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Les Pays-Bas tournent la page du modèle hyperproductiviste

La pression sociétale et environnementale fait évoluer les éleveurs et les transformateurs vers un modèle "écoresponsable". Une rupture pas simple à mettre en oeuvre.

Les Pays-Bas réussiront-ils à désintensifier et à augmenter l'autonomie alimentaire des élevages ? La question reste entière.  © FrieslandCampina
© FrieslandCampina

" Les éleveurs laitiers néerlandais que nous avons rencontrés semblent perdus face à la pression réglementaire et sociétale ", campe Sébastien Guiocheau, de la chambre d'agriculture de Bretagne, suite à un voyage d’études aux Pays-Bas. L'occasion aussi de rencontrer Klaas Johan Osinga, salarié de la LTO, un organisme de défense des agriculteurs. " Ce dernier nous a dépeint des producteurs néerlandais en plein questionnement et confrontés à de nombreux défis. Avant, produire du lait, s'agrandir et intensifier étaient des objectifs de carrière. À présent, leur vision de l'avenir est brisée. "

Des contraintes nitrates, phosphore et ammoniac

L'après-quotas a poussé au paroxysme un modèle laitier hyper spécialisé et hyper productiviste à tous les niveaux :

- des terres avec une production moyenne de 15 000 litres par hectare ;

- des animaux à près de 9 000 l/VL/an en moyenne (8 850 kg en 2018, contre 8 300 kg en 2016) ;

- et des hommes avec une délégation des cultures, de l'élevage des génisses, et une automatisation des tâches souvent poussée. Les coopératives n'ont pas mis de contrainte aux volumes et le prix du lait était incitatif. " La collecte des Pays-Bas a progressé de deux milliards de litres en 2015 et 2016 ", rappelle l'Institut de l'élevage.

Mais trop c'est trop. Le plafond d'émission de phosphore des Pays-Bas (exigence européenne) a largement été dépassé sur ces deux années. Et la fin de la partie est sifflée en 2017 par la Commission européenne qui considère que les Pays-Bas ont suffisament joué avec la règlementation environnementale. Pour éviter de perdre leur dérogation à la directive nitrates(1) - ce qui aurait conduit à une réduction d’un tiers du cheptel de vaches laitières -, les Pays-Bas mettent en place un plan phosphore. Des primes ont accompagné des cessations d’activité et les éleveurs ont dû réduire leur cheptel afin de retrouver les niveaux de 2015. " Grâce aussi à la recherche sur l'efficacité et la composition des concentrés, aujourd'hui les Pays-Bas disent respecter leur quota phosphore. Ils seraient encore légèrement au-dessus de leur plafond nitrates, en 2018. Leur autre contrainte est l'ammoniac. Quand un éleveur investit, pour être aidé, il faut que son projet bâtiment comporte une solution pour réduire les émissions d'ammoniac ", indique l'Institut de l'élevage.

La société attaque le modèle hyper productif

Mais ce n'est pas tout. " Les scandales de la fraude aux déclarations d'effectifs de vaches et de la fraude aux lisiers ont terni le regard de la société sur les élevages hyper productivistes. La qualité des eaux, qui s’était légèrement améliorée, tend de nouveau à se dégrader. Ce mode de production et ses conséquences alimentent de nombreux débats au sein de la société qui veut voir évoluer les exploitations vers plus de bien-être pour les animaux, plus de pâturage et une prise en compte de l’impact sur l’environnement (nitrates, phosphore, biodiversité…) ", ajoute Sébastien Guiocheau.

Selon le conseiller, ces attentes sociétales perturbent davantage les éleveurs. " Économiquement, la règlementation phosphore et nitrates pose moins de problème aux exploitants car ils capitalisent les droits à phosphore. " Par contre, une désintensification peut rapidement détériorer les résultats des fermes, qui ont beaucoup capitalisé, notamment dans le foncier (70 000 €/ha en moyenne) et pour certains dans les droits d'émission de phosphore (environ 10 000 €/VL). C'est sans doute une des raisons pour laquelle le bio se développe peu aux Pays-Bas. " Le centre de recherche de Dairy Campus nous a exposé la volonté des jeunes générations de producteurs de produire différemment en allant vers plus de valeur ajoutée (lait non OGM, lait de pâturage…) et moins de volume. Mais comment feront-ils pour en vivre avec de tels coûts des facteurs de production (foncier, automatisation) ", s'interroge Sébastien Guiocheau.

Vendre un modèle plus pâturant

" Les Néerlandais essayent toujours de faire payer les contraintes de production par le marché ; ce qui ne sera pas une mince affaire, surtout sur les marchés du grand export. Ils cherchent aussi à éviter de trop gros surcoûts de production ", rappelle le conseiller.

FrieslandCampina - la grande coopérative des Pays-Bas qui représente environ deux-tiers des élevages néerlandais - communique largement sur les élevages de ses adhérents où les vaches pâturent plus, moins dépendants des achats extérieurs et notamment du soja... Elle développe sa production au lait issu de vaches nourries sans OGM. " Le nombre d'éleveurs engagés est passé de 400 à plus de 600 ", indiquait la coopérative en août dernier. " Les éleveurs engagés en non-OGM appliquent le pâturage sur leur ferme. (...) Cette année, 248 adhérents ont choisi de faire pâturer leurs vaches. La part d'éleveurs faisant pâturer leurs vaches est passé de 81,2 % en 2018 à 83 % en 2019. "  La démarche "On the way to PlanetProof" va le plus loin, avec des engagements sur le bien-être animal, le climat, la préservation de la nature.

Ces évolutions semblent compliquées économiquement parlant, vu le niveau d'intensification atteint par les élevages. Le gouvernement pourrait vouloir accélérer le changement. " Un député d’un des 4 partis de la coalition gouvernementale a récemment proposé de diviser par deux l'élevage - porcs, bovins, volailles... - pour permettre la construction de logements et de routes car le plafond d’émission d’azote (ammoniac, NOx,…) pour l’ensemble des secteurs émetteurs est actuellement dépassé. Le secteur laitier pourrait être privilégié car les élevages évoluant vers l’économie circulaire (en se limitant à l’utilisation d’aliments non utilisables par l’homme notamment) seraient épargnés, mais avec une densité de cheptel bien moindre, relate Christophe Perrot, de l'Institut de l'élevage. Le ministère de l’agriculture et la profession ont repoussé cette proposition provocatrice mais elle en dit long sur l’intensité du débat sur la place de l’élevage dans ce petit pays très densément peuplé."

(1) 230 ou 250 kg N org./ha suivant les types de sol, au lieu de 170 kg dans la plupart des États membres.

Chiffres clés

1,6 million de vaches laitières environ en 2018, soit - 11 % sous le sommet de 1,794 millions de décembre 2016)
13,88 millions de tonnes de lait collectés en 2018 ( -3 % par rapport à 2016)

Avis d'expert : Sébastien Guiocheau, conseiller à la chambre d'agriculture de Bretagne

" Entre la comm' et la réalité, l'élevage se cherche "

 

 
Sébastien Guiocheau, conseiller à la chambre d'agriculture de Bretagne © Chambre d'agriculture de ...

 

" La filière laitière essaye de vendre un modèle plus pâturant, mais nous n'avons vu que des taries et des génisses dehors. Et nous n'avons pas senti que l'on avait affaire à des gestionnaires de l'herbe. Pour les laitières, ils récoltent l'herbe et ils complémentent avec des coproduits pas chers. Cela leur permet de maintenir une productivité élevée par vache. Ils évoluent vers un modèle plus pâturant, mais qui reste très intensif pour pouvoir rémunérer les capitaux. "

Avis d'expert : Christophe Perrot, Institut de l'élevage

" La force de leur transformation est un atout "

 

" La rentabilité des exploitations laitières néerlandaises est bonne. Elles le doivent notamment à la puissance et au savoir faire commercial de leur transformation. FrieslandCampina (environ deux-tiers des élevages néerlandais en sont coopérateurs) octroie un des meilleurs prix du lait en Europe du Nord.

La coopérative a toujours misé sur la recherche de valeur ajoutée. Mais, depuis la crise de surproduction en Europe et le plan phosphore, elle ne recherche plus les volumes. Elle vient de fermer une usine de dessert sous marque distributeur (MDD) en Allemagne, peu rentable, pour se recentrer sur la promotion de ses marques sur des marchés plus valorisants. L'attention que la coopérative porte au lait de pâturage et aux attentes sociétales en général, avec des primes pour les éleveurs qui font pâturer, montre le changement et la volonté de monter en gamme. "

Un déficit de renouvellement

" L'âge moyen des chefs d'exploitation serait de 55 ans. La transmission des outils est très difficile compte tenu de l’importance des capitaux à reprendre. Le niveau des installations serait au plus bas en exploitation laitière. Le nombre d'exploitations familiales diminue (mais néanmoins nettement moins vite qu'en France) et les exploitations deviennent de plus en plus capitalistiques avec des troupeaux qui grossissent ", résume Sébastien Guiocheau, de la chambre d'agriculture de Bretagne, suite à un voyage aux Pays-Bas.

Un jeune qui paye cher pour être éleveur

 

 
Le niveau d'installations serait très faible, en raison des capitaux importants à reprendre et à investir.  © S. Guiocheau

 

Dans une des fermes visitées en Frise (117 vaches laitières à 10 500 l/VL, 55 ha de SAU), un couple d'exploitants a trouvé un repreneur hors cadre familial, ce qui est très rare aux Pays-Bas. " Ce jeune d'une trentaine d'années a conservé un emploi salarié extérieur à mi-temps pour pouvoir rembourser les annuités liées à la reprise de l'exploitation. Les cédants donnent un coup de main au jeune, pour assurer le travail sur la ferme ", raconte Sébastien Guiocheau. Le cas de ce jeune illustre la problématique des élevages néerlandais. " Il a un droit phosphore pour 86 vaches. Il veut en acheter pour régulariser sa situation. Or, les montants que nous avons entendus sont de l'ordre de 10 000 euros par vache. En outre, comme le bâtiment compte 130 places, il veut l'optimiser en baissant le nombre de génisses à élever et en augmentant le nombre de vaches. " Autre point de fragilité : l'élevage épand sur 15 hectares extérieurs à la ferme car ses 55 hectares de SFP ne suffisent pas.

Une certaine lassitude à la ferme Boonstra

L'exploitation des frères Boonstra, située en Frise, employeuse de salariés comme beaucoup d'élevages néerlandais, doit faire face au défi de la main-d'œuvre.

Les frères Boonstra, éleveurs laitiers en Frise, ont 420 vaches. Le cheptel a été réduit de 9 % avec l’application du plan phosphore. Les 184 hectares de surface (dont 90 ha à 80 km) sont conduits en herbe récoltée et maïs. La majorité des interventions culturales sont déléguées à une ETA. Trois salariés de nationalité polonaise font la traite : trois fois par jour, 2 h 30 chaque traite. " Selon les exploitants, il est difficile de fidéliser la main-d’œuvre, le faible niveau de chômage des Pays-Bas entrainant une pression sur les recrutements et les salaires ", raconte Sébastien Guiocheau. Du coup, les éleveurs se posent la question de la robotisation.

Dépités par la pression sociétale

Les éleveurs témoignent également de leur souhait de ne plus évoluer. À 55 ans, la question de la reprise par les enfants se pose mais n’est pas tranchée. " Le poids du regard de la société sur leur système de production, peu en phase avec les attentes sociétales, les questionne également. Une société très critique et exigeante mais qui selon eux ne se remet pas en cause sur des sujets non agricoles comme le transport aérien. "

C. P.

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