de diversification des exploitations pour son nouveau programme, ce qui constitue un exemple concret sur le territoire. »

Maraîchage et arboriculture imposent une écoute particulière

Mais les incitations financières aux investissements ne fonctionneront pas si les bras manquent et si l’encadrement de production est inexistant. La robotisation ne réglera pas tout dans le domaine agricole, les connaissances agronomiques doublées d’intelligence concrètes sont nécessaires. « La génération urbaine séduite par les formes de micro-agriculture sera probablement une ressource pour accueillir un petit nombre en salariat ou en entreprenariat de demain », espère d’ailleurs Xavier Laureau. « Il est important de se confronter aux réalités de terrain de ceux qui vivent les réalités agricoles de filières solides. Celles des spécialisés en maraîchage et arboriculture imposent une écoute particulière, car elles sont souvent négligées dans le microcosme du ministère de l’Agriculture. Ne pas y prêter attention serait l’amorce d’un échec programmé de toute politique publique de soutien à l’investissement. », ajoute le chef d’entreprise.

« L’agriculture est une économie qui n’est pas toujours à l’avantage de notre modèle agricole français. Ceci implique d’avoir des agriculteurs, mais aussi d’obtenir la fierté du consommateur pour des produits locaux dans lesquels il se reconnaît et non des produits normés ». Pour le président de la Semmaris, il faut « travailler main dans la main avec la grande distribution ». Et d’ajouter que le MIN soutient comme il le peut les agriculteurs. « L’agriculture locale seule ne sera jamais suffisante, il faudra toujours de la diversité », car un primeur a besoin d’avoir un étal varié pour répondre à la demande de ses clients…

 

 
© C. Nioncel
« Intégrer les agriculteurs et être à leur écoute est un impératif » Stéphane Layani, président de la Semmaris, gestionnaire du MIN de Rungis.

En pratique

Le MIN de Rungis

1969 création du Marché international de Rungis

1 400 entreprises pour 12 000 salariés sur 234 ha

70 % des arrivages en fruits et légumes.

10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021

La main-d’œuvre, problématique aussi en périurbain

 

 
© C. Nioncel
Benjamin Simonot-De Vos est maraîcher en Seine-et-Marne, président du carreau des producteurs de Rungis et producteur de tomates et de fraises. « S’il y a eu une baisse du nombre de producteurs, nous sommes une cinquantaine aujourd’hui, le carreau n’a pas perdu pour autant de son dynamisme et de son activité ». La proximité de la capitale crée des difficultés, notamment par rapport aux coûts des terrains et de l’emploi de la main-d’œuvre, qu’il faut savoir fidéliser et payer davantage, tout en leur proposant un logement.

 

 

 
© C. Nioncel
Xavier Laureau, à la tête des fermes de Gally, insiste sur la difficulté du métier, ainsi que sur le souci d’attirer et fidéliser la main-d’œuvre. Sur les trois exploitations maraîchères et arboricoles en Île-de-France qui emploient plus de 20 personnes et de nombreux saisonniers, ce sujet est récurrent. « On a un déficit de main-d’œuvre chronique et ceci est surtout vrai chez nous, agriculteurs spécialisés. Nous devons proposer d’ailleurs un hébergement à nos salariés et devons les fidéliser ».

 

 

 
© C. Nioncel
Céline Vila, agricultrice maraîchère avec sept associés dans le réseau des Paysans de Rougeline sur trois départements (Gard, Pyrénées-Orientales et dans les Landes), emploie près de 500 ETP pour la production de tomates sous serres. Elle est aussi responsable de la commission emplois de Légumes de France. « La professionnalisation des ressources humaines est essentielle. Il est important d’investir dans un professionnel dans ce domaine et soigner sa « marque employeur ». Le logement est essentiel pour fidéliser ses salariés, surtout en périurbain ».

 

La difficulté de la logistique

 

 
Être à proximité du consommateur n’est pas forcément gage de simplicité. En circuit court, le transport est un impondérable. 60 % de producteurs périurbains n’intègrent pas son coût du transport dans leur prix de vente.

 

« Plus on s’approche de la ville, plus la logistique est optimisée en raison du plus grand nombre de consommateurs ; l’utilité des tâches logistiques peut alors se poser ». Il s’agit là d’une théorie, car les enquêtes réalisées par Fanny Provent, de la chaire Agricultures urbaines auprès de vingt agriculteurs parisiens, révèlent que ce présupposé est à nuancer pour deux raisons. Tout d’abord, les circuits courts sont bien dominants, mais pas les circuits courts en vente directe. Il y a souvent des intermédiaires et certains producteurs urbains indiquent que les AMAP et les marchés ne sont pas toujours adaptés à leurs pratiques. Ensuite, les discours sur les systèmes de production sont très souvent orientés sur la fraîcheur des produits et force est de constater que les tâches logistiques (qui ont court dans les circuits longs) permettent de réduire la périssabilité des produits.

93 % des producteurs font des livraisons très fréquentes

Or, à Paris, les sites de production et les activités (stockage, transformation) sont souvent fragmentés, ce qui génère du transport et des pertes de temps. D’autre part, les fermes urbaines ont généralement des équipements de stockage et de transformation plus réduits, et une attention forte est portée à l’impact environnemental en termes de conditionnement et de transport. L’ensemble de ces éléments tendent à limiter l’optimisation et à complexifier la logistique en agriculture urbaine et donc la vente.

D’après les résultats de l’enquête, réalisée auprès de 180 producteurs en circuits courts en vallée de Seine, le transport est un impondérable quasi systématique. 93 % des producteurs font des livraisons très fréquentes, en moyenne trois fois par semaine (ce qui représente 8 heures par semaine) et livrent 16 points différents à l’année. 50 % des producteurs n’arrivent pas à estimer le temps passé en livraison. Les tâches logistiques sont coûteuses et la part des coûts de livraison très variable. 50 % ne calculent pas du tout les coûts logistiques et 60 % n’intègrent pas le coût du transport dans le prix de vente et certains producteurs se déplacent à perte. Les stratégies de diversification des ventes multiplient les tâches logistiques.

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