Fourrages : Gare aux gaz toxiques des silos
Les stress thermique et hydrique peuvent être à l’origine d’une accumulation de nitrates dans les fourrages, risquant de générer des gaz toxiques au silo et nuire à la qualité des ensilages. Ce phénomène n’est pas nouveau mais risque de devenir plus fréquent.
Les stress thermique et hydrique peuvent être à l’origine d’une accumulation de nitrates dans les fourrages, risquant de générer des gaz toxiques au silo et nuire à la qualité des ensilages. Ce phénomène n’est pas nouveau mais risque de devenir plus fréquent.
Les conditions climatiques extrêmes ne sont pas sans conséquences sur le métabolisme des plantes. Les sécheresses et canicules intenses peuvent notamment induire des niveaux de nitrates élevés dans les végétaux et provoquer des effets néfastes au silo.
« Normalement, les racines prélèvent l’azote du sol, essentiellement sous forme de nitrates. Ces derniers sont convertis en protéines durant la croissance des plantes, dépeint Lina Delforge de Fourrages Mieux. Mais quand la croissance se voit perturbée par des stress divers tels qu’un manque d’eau prolongé, un excès de chaleur ou de froid, et/ou que la quantité de nitrates disponibles dans le sol est trop importante, ces nitrates ne sont pas transformés directement en protéines et s’accumulent dans la base de la tige. »
Un risque accentué par le dérèglement climatique
Ces situations ponctuelles et relativement rares sous nos latitudes risquent de devenir plus fréquentes en raison du dérèglement climatique. « L’an dernier, nous avons observé des taux élevés de nitrates dans les maïs ensilages suite aux épisodes de stress hydriques et thermiques persistants dans certains secteurs de l’Orne », illustre Émilie Turmeau, conseillère fourrages à Elvup. D’autres cas sont également relayés en Touraine depuis quelques années déjà. « Après une longue période de sec, même si une pluie intervient juste avant la récolte, les plantes ne disposent pas de suffisamment de temps pour métaboliser les nitrates accumulés », prévient la conseillère.
Le problème se pose aussi pour les dérobées semées après céréales fin août. Celles-ci peuvent désormais se récolter courant novembre grâce à des conditions de développement et de récolte plus propices qu’auparavant. « Généralement, ces dérobées pompent bien l’azote du sol –d’autant qu’elles ont souvent bénéficié d’épandage d’effluents– mais la pluie et les températures relativement basses freinent leur métabolisme et handicapent leur capacité à transformer les nitrates. »
Dégagement de gaz extrêmement corrosif
Le danger est double. D’abord en raison d’un risque de dégagement gazeux toxique provenant du silo sous forme d’un nuage orangé provoquant des brûlures de la peau et des poumons par inhalation. Si un tel phénomène se produit dans votre silo, il ne faut surtout pas s’en approcher et éloigner les animaux s’ils se trouvent à proximité du silo dans un bâtiment qui ventile mal.
Une fois que les gaz toxiques se sont évaporés, le fourrage reste consommable. Un délai d’attente de minimum trois semaines est recommandé pour écarter tout risque.
Le second risque provient d’un excès de nitrates consommé par les animaux. « Un ensilage à forte teneur en nitrates peut générer certains troubles comme la perte d’appétit, la perte de poids, des diarrhées et larmoiements, souligne la société Lallemand. Une toxicité aigüe se manifeste par une respiration laborieuse, des tremblements musculaires, un effondrement au sol, voire même la mort. » Cette toxicité dépend de la quantité totale de fourrage consommé ramenée au régime global. « Il ne faut pas dépasser une teneur de plus de 1 000 ppm de nitrates par kilo de matière sèche ingérée au total dans la ration », expose Émilie Turmeau. Les régimes 100 % à base d’ensilage d’herbe pour les génisses peuvent notamment se révéler à risque si le fourrage dépasse 1 000 ppm/kg MS.
Vérifier le taux de nitrates par des analyses
Côté qualité du fourrage, il ne faut pas espérer de miracle. Les valeurs alimentaires risquent d’être limitées, surtout au niveau protéique. Les fourrages ensilés avec des taux de nitrates élevés présentent une digestibilité plus faible et des pertes de matière sèche plus élevées. L’augmentation du taux de nitrates dans la culture entraîne une consommation de sucres végétaux plus importante, ce qui réduit le sucre disponible pour produire de l’acide lactique au silo. Et, en plus, les nitrates augmentent la capacité tampon des fourrages, ce qui exige plus d’acide lactique pour parvenir à la même baisse de pH. « Sachant que la réduction des nitrates contrecarre l’acidification, il est fort probable que le pH ne diminue pas assez rapidement et que les fermentations se déroulent mal », détaille Lina Delforge.
Il est recommandé de procéder à une analyse du fourrage concerné (10 € l’analyse pour les nitrates). Elvup préconise une analyse préventive de conservation incluant aussi le pH, le taux de matière sèche, le risque clostridies, etc. « Sur 80 analyses d’ensilage d’herbe complètes réalisées l’hiver dernier, 32 % avaient une teneur en nitrates supérieure à 1 000 ppm et 9 % à plus de 4 000 ppm, rapport Émilie Turmeau. Il faut donc veiller à ne pas distribuer ces fourrages en trop grande quantité pour diluer la concentration dans la ration. »
En cas de doute avant la récolte, des analyses en vert pour tester le niveau de nitrates sont aussi possibles. Cela permet potentiellement de décaler la récolte d’une semaine ou de relever un peu la barre de coupe comme les nitrates s’accumulent dans la partie inférieure de la plante.
Que se passe-t-il dans le silo ?
« Concrètement, au silo, les nitrates sont principalement transformés en nitrites par les entérobactéries. Ces bactéries aérobies sont actives tant qu’il reste de l’oxygène et tant que le pH reste supérieur à 4,5 », détaille Émilie Turmeau. Les nitrites sont ensuite dégradés en ammoniac (NH3) et monoxyde d’azote (NO). En présence d’oxygène, le NO (également appelé oxyde nitreux) va s’oxyder et donner une série de gaz rougeâtre (dioxyde d’azote NO2), brunâtre (N203) et jaunâtre (N2O4). « Ces trois gaz lourds sont très toxiques et potentiellement mortels. » En contact avec l’humidité, le dioxyde d’azote à l’odeur âcre et piquante se transforme en acide nitrique extrêmement corrosif.
Avis d’éleveur : Roger Collin, éleveur en Belgique
« J’ai dû éliminer un tiers du silo »
« Nous avons été confrontés à ce problème en 2021, année particulièrement humide, sur un silo de céréale immature (20 hectares d’avoine), récolté début juillet et mélangé à un ensilage d’herbe. L’avoine avait reçu une fertilisation classique de 25 tonnes de fumier par hectare en février. L’entreprise a réalisé une fauche en coupe directe en ligne (faucheuse de 9 m) le soir. Le fourrage a été ensilé le lendemain matin, et le silo couvert le jour même. Le lendemain matin, un nuage orangé s’était formé autour du tas. Méfiants, nous nous sommes tenus à bonne distance. Aux abords du silo, l’herbe en végétation a été littéralement brûlée et le chien du voisin qui s’était approché avait du mal à respirer. Après plusieurs semaines, j’ai éliminé les parties trop abimées qui sentaient fort l’ammoniac, soit un tiers du silo. À l’analyse, le fourrage restant ne valait plus grand-chose. Je l’ai distribué plus tard aux génisses et vaches taries, il n’y a pas eu de souci. »
Mise en garde
Ce phénomène n’a rien à voir avec le gonflement de la bâche de couverture d’un silo, qui elle ne présente aucun danger. Celui-ci atteste simplement de la bonne étanchéité du silo et résulte de la production de gaz, essentiellement du dioxyde de carbone, inoffensif en milieu aéré.