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« La maîtrise du coût de production est une priorité »

Au Gaec des Damiens dans la Manche. Jean-Charles Thoumine et Stéphane Laisney jouent sur la complémentarité de leurs compétences et l’autonomie de leur système pour limiter leurs charges.

Situé à Éroudeville, dans le nord Cotentin, le Gaec des Damiens livre son lait aux Maîtres laitiers du Cotentin. La coopérative normande le transforme en beurre et crème AOP. Jean-Charles Thoumine et Stéphane Laisney, les deux associés, ont suivi un parcours différent avant de créer le Gaec en 2000. Le premier s’est installé avec sa mère sur l’exploitation familiale en 1993. Le second a été mécanicien en machinisme agricole puis salarié dans une Cuma avant de s’associer avec son beau-frère. « Je me suis installé à 40 ans en limite d’âge », souligne-t-il en souriant, avant d’ajouter : « J’ai gagné en qualité de vie. Je ne reviendrais pas en arrière. »

Ces parcours différents sont un véritable atout en termes de complémentarité. Jean-Charles est responsable du troupeau laitier. Stéphane gère l’entretien du parc matériel et l’alimentation des animaux. Le binôme prend en charge à parts égales les cultures. Leur rigueur dans le suivi du troupeau se traduit par la livraison d’un lait de qualité et l’absence de pénalités depuis plusieurs années. Lors de la dernière campagne, la moyenne des comptages cellulaires est restée limité à 173 000 cellules par millilitre. Les spores butyriques (330/ml) et germes (8 000/ml) sont également bien maîtrisés. Les taux se sont élevés à 43,4 g/l pour le TB et 33,7 g/l pour le TP.

Une exploitation dans le périmètre AOP

Par ailleurs, la valorisation du lait produit sur l’exploitation en AOP leur offre l’opportunité de toucher une prime de 4 €/1 000 l auxquels s’ajoutent 13 €/1 000 l liés au cahier des charges lait de pâturage non OGM. L’accompagnement financier pour le non-OGM va passer à 18 €/1 000 l lors de cette campagne pour tenir compte de la flambée du prix des matières premières et en particulier du tourteau de colza non OGM. Au final, le prix du lait s’est élevé à 394 €/1 000 l lors de la dernière campagne.

Un lait de qualité bien valorisé donne un bon coup de pouce à la performance économique du Gaec. Mais, selon Emmanuel Picot, leur conseiller au Cerfrance Normandie Ouest, le gros point fort du Gaec, c’est la maîtrise des coûts de production. « Ils n’ont quasiment plus de marge de manœuvre pour les réduire encore plus », estime-t-il. Jean-Charles et Stéphane font la chasse aux dépenses inutiles. En gérant la comptabilité, leurs épouses participent aussi à la bonne gestion de l’exploitation. « La remise des résultats se fait toujours un mercredi pour qu’elles y assistent », relate Emmanuel Picot.

La recherche d’une autonomie maximale est un des leviers utilisés pour comprimer les charges opérationnelles. Elle est de 100 % pour les fourrages. L’orge distribuée aux animaux est produite sur l’exploitation (10 ha - 70 à 80 q/ha). « Nous utilisons de l’orge plutôt que notre blé parce que l’orge est moins acidogène. »

Les silos de maïs et d’herbe ouverts toute l’année

Les veaux sont nourris au lait entier. « Nous ne voulons pas acheter de la poudre de lait. La distribution du lait entier nous permet de valoriser le lait de moins bonne qualité », expliquent Jean-Charles et Stéphane. Environ 45 000 litres de lait sont ainsi consommés par les 90 veaux élevés chaque année. Tous les veaux mâles prim’Holstein sont gardés pour faire des taurillons.

Le recours au pâturage contribue à la maîtrise du coût alimentaire (119 €/1 000 l contre 139 €/1 000 l pour le groupe). Grâce à un échange parcellaire réalisé avec un voisin il y a sept ans, le troupeau laitier dispose de 24 ha de surfaces accessibles. « Nous avons échangé 12 hectares de terres labourables situés à 12 kilomètres de la ferme contre 12 hectares de terres accessibles aux vaches sans route à traverser pour limiter les déplacements, augmenter la surface de pâture et ainsi baisser notre coût de production. »

L’herbe pâturée représente depuis une bonne part du fourrage consommé par les vaches au printemps. Elle est complétée par 4 à 5 kg MS d’ensilage de maïs, 1,5 kg d’ensilage d’herbe, 1 kg de tourteau de colza, 1 kg d’orge et 1 kg de maïs grain produit sur l’exploitation. Les vaches consomment également 2 kg de VL 2,5 l au robot. Au pâturage, la fréquentation au robot tourne autour de deux traites par jour. C’est moins qu’en hiver où elle atteint 2,7 à 2,8 traites par jour. « Le niveau de production tourne autour de 22 à 23 litres de lait contre 27 à 28 litres en hiver, mais ce n’est pas grave. Finalement, au printemps on est dans les normes par rapport à une traite conventionnelle », indique Stéphane Laisney avec humour et sérénité. En hiver, la part de l’ensilage de maïs augmente à 10 kg MS par vache et par jour et celle d’ensilage d’herbe à 4-5 kg MS par vache et par jour.

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Les premiers robots ont été mis en route en 2005. Ils ont été remplacés en 2017 par deux A3 Next achetés d’occasion au prix de 180 000 euros.
Les premiers robots ont été mis en route en 2005. Ils ont été remplacés en 2017 par deux A3 Next achetés d’occasion au prix de 180 000 euros. © F. Mechekour

Avec de telles rations, l’approvisionnement extérieur du Gaec s'est limité à 108 tonnes de VL 2,5 l (33 259 €) et 89 tonnes (22 151 €) de tourteau de colza. « Nous achetons environ 90 tonnes de tourteau de colza par an. Nous sommes couverts jusqu'à fin octobre. Après nous verrons comment les prix vont évoluer », évoque Jean-Charles avec une pointe d’inquiétude mêlée de fatalisme. Au final, la consommation d’aliments a été de 1,5 tonne par UGB lait (217 g/l). Le Gaec est plutôt économe en concentrés pour un système avec traite robotisée et recours à des matières premières.

La recherche d’autonomie et d’économie concerne également les services. Suite au passage en traite robotisée, le Gaec a arrêté d’adhérer au contrôle laitier en 2006. Par ailleurs, Jean-Charles insémine depuis huit ans. « Un voisin s’était inscrit à une formation qui se déroulait chez lui. Je l’ai suivie et c’est comme ça que je m’y suis mis. » Le Gaec achète des doses de semences principalement chez Evolution depuis deux ans et parfois chez Bovec et Semex. Les taux, les mamelles et la morphologie sont les critères prépondérants dans ses choix.

Des achats d’animaux limités à un taureau blond

Le troupeau allaitant valorise des prairies situées de l’autre côté de la route.
Le troupeau allaitant valorise des prairies situées de l’autre côté de la route. © F. Mechekour

Quand il s’absente, l’insémination est repoussée à la chaleur suivante ou un taureau Holstein prend le relais. « Le taureau est issu de notre élevage. Pour limiter les risques sanitaires, nous n’achetons pas d’animaux à l’exception du taureau de race Blonde d’Aquitaine. » Par souci de simplification, le taureau prend également le relais lorsqu’une vache n’est pas pleine après deux inséminations.

Les économies réalisées par le Gaec portent également sur les acquisitions de matériels. Les associés font appel à la Cuma des Vergées (trois chauffeurs, deux ensileuses, deux moissonneuses batteuses…) pour les ensilages et les moissons. « Avec quatre tracteurs, nous sommes un peu suréquipés par rapport à la surface labourable », reconnaissent-ils. L’optimisation fiscale explique en partie cette stratégie. Mais le plus ancien tracteur est de 2005 et deux autres sont de 2013. « Nous les faisons bien vieillir. » Les compétences de Stéphane Laisney dans le domaine du machinisme agricole sont un véritable atout pour faire durer le matériel sans payer de grosses factures. 

Travail à deux le week-end pour aller plus vite

Préserver la vie de famille est une seconde priorité partagée par Jean-Charles et Stéphane. L’organisation du travail au sein du Gaec en découle. « Nous prenons une dizaine de jours de congés par an et nous levons un peu le pied lors des vacances scolaires parce que nos épouses sont dans l’enseignement. »

Ils gèrent à deux un troupeau d’une centaine de Prim’Holstein et leur suite, un atelier de taurillons (50 à 60 vendus par an) et un troupeau de 20 à 25 Blondes d’Aquitaine. En dehors des périodes de semis et récoltes, leur journée démarre vers 6 h 30 et se termine aux environs de 18 h. L’acquisition de deux robots de traite en 2005 facilite la mise en œuvre de cette organisation.

En semaine, Jean-Charles commence sa journée en faisant le point sur les alertes robot et en particulier les retards de traite. Il prend en charge l’entretien des logettes et soigne les veaux. Pendant ce temps, Stéphane distribue la ration aux vaches et taurillons. « Pour gagner un peu de temps le matin, je mets l’ensilage de maïs dans la mélangeuse la veille. » À 8 h, le soin aux animaux est terminé. « Cela nous permet de voir les enfants avant qu’ils partent à l’école. »

Le week-end, ils préfèrent travailler à deux. « Avec cette organisation, nous sommes quittes vers 9 h 30-10 h le matin. Et nous travaillons une demi-heure le soir. Alors que lorsque nous travaillons seuls, nous avons l’impression d’y passer la journée. »

Préparer le départ en retraite de Stéphane

L’exploitation est finalement en vitesse de croisière depuis plusieurs années. Jean-Charles Thoumine et Stéphane Laisney se sentent bien dans le système qu’ils ont mis en place de façon durable. Les deux quinquagénaires n’envisagent pas de gros bouleversements sur le plan stratégique dans les prochaines années. En revanche, ils vont devoir faire face à un changement de taille avec le départ en retraite de Stéphane Laisney en 2023. Aucune solution n’est envisageable actuellement du côté de leurs enfants. Ceux de Stéphane travaillent à l’extérieur et ne souhaitent pas s’installer. Adèle (13 ans), la fille de Jean-Charles, semble être motivée. « Elle a encore le temps de changer d’avis », expose son père.

Le futur associé sera donc un hors cadre familial. Un contrat de parrainage est en place depuis décembre 2020. S’installera-t-il au Gaec des Damiens ? Est-ce que ce mode d’organisation lui conviendra ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer.

Chiffres clés

SAU 155 ha dont 98 ha de prairies, 35 ha de maïs ensilage, 12 ha de blé et 10 ha d’orge
Cheptel 101 Prim’Holstein à 8 000 l de lait brut (7 570 l de moyenne économique), 20-25 vaches blondes d’Aquitaine, 50 à 60 taurillons par an
Référence 762 900 l (incluant les 10 % d’attribution supplémentaire annuelle par les Maîtres laitiers du Cotentin)
Chargement 1,87 UGB/ha de SFP
Main-d’œuvre 2 UTH

Avis d'expert : Emmanuel Picot, Cerfrance Normandie Ouest

« Des objectifs précis et cohérents »

Emmanuel Picot, Cerfrance Normandie Ouest.
Emmanuel Picot, Cerfrance Normandie Ouest. © F. Mechekour
« Le rapport EBE/produit de 43,6 % reflète la très bonne efficacité économique du système mis en place. C’est un plus pour attirer un repreneur hors cadre familial pour remplacer Stéphane (59 ans) quand il partira à la retraite. Les associés ont des objectifs cohérents et précis et ils s’y tiennent. Ils ne feront pas plus de lait et de maïs si ce n’est pas nécessaire.

La maîtrise des charges opérationnelles (150 €/1 000 l) leur permet de sortir un EBE de 213 918 euros. Elles sont limitées grâce à une très bonne maîtrise des coûts fourragers et des concentrés. L’autonomie est un point fort. Elle est de 100 % pour les fourrages. L’orge est autoconsommée et les veaux sont nourris au lait entier pour réduire les achats extérieurs et valoriser le lait de moins bonne qualité.

Leur matériel est toujours bien entretenu et renouvelé sans déraper sur les coûts. Pour conserver leur niveau d’autonomie et ne pas trop saturer leurs bâtiments en hiver, il ne faut pas que l’effectif du troupeau allaitant augmente. »

Des taurillons en complément du lait 

Le Gaec sort entre 50 et 60 taurillons chaque année. Les mâles sont issus du troupeau laitier ou allaitant.

Les taurillons ont été payés 3,27 euros le kilo de carcasse en 2020, et cette année le prix a été fixé à 3,25 euros.
Les taurillons ont été payés 3,27 euros le kilo de carcasse en 2020, et cette année le prix a été fixé à 3,25 euros. © F. Mechekour

La production de viande en complément de l’atelier lait fait partie de l’historique de l’exploitation. « Cela nous permet de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. » Jean-Charles Thoumine et Stéphane Laisney perpétuent la tradition avec plaisir.

Un contrat Castel Viande avec Agrial garantit un prix à condition de respecter un cahier des charges (âge, poids minimum de 340 kg, classement…). « Nos taurillons ont été payés 3,27 euros le kilo de carcasse en 2020 et cette année le prix a été fixé à 3,25 euros », expliquent les éleveurs. Selon la demande du marché, les taurillons partent à un âge compris entre 17 et 23 mois. « Nous les vendons par lots de 7 à 8 animaux pour pouvoir libérer une case à chaque fois. »

Un prix de revient à 0,52 €/kg

Cohérent avec leur objectif d’autonomie maximale, les taurillons sont nourris, à l’exception du tourteau de colza, uniquement avec des aliments produits sur l’exploitation : ensilage de maïs, foin et orge. « D’où le bon prix de revient à 0,52 €/kg de carcasse », constate Emmanuel Picot. La marge brute atteint 584 euros par taurillon produit.

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