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Marchés
Le cours élevé de l’agneau joue en défaveur des producteurs bio

Si le cahier des charges bio est accessible pour un bon nombre d’élevages au pâturage, les bénéfices peuvent être fluctuants selon les modèles de production. Exemple en Moselle.

Stéphane Ermann, à la tête de 900 brebis et 180 ha de pâtures en Moselle, a décidé de se convertir à l’agriculture biologique en 2015. Ayant toujours travaillé de manière extensive, il voit dans le bio un moyen de valoriser sa conduite au pâturage. Afin d’asseoir son autosuffisance fourragère en vue de la conversion au bio, l’éleveur décide de réduire son cheptel et de modifier son assolement. Il passe donc de 1 100 à 900 brebis, et transforme ses 40 ha de culture céréalière en pâture. L’objectif est alors de nourrir autant que possible le troupeau à l’herbe, notamment pour la finition des agneaux. Claire Favier, coordinatrice de la filière ovine chez Unebio insiste sur l’importance de l’autonomie alimentaire au sein des exploitations biologiques. « Il faut être capable d’ajuster son niveau de production en fonction de ses capacités fourragères pour développer un système rentable. Le prix de vente est une chose, mais se pencher sur le coût de production peut également permettre de dégager des bénéfices. »

La crise du Covid 19 a déréglé les marchés

La succession des années sèches vient cependant éroder l’autonomie alimentaire. Si auparavant l’éleveur avait recours aux concentrés pour engraisser 20 % de ses agneaux, ce sont maintenant 70 % d’entre eux qui ont besoin d’être complémentés, et l’aliment grignote la marge. « Nous parvenons à atteindre une sorte d’autonomie collective à l’échelle de la région, au sens où je trouve des voisins agriculteurs bio pour me fournir en paille ou en céréales. Mais avec la succession des années sèches, je dois davantage complémenter mes agneaux, alors mécaniquement, le coût de revient augmente ». Lorsqu’il s’est lancé dans l’agriculture biologique, Stéphane Ermann vendait ses agneaux en moyenne 70 centimes de plus qu’en conventionnel, ce qui correspond grosso modo au surcoût engendré par l’achat d’aliment de finition pour agneaux sur son exploitation, mais la sécheresse change la donne et laisse le jeune agriculteur perplexe sur les stratégies à adopter pour préserver sa marge.

Le prix de l’agneau bio est fixé au semestre pour sécuriser le revenu des éleveurs

Le cours de l’agneau conventionnel a cette année atteint des sommets avec le Covid-19 et la diminution des importations. Dans ce contexte la filière bio a du mal à rester compétitive. En effet, l’éleveur est déçu par la rémunération estivale proposée par sa coopérative. « J’ai vendu mes agneaux dans le circuit de commercialisation bio, et ils m’ont été payés moins cher que des agneaux conventionnels, s’énerve l’éleveur. Cela ne valorise même pas la qualité de nos agneaux ». Les agneaux, classés U3 ont été rémunérés 6,70 €/kg carcasse en filière biologique, pour 7,20 € pour les agneaux conventionnels.

« Les prix fixés par Unebio sont construits sur deux semestres, alors que le cours de l’agneau conventionnel est beaucoup plus volatil, souligne Éric Cadieu, qui gère l’ordonnancement pour la filière agneau bio. Il peut arriver qu’exceptionnellement, les deux courbes se croisent, mais cela relève du conjoncturel. Nous proposons une manière de travailler différente, qui est plus sécurisante et qui offre de la visibilité aux éleveurs. Avec Unebio, ils savent ce qu’ils vont vendre, et à quel prix. Il faut avoir du recul sur une année au moins pour apprécier la plus-value apportée par le bio. L’été dernier, le cours de l’agneau conventionnel était beaucoup plus bas, nos agneaux étaient ainsi vendus 1,50 euro plus cher par rapport à la production classique ». De plus, les producteurs membres d’Unebio participent à un fond associatif afin d’aider au développement de la filière. En échange, ils bénéficient prix d’achat plus intéressants.

Sensibiliser les consommateurs à la saisonnalité de la production

La saisonnalité pose également problème. Le cahier des charges bio demande que la grande majorité des moutons soient élevés au pâturage, mais cela rend difficile l’approvisionnement des agneaux en hiver. Unebio cherche cependant à assurer la continuité de la production. Pour Claire Favier, « Si l’on ne fournit pas un magasin au premier trimestre de l’année, il ira chercher ses agneaux chez d’autres fournisseurs. Pour sécuriser le marché pour les agriculteurs, il est important de répondre à cette demande tout en tentant de sensibiliser le consommateur sur la saisonnalité du produit ». Unebio joue également sur la complémentarité des régions pour assurer la continuité de la production. C’est notamment dans ce cadre que le prix de l’agneau est fixé au semestre, afin de valoriser davantage l’agneau de début d’année, plus difficile à produire. Stéphane Ermann quant à lui regrette que le consommateur ne soit pas davantage compréhensif « En Lorraine, c’est très difficile de produire des agneaux pour le début de l’année, avec des agnelages à l’automne, j’ai peur que mes agneaux aient des problèmes de boiterie. Je suis presque dans une impasse de production pour cette période. » Interbev incite pourtant les consommateurs à privilégier l’agneau bio à l’automne à travers sa campagne « L’automne, c’est la saison de l’agneau ». L’interprofession propose ainsi des kits de promotion composés de signalétiques, livrets recettes ou outils digitaux, aux magasins désirant valoriser la viande d’agneau de la mi-septembre à la mi-novembre. Des actions sont également réalisées à l’automne dans les restaurants scolaires et lors d’événements grand public. Une façon de rappeler que consommer de la viande d’agneau issue de l’agriculture biologique à l’automne s’inscrit dans le cycle naturel de la production.

Unebio commercialise 18 000 agneaux bio par an

La demande en agneau bio croît régulièrement et Unebio souhaite accueillir de nouveaux producteurs afin de sécuriser l’approvisionnement de leurs clients. Si Unebio commercialisait 14 000 agneaux bio en 2014, ce sont maintenant 18 000 agneaux qui sont écoulés. Pour Stéphane Ermann, la filière de commercialisation longue de l’agneau bio doit continuer à se construire. « Les agriculteurs qui font de l’agneau bio l’écoulent généralement en vente directe, mais il faut aussi penser aux gros élevages. On me qualifie d’ailleurs souvent d’industriel, mais je n’ai jamais que cinq brebis à l’hectare », se défend l’éleveur, fermement décidé à valoriser la qualité de ses agneaux.

Au-delà de l’aspect financier, Claire Favier rappelle que le passage au bio relève également d’un engagement éthique. « La conversion engendre souvent des changements de modes de production, où beaucoup de variables entrent en jeu : taille du troupeau, alimentation, surface fourragère… Les agriculteurs bio ont également moins de marge de manœuvre en cas de problème, que ce soit dans les champs comme au niveau de l’alimentation des animaux. Il s’agit surtout de changer de manière de produire, éventuellement de gagner plus, mais cela dépend du modèle suivi par l’exploitation ». Stéphane Ermann est quant à lui plus pragmatique : « On ne va pas faire du bio pour faire du bio, il faut que le travail soit rémunérateur ! ».

L’avis de Claire Favier, Unébio

« Des prix stables et rémunérateurs pour les éleveurs engagés »

« Unébio est un outil de commercialisation de la viande bio créé en 2004 et regroupant 2 800 éleveurs bovins, de veaux, ovins, porcins et avicoles. Nous commercialisons environ la moitié des ovins bios français. Une commission pilotée par les éleveurs définit les grilles de prix d’achat pour le premier et le deuxième semestre. Les prix sont stables dans le temps et déconnecté du conventionnel. On cherche la stabilité plutôt que de jouer les opportunistes. Ça sécurise le système et les éleveurs. On fait peut-être moins de marge à un moment donné mais c’est comme cela que fonctionne une filière structurée. Nous travaillons avec de relativement petit volume, 350 à 400 agneaux par semaine, donc nous avons besoin d’anticipations. Pour cela, les éleveurs planifient leur production à l’avance. C’est un engagement responsable de leur part. En ce moment, certains peuvent être tentés de vendre à côté mais il faut jouer le jeu. C’est la première fois en cinq ans et demi que je vois des prix conventionnels plus élevés que le bio. A priori, nous ne bougerons pas les prix. Si on s’aligne à la hausse maintenant, il faudra les baisser à un autre moment. On rentrerait alors dans un jeu d’offre et de demandes que nous ne voulons pas suivre. Les éleveurs qui s’engagent avec nous et planifient leur production peuvent avoir un bonus de prix. Les éleveurs peuvent aussi s’engager en participant à un fond associatif pour investir dans le développement de la filière. »

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