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Prairie : le bio sans labour est-il viable à long terme en élevage bovin ?

En Normandie, trois ans d’essais comparant une conduite avec labour et une sans labour tendent à conclure qu’il ne faut pas s’interdire de réaliser un labour pour détruire la prairie. Le point avec Thierry Métivier, de la chambre d’agriculture.

Le labour perturbant la vie du sol et le non-labour pouvant améliorer le stockage du carbone, le programme normand Reine Mathilde a voulu analyser dans quelle mesure ne pas labourer est possible en agriculture biologique.

Un essai a été conduit pendant trois ans à Tracy-Bocage dans le Calvalos. Le sol y est limoneux sablo-argileux profond avec 3,6 % de matière organique. Les chambres d’agriculture de Normandie ont suivi deux rotations alternant cultures d’hiver et de printemps, avec un sol couvert en permanence.

La rotation « élevage » a enchaîné prairie temporaire, méteil ensilé (féverole et pois), maïs fourrage, méteil, maïs fourrage, association orge et pois protéagineux d’hiver puis association épeautre féverole. Dans la rotation « culture de vente » se sont succédé prairie temporaire, blé, maïs grain, association triticale et féverole, association orge et pois protéagineux d’hiver puis orge de printemps.

Pour chaque rotation, une conduite avec un labour par an (classiquement pratiquée par l’exploitant) était comparée à une conduite sans labour, mais avec du travail du sol superficiel pour gérer le salissement.

Quels effets positifs d’une conduite sans labour avez-vous observés ?

Thierry Métivier, chambre d’agriculture Normandie - « La structure du sol est améliorée et la biomasse microbienne aussi. La vie microbienne participe sans doute au fait que l’on observe plus de reliquats d’azote en sortie d’hiver.

Le non-labour a un impact favorable sur la consommation de carburant et les charges de mécanisation, qui est surtout lié à un travail plus superficiel. Ce n’est pas lié au nombre de passages d’outil. En effet, selon les années, il y en a autant, ou un de plus ou de moins, qu’en conduite avec labour.

Le temps de travail est aussi un peu réduit en non-labour. C’est surtout à partir de la deuxième année que l’effet positif ressort sur ces trois aspects, car la première année comprenant la destruction de la prairie a été plus gourmande en interventions mécaniques en non-labour. »

 

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À l’inverse, quels points négatifs du non-labour avez-vous constatés ?

T. M. - « Le salissement s’est dégradé au fur et à mesure des années. Il y a eu de mauvaises levées en méteil et en maïs fourrage une année, avec un impact négatif sur les rendements. La raison est que malgré des conditions très humides l’automne 2019, nous avons saisi le premier créneau météo sans pluie pour récolter le colza fourrager qui venait après la prairie, pour semer le méteil. Le sol a été tassé et asphyxié par ces interventions.

« Il ne faut pas intervenir sur un sol trop humide en non-labour : cela se paye cher sur plusieurs années ! »

En labour le même jour, le travail du sol a permis une meilleure évacuation de l’eau. Cette erreur a fait que nous avons traîné de mauvais résultats jusqu’en troisième année en non-labour. Cela montre que cette conduite est plus sensible aux conditions humides que la conduite avec labour. Il aurait fallu laisser le colza fourrager en place, ne pas mettre en place le méteil et faire le semis de maïs au printemps comme prévu.

Et d’un point de vue économique ?

La marge nette qui tient compte des charges de mécanisation est plutôt dégradée par rapport à la conduite avec labour. En année de moins bon rendement, les charges moins élevées ne suffisent pas à compenser la forte baisse du produit.

Pour autant, l’équipe de la chambre d’agriculture reconnaît ses erreurs et estime qu’il est possible de faire du non-labour en bio de façon durable, mais pour cela, il ne faut pas s’interdire d’utiliser la charrue pour rattraper un salissement en dérive.

Comment mieux maîtriser les adventices en non-labour ?

T. M. - Après la destruction de la prairie sans labour, généralement en été pour bénéficier des conditions desséchantes, il faut une interculture étouffante avant le semis d’automne pour limiter les repousses de la prairie. Le colza fourrager convient à condition de réussir sa levée.

En première année, pour détruire la prairie sans labour, plus de passages de travail du sol sont sans doute nécessaires, et moins par la suite. Il faut des rotations diversifiées pour casser le cycle des différentes adventices. Nous n’aurions pas dû faire deux fois de suite un maïs car cela a amplifié la pression des chénopodes.

Sur le reste de la rotation, il faut des cultures étouffantes. Par exemple une association triticale-féverole, une association avec du seigle ou encore un méteil avec avoine, triticale, pois fourrager et vesce. Notre association orge-pois s’est révélée ne pas être assez étouffante.

Contrairement à ce que nous avons fait, il ne faut pas hésiter à passer tôt une houe rotative ou une herse étrille, quelques jours après le semis du maïs. Ce travail superficiel, sans se préoccuper des rangs, n’abîme pas le maïs et améliore la gestion du salissement.

Il est possible de faire du non-labour en bio de façon durable

Il faut également semer plus dense les cultures d’hiver par rapport à nos références en labour, car il y a des pertes de pieds à la levée. Pour maîtriser les chardons, il est possible de prévoir une absence de couvert végétal à un moment de la rotation pour pouvoir agir sur les rhizomes au printemps été.

Enfin, nous nous demandons s’il ne faut pas se réserver le labour pour détruire la prairie, pour ne pas multiplier les passages d’outils puis utiliser les techniques sans labour sur le reste de la rotation.

Le saviez-vous ?

L’impact des adventices sur le rendement n’est pas toujours marqué. Il a été faible voire nul en 2019 et 2021. Il semble que le sans labour rime avec plus d’activité biologique donc plus d’adventices, et des cultures certes moins denses mais plus vigoureuses et qui compensent sans doute.

Moins de vers de terre dans les parcelles non labourées

« Non-labour ne veut pas dire pas de travail du sol qui perturbe la vie du sol. Il a même fallu un passage supplémentaire en 2020 dans le maïs fourrage comparé à une conduite avec labour, réagit Thierry Métivier. En outre, le fait d’être intervenu sur un sol trop humide en 2019 a abîmé la structure du sol et l’a asphyxié, ce qui a dû pénaliser les vers de terre. Dans la rotation cultures, les vers de terre ont moins souffert en non-labour car il n’y a pas eu de travail du sol ; à ce moment-là, un colza fourrager était en place entre un blé et un maïs à venir. »

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