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Les vins désalcoolisés chahutent la filière viticole

La nouvelle PAC, qui entrera en application en 2023, permet d’inscrire "Vin désalcoolisé" sur les étiquettes. En France, cette possibilité se heurte à de nombreux freins réglementaires et éthiques.

Le transfert du vin désalcoolisé du Codex alimentarius au périmètre de l'OIV pose de nombreuses questions d'ordre règlementaire. La filière peine à se mettre d'accord.
Le transfert du vin désalcoolisé du Codex alimentarius au périmètre de l'OIV pose de nombreuses questions d'ordre règlementaire. La filière peine à se mettre d'accord.
© J. Gravé

C’est l’une des grandes évolutions de l’OCM vitivinicole issue des négociations sur la nouvelle PAC. L’Europe a donné son feu vert pour inscrire sur les étiquettes "Vin désalcoolisé" ou "Vin partiellement désalcoolisé" (voir encadré) en lieu et place de "Boisson à base de vin désalcoolisé". Une évolution qui est loin de faire l’unanimité dans l’Hexagone.

Des produits jugés contraires à la définition même du mot « vin »

En théorie, la décision de l’Europe offre aux opérateurs vitivinicoles davantage de souplesse pour se positionner sur le segment porteur des boissons sans alcool. En pratique, ce choix sémantique soulève de nombreuses questions, notamment sur le plan réglementaire. Pour Matthieu Dubernet, dirigeant des laboratoires d’analyse éponymes et membre du groupe de travail sur les vins no/lo (contraction de no/low-alcohol) au sein de l’OIV, ces produits doivent entrer dans le périmètre de l’organisation.

« Certains États membres, comme l’Allemagne, autorisent déjà les mentions "Vin sans alcool" ou "Vin désalcoolisé" alors qu’elles sont interdites en France. Ça crée une distorsion de concurrence », assure-t-il. Il estime que ces produits d’origine vitivinicole, « doivent être accueillis au sein de la famille », tout en reconnaissant que cette catégorie a toutefois « besoin d’être structurée ». Ce à quoi s’oppose vivement le syndicat des vignerons indépendants. « Par définition, un vin est issu de la fermentation totale ou partielle du moût de raisin. Si on en enlève, et s’il y a moins de 8,5 % d’alcool, ce n’est pas du vin. Il faut assumer », pointe Jean-Marie Fabre, président du syndicat.

Des pratiques œnologiques qu’il reste à définir

Outre la question même de la définition, le champ réglementaire activé par la mention « Vin » est vaste. « La dynamique du marché no/lo est bien plus rapide que notre capacité à réglementer », avoue Matthieu Dubernet. L’OIV n’a pas encore défini clairement les pratiques œnologiques autorisées pour cette catégorie. Pour le moment, ces boissons relèvent donc encore du Codex alimentarius dans l’Hexagone. « L’aromatisation est courante dans les vins no/lo, or c’est une pratique interdite dans la réglementation sur le vin. Idem avec le glycérol, dont l’ajout dans le vin est aujourd’hui une fraude caractérisée », poursuit l’expert.

Le contrôle des procédés de désalcoolisation suscite par ailleurs des craintes du côté de l’administration. « Seule une analyse isotopique, coûteuse et fastidieuse, permet de vérifier qu’on n’a pas dilué simplement en ajoutant de l’eau dans le vin », rappelle Matthieu Dubernet. Enfin, la gestion des rejets est encore loin d’être claire. « Ce que l’on appelle le perméat, qui est un mélange d’alcool et d’eau, n’est pas défini par la réglementation. Il ne peut pas être revendu, contrairement à de l’alcool pur, et nécessite un traitement spécifique », soulève Philippe Cottereau, œnologue à l’IFV Occitanie. Autant de questions auxquelles l’OIV doit apporter des réponses.

Le risque de créer de la confusion en « usurpant l’image du vin »

Parallèlement aux multiples barrières juridiques, les produits no/lo font face à des blocages d’ordre éthique. Si Jean-Marie Fabre soutient qu’il est tout à fait « louable et compréhensible » que les opérateurs français souhaitent saisir cette opportunité de marché, il considère « dangereux » le fait d’y apposer le mot vin. « Il ne faut pas créer de la confusion auprès des consommateurs en usurpant l’image du vin, qui est un produit d’excellence, et en déstructurant sa plus-value culturelle », insiste-t-il. Il craint par ailleurs un impact néfaste sur l’image artisanale qu’incarne le vin. « Les techniques de désalcoolisation sont très industrielles, loin de l’artisanat viticole que nous défendons », argue-t-il. De ce qu’il observe, ces produits « sont extrêmement marketés » et trouvent leur place sur le marché par « une importante force commerciale ». « C’est vraiment une catégorie à part de celle du vin », estime Jean-Marie Fabre.

Les indications géographiques comme rempart ?

Quand bien même la France déciderait de s’aligner sur la décision européenne, le système des indications géographiques (IG) pourrait constituer une barrière au déploiement de la mention « Vin partiellement désalcoolisé ». C’est en tout cas le pari que fait Jean-Marie Fabre. « Les cahiers des charges de nos IGP et de nos AOP, qui couvrent 93 % de nos surfaces, sont là pour protéger l’identité de nos vins. Ce sont des garde-fous », affirme-t-il.

Des propos qui trouvent écho du côté de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlées (Cnaoc). « Les signaux qui montrent que l’on pourrait avoir une demande d’évolution des cahiers des charges en ce sens sont très faibles. À ma connaissance, aucune AOC ne s’est manifestée à ce jour », expose Éric Tesson, directeur de la Cnaoc. Il estime que les priorités portent davantage sur l’encépagement et les pratiques culturales que sur les techniques de désalcoolisation, « qui coûtent très cher ». Ce que confirme Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, siégeant à l’Inao. « Il faut d’abord que l’OIV avance sur les pratiques avant que le sujet soit abordé au sein de l’Inao. Mais il est certain que ce sera au programme après le renouvellement du comité, prévu pour février 2022 », relate-t-il.

La nouvelle PAC doit entrer en vigueur le 1er janvier 2023. La filière dispose donc de moins d’un an pour fixer un cadre solide. Un délai qui semble très court compte tenu de la complexité des enjeux.

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Distinguer les différentes catégories de vins désalcoolisés

L’Union européenne se base sur les résolutions de l’OIV pour réglementer les pratiques œnologiques. La nouvelle PAC s’appuie donc sur les résolutions OIV-ECO 523-2016, OIV-ECO 433-2 012 et OIV-ECO 432-2 012 pour définir la catégorie des vins peu ou pas alcoolisés. Ces dernières précisent que les vins désalcoolisés contiennent moins de 0,5 % d’alcool. Au-delà, on parle de vins partiellement désalcoolisés. Seuls ces derniers peuvent revendiquer une AOC ou une IGP.

« Nous mettons en avant la faible quantité de calories »

 

 
Maggie Frerejean-Taittinger, cofondatrice de French Bloom
Maggie Frerejean-Taittinger, cofondatrice de French Bloom © French Bloom

 

« French Bloom est une marque d’effervescents sans alcool commercialisés en France depuis octobre dernier. Il nous a fallu deux ans de R & D pour mettre au point les recettes, car nous sommes persuadées que le goût de nos produits est l’un des principaux arguments pour convaincre. Nous valorisons le côté sain de nos boissons, c’est pourquoi nous sommes très transparents sur leur composition. Nous utilisons des produits vegan et bio, et des arômes naturels que nous mentionnons sur la contre-étiquette. La quantité de calories, 19 kcal/ml, est aussi mise en avant. Nous empruntons certains codes au monde du vin, car nous souhaitons véhiculer les mêmes valeurs de partage et de convivialité. Toutefois, notre communication est axée sur le fait que ce n’est pas du vin mais bien un produit à part. C’est pourquoi nous ne considérons pas la mention "Vin" comme un atout pour valoriser nos produits. Nous utilisons beaucoup le marketing digital pour construire une communauté autour de notre marque et promouvoir un mode de vie sain. Les premiers retours sur nos ventes montrent que nous avons sous-estimé le marché français. »

« Nos clients appellent nos boissons "Vins sans alcool" »

 

 
Lucie Marret, responsable marketing & communication de La côte de Vincent
Lucie Marret, responsable marketing & communication de La côte de Vincent © L. Marret

 

« Nous produisons des boissons à base de vin désalcoolisé depuis 2002, principalement pour le marché français. Mon père a commencé par faire déguster à l’aveugle ces produits. Ça a tout de suite marché, notamment auprès des personnes âgées qui ont cette culture du vin mais dont la santé ne leur permet plus de consommer de l’alcool. Ce n’est que récemment que ça s’est accéléré. On a multiplié nos ventes pratiquement par trois entre 2020 et 2021. Les brasseurs ont énormément investi dans le marketing et la communication des bières sans alcool, et on en profite. Cela nous permet de capter de nouveaux consommateurs. Les gens sont curieux. Ils appellent déjà spontanément nos boissons "Vins sans alcool". Je pense que le fait de pouvoir l’afficher sur l’étiquette serait un coup de pouce supplémentaire pour démocratiser davantage nos produits. »

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