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« Le passage au bio a sauvé mon exploitation robotisée »

Nicolas Roybin a mené sa conversion au bio de main de maître, tout en maintenant la productivité du troupeau et en atteignant son objectif de complète autonomie alimentaire.

Décision de convertir l’exploitation le 12 mai 2016. Redémarrage du pâturage des vaches en lactation le 10 mars 2017. Première livraison de lait bio le 11 avril 2018... Les dates de sa conversion à l’agriculture biologique sont gravées dans la mémoire de Nicolas Roybin, éleveur à Trept en Isère, avec un cheptel de 95 vaches. Et pour cause. Passer en bio était une question de survie de l’exploitation. « J’en ai bavé pendant la crise de 2015-2016. J’étais au pied du mur. Soit je trouvais une solution, soit je changeais de métier. Le bio a sauvé mon exploitation. »

« Le déficit important de 2015 a contraint l’exploitation à demander une année blanche sur ses prêts en 2016. Cela a permis de maintenir la trésorerie de l’exploitation à flot », précise Olivier Marcant, conseiller de gestion au Cerfrance Isère. La ferme du Goula avait investi en 2014 dans deux robots de traite (240 000 €) et en 2015 dans un robot d’alimentation (160 000 € avec les aménagements), alors que les annuités de la stabulation (2008) n’étaient pas tout à fait terminées. « Mon système coûtait cher. Toute la complémentation était faite avec des aliments du commerce. J’en avais marre de faire vivre les autres quand, moi, je ne gagnais que 1 000 euros par mois. » Une motivation familiale également par un mode de production sans intrants chimiques. « J’avais tout pour arriver à faire quelque chose en bio : un cheptel efficace et d’un bon niveau génétique, des surfaces autour du bâtiment, 385 hectares de SAU dont 55 irrigués, une production de luzerne, de maïs, de soja... »

 

Mais passer d’un système conventionnel intensif sans pâturage à un système bio le plus autonome possible avec pâturage, sans trop baisser la productivité, n’était pas une mince affaire. La structure est très hétérogène, avec d’un côté des anciens marais irrigués (pompage individuel dans la nappe phréatique) de bon potentiel et, de l’autre, des sols très séchants peu productifs (dont 40 ha de prairies Natura 2000 qui n’assurent que le pâturage de 10 génisses). L’adaptation de l’assolement a été menée tambour battant. « À l’automne 2016, j’ai implanté 18 hectares de prairies multiespèces (OH 433 extra) pour la pâture des vaches et 22 hectares de mélange luzernier (OH323 pour sol séchant) pour l’ensilage et le foin, soit 6 000 euros de semences, détaille Nicolas. J’ai mis aussi un peu plus de soja (25 ha) et j’ai remplacé l’orge par des méteils grain (avoine, triticale, pois) pour la complémentation des génisses (17 ha). » Quelque 50 hectares sont en luzerne et mélanges luzerniers. Le maïs est récolté sous plusieurs formes pour exploiter au mieux sa valeur énergétique (ensilage coupé à plus de 50 cm, épi et grain sec). L’exploitation a réduit les cultures de vente au blé (30 ha) et au colza (4 ha).

 

Le bloc irrigué (55 ha) est conduit en rotation avec deux années et demi de luzerne pure, deux de maïs, et une ou deux de soja. L’éleveur prévoit d’y introduire une année de lupin pour rallonger la rotation et améliorer la structure des sols. Sur les sols calcaires superficiels, la rotation comprend trois années de mélange à base de luzerne ou de dactyle/ray-grass/trèfle violet puis deux ou trois années de céréales (blé, méteil, avoine). Les praires multiespèces, pâturées par les vaches, sont renouvelées par cinq hectares à la fois en intercalant un blé et un colza.

Des couverts pour éviter le salissement

Les itinéraires techniques ne sont pas encore complètement calés. La plus grosse difficulté étant d’éviter le salissement par les adventices. Nicolas Roybin a commencé à tester des couverts végétaux et prévoit de les développer fortement cette année. Derrière les céréales, il mettra un mélange féverole/seigle. Derrière le maïs, il prévoit plutôt un mélange triticale ou seigle avec de l’avoine et du radis chinois. Il envisage aussi un ray-grass/colza, derrière du maïs ensilé fin août, qu’il fauchera dès octobre ou novembre. « J’ai beaucoup de surface, je me peux me permettre de faire des essais. En bio, la surface, c’est la clé. » Il produit une grande partie des semences, qu’il fait trier à un voisin céréalier. Il n’achète qu’un peu de blé et de soja pour les renouveler et du pois et du triticale pour compléter le méteil, selon sa richesse. Et, bien sûr, le maïs et les fourragères. « Je vais rajouter une autre légumineuse dans la luzerne pour mieux couvrir le sol », prévoit-il encore. Il est satisfait des rendements obtenus en bio : 37 à 40 q/ha pour le blé au lieu de 60 quintaux en conventionnel, 100 quintaux en maïs grain, 22 quintaux en soja (la moitié n’est pas irriguée). Les cultures sont fertilisées avec les effluents d’élevage traités avec un activateur.

9 300 litres avec 20 €/1 000 l d’aliment acheté en bio

Le but initial de la réorganisation de l’assolement est atteint : la Ferme de la Goula est en complète autonomie alimentaire. « Dans l’alimentation, il n’y a pas assez d’UF, estime néanmoins l’éleveur. Les taux en pâtissent un peu. L’énergie, c’est ce qui manque le plus en bio. Donc, cette année, je vais implanter davantage de maïs (54 ha). » Mais, le plus remarquable, c’est qu’il a réussi à maintenir un haut niveau de productivité. Le cheptel – 85 % de Montbéliardes, 10 % de Prim’Holstein et quelques Jersiaises pour faire du croisement avec les noires – est d’un très haut niveau génétique. L’éleveur était un des premiers à faire du génotypage en Montbéliarde. Depuis la réintroduction du pâturage, il recherche des vaches un peu moins lourdes. La moyenne économique n’a baissé que de 1 000 litres (9 300 l en 2018) alors que l’étude prévisionnelle tablait sur 8 000 à 8 500 litres. Nicolas Roybin explique cette bonne performance, mais aussi les frais vétérinaires très bas (6 €/1 000 l) par le confort du bâtiment et la qualité des fourrages. Tout est mis en œuvre pour avoir des ensilages d’herbe riches en UF et MAT : prairies à forte proportion de légumineuses et souvent renouvelées, coupe précoce, taux élevé de matière sèche (36 %) pour favoriser l’ingestion, confection soignée du silo, utilisation systématique de conservateur... Les consommations de concentrés sont très basses. « Mes animaux ne sont pas poussés », dit-il.

Un bilan fourrager quatre fois par an

Dans sa quête de l’autonomie alimentaire et de la productivité laitière, l’éleveur fait une gestion très serré des stocks afin d’offrir une alimentation régulière au troupeau. Il a opté pour un service proposé par ses conseillers d’élevage (1 000 €/an) qui consiste à faire quatre fois par an un bilan fourrager et des rations prévisionnelles : en août, en octobre après la récolte du maïs et du soja, en janvier et en mai. Pour chaque fourrage et matière première, il sait ainsi quelle quantité il peut distribuer chaque jour. Les volumes restants dans les silos sont repérés par des marques sur les murs. « Si, en janvier, je vois que je vais être un peu court en maïs par exemple, j’anticipe des réformes, explique-t-il. Je m’interdis d’acheter. Je préfère perdre un peu sur le prix au kilo carcasse plutôt que d’acheter. En bio, l’anticipation est encore plus nécessaire qu’en conventionnel. » « À ma connaissance, c’est le seul éleveur qui fait des rations à 18 mois », assure Olivier Marcant.

Un peu plus de souplesse sur les robots de traite

La robotisation s’est révélée un précieux allié pour gérer la réintroduction du pâturage. Nicolas Roybin a légèrement réduit la taille du troupeau, de 110 à 95 vaches, pour « garder plus de souplesse sur les robots de traite. Je vise au moins 25 % de temps libre. Je gère seul l’exploitation donc je ne veux pas être saturé par les alarmes pour pouvoir être efficace dans mon travail ». En 2018, il a produit un peu plus de 900 000 litres de lait pour un droit à produire d’un peu moins de 1,1 million de litres. Les vaches en lactation (environ 80) disposent de 18 hectares autour de la stabulation, divisés en 35 paddocks (un par jour). La pâture est en accès libre, nuit et jour, sans porte de tri. L’éleveur fait juste rentrer les vaches le matin, vers 6 heures, et referme le portail, le temps de s’occuper des vaches à problèmes (retards...). Trois quarts d’heure plus tard, il leur redonne accès à la pâture. Vers 16 h30, le portail est refermé, comme le matin, mais sans faire rentrer celles qui sont dehors, puis rouvert pour la nuit. En moyenne, au printemps, le troupeau est à trois traites par jour et trois refus. « Je mets l’accent sur les pieds, précise l’éleveur. Le pareur vient quatre fois par an. Et je vais m’équiper d’un lavage de pieds (5 000 €) d’ici à l’été. »

Le robot d’alimentation adapte la distribution

En période de pâture, le robot d’alimentation ne distribue plus que six fois par jour, au lieu de neuf en hiver. « Lors d’une belle journée, si elle mangent beaucoup dehors, il donne moins à l’auge. Et on sait les quantités ingérées dehors », explique Nicolas Roybin. Il a constaté que les vaches mangent autour de 4 à 6 kilos de matière sèche d’herbe et 18 à 19 kilos à l’auge, et il a calibré les paddocks (50 ares) en conséquence pour ne pas avoir à gérer de refus. Fin avril, elles consommaient précisément 6,5 kg de matière sèche à la pâture et la ration distribuée par le robot comportait 12 kg brut de maïs ensilage (35 % MS), 12 kg d’ensilage de légumineuses (34 % MS), 3 kg d’enrubannage de luzerne 5e coupe (50 %) 3,4 kg de maïs épi (60 %), 1,1 kg de foin de luzerne et 0,8 kg de méteil. Aux robots de traite, elles ingéraient en moyenne 2 kg de maïs grain et 1 kg de soja expeller. Soit au total 23,8 kg de matière sèche. Une ration qui coûtait 4,3 €/VL/j ou 125 €/1 000 l (dont 57 € de fourrages, 64 € de concentré et 4 € de minéraux). En hiver, la ration comprend en moyenne 19 kg d’ensilage de maïs, 20 à 21 kg d’ensilage d’herbe, 5 kg de maïs épi et 2 kg de foin de luzerne. La complémentation aux robots de traite est identique. Ces rations permettent d’exprimer 30 à 35 kg de lait par jour. « J’ai des vaches à plus de 50 kg et des génisses à plus de 38 kg alors qu’elles vêlent à 26 mois, et elles sont en ration bridée », s’étonne Nicolas Roybin.

« Je me prélève un peu plus d’argent qu’avant »

« Le fait d’avoir trois salariés pour 95 vaches et presque 400 hectares de SAU me procure de la sécurité, ajoute-t-il. Nous sommes opérationnels en temps voulu et nous arrivons à être un peu partout. » Des salariés parmi lesquels il y a ses deux anciens associés. Nicolas Roybin a repris seul l’exploitation début 2018 suite à la conversion à l’agriculture biologique. « Je dois désormais assumer toute la gestion de l’entreprise, mais je me sens mieux. Je suis plus tranquille. Je prends le temps de faire les choses et je me prélève un peu plus d’argent qu’avant. Je dois aussi ma réussite à la confiance et à l’investissement de mes salariés ainsi qu’à l’appui très efficace que m’ont apporté mes conseillers d’élevage et de gestion. » « Gérer seul 900 000 litres de lait, 100 vaches, du personnel... n’est pas à la portée de tout le monde. Mais le système est aujourd’hui beaucoup plus cohérent », observe Olivier Marcant. À l’avenir, ce collectif va se réduire. Son père (salarié à mi-temps) va bientôt cesser son activité. « Je recherche un apprenti motivé », lance l’éleveur. Et, surtout, l’autre ancien associé prendra sa retraite en 2023. « Je réduirai peut-être la production laitière et je passerai à un seul robot de traite avec 60 à 70 vaches à la traite. Ainsi, je pourrai mettre presque tous les animaux sous le même toit et les alimenter en automatique. J’allongerai les rotations et je remettrai des cultures ou des fourrages de vente. Et je soufflerai un peu... » « À ce moment-là, les annuités auront fortement chuté, explique le conseiller de gestion. Il aura le choix de maintenir ou pas les volumes de lait car il ne sera plus contraint par des coûts fixes élevés. »

Chiffres clés

SAU 385 ha dont 54 ha de maïs (34 ha en ensilage, 10 ha en épi et 10 ha en grain), 25 ha de soja, 17 ha de méteil, 30 ha de blé, 5 ha d’avoine, 10 ha de féverole, 4 ha de colza et 50 ha de luzerne et de mélanges luzerniers, 102 ha de prairies temporaires et 98 ha de prairies permanentes
Cheptel 95 vaches à 9 300 litres
Référence 1 093 000 litres
Chargement 0,5 UGB/ha SFP
Main-d’œuvre 4 UMO (dont 0,5 bénévole)

Quatre façons d’utiliser la graine de soja

Extrudée, crue, toastée, tourteau expeller : chaque forme d’utilisation de la graine de soja a ses avantages et ses inconvénients. L’éleveur préfère les deux dernières.

Depuis qu’il est en bio, Nicolas Roybin a expérimenté quatre façons d’utiliser la graine de soja : extrudée, crue, toastée, tourteau expeller. La première et la dernière sont réalisées localement. En revanche, en Isère, aucune entreprise ne pratique le toastage. Jusqu’à présent, il travaillait avec un fabricant d’aliment de la Vienne, avec lequel il faisait un échange. L’année dernière, cela n’a pas pu se faire car les périodes de récolte étaient décalées. Sur les 44 tonnes récoltées, 24 tonnes ont donc été extrudées et 20 tonnes transformées en tourteau expeller. Les tarifs du travail à façon (rendu cour de ferme) s’élèvent à 131 €/t pour l’extrudé (par 3 tonnes), 177 €/t pour l’expeller et à 100 €/t pour le toasté (moitié prestation, moitié transport). Ces deux derniers sont livrés par 30 tonnes. L’éleveur envisage de s’équiper d’un toasteur. En termes d’alimentation, chaque forme a ses avantages. Le tourteau expeller est « un aliment moins riche en matière grasse et plus haut en MAT (48 %). L’inconvénient, c’est que pour une tonne de graine, on ne récupère que 780 kg de tourteau », indique Jean-Philippe Goron, de Ardèche Drôme Isère Conseil élevage. La graine extrudée « permet de protéger l’azote, ce qui manquait dans notre ration avec une forte proportion de luzerne », poursuit le conseiller. Par contre, la valorisation de l’énergie de la ration semble moins bonne avec l’extrudé et encore moins avec la graine crue.

Avis d'expert : Olivier Marcant, Cerfrance Isère

« Rester prudent sur les résultats »

« Il était difficile d’imaginer qu’une exploitation au bord du gouffre en 2015 puisse afficher un tel bénéfice l’année suivante, résultat qui s’est confirmé en 2017 et 2018. Il a pu être obtenu grâce à une meilleure maîtrise des charges et aux aides à la conversion bio. Malgré ces excellents résultats, la vigilance reste de mise car le contexte sera plus difficile demain : fin des primes à la conversion (environ 70 000 €) en 2020, hausse de la masse salariale pour remplacer le père de Nicolas et hausse des prélèvements obligatoires (impôts et MSA) à partir de 2019. De 110 000 € de marge de sécurité, on va tomber quasiment à zéro. L’exploitation n’émerge en termes de trésorerie que depuis mars 2019, à cause du paiement des aides bio avec plus de deux ans de retard, lié à un problème administratif. À cela, enfin, s'ajoute le rachat de parts sociales et comptes courants associés des anciens associés. Cela représente une dépense supplémentaire, comme une deuxième installation. L’exploitation était au bord du gouffre, elle a bien remonté la pente mais elle reste fragile. »

 

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