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En Seine-Maritime : Trois frères qui jonglent entre simplicité et efficacité sur leur exploitation laitière

Au Gaec Varin, en Seine-Maritime, l’atelier laitier et les grandes cultures sont complémentaires. Dans une région à fort potentiel cultural, l’élevage reste attractif grâce à un système simple, bien organisé, et des outils fonctionnels.  

Guy, Marc et Luc Varin forment une joyeuse triplette ! Ces trois frères ont fait leurs armes en travaillant quelques années à l’extérieur avant de s’installer sur la ferme familiale. En 2008 pour l’aîné Guy, suivi par les jumeaux en 2012, l’année où leur père a pris sa retraite. Quant à leur mère, elle s’est retirée du Gaec en septembre dernier. Située dans le Pays de Caux, l’exploitation se caractérise par des terres à haut potentiel constituées de limons profonds. Les rendements de blé tournent à 97 q/ha en moyenne, à 105 t/ha en betteraves et à 17 t/ha en maïs. Un atout indéniable, qui le sera peut-être davantage encore demain. « Nous souffrons plus en année humide qu’en année sèche », commente Marc Varin. Dans ce contexte, pas étonnant que l’objectif soit de produire la référence laitière avec une surface fourragère minimale pour maximiser les cultures de vente.

L’élevage oui, mais en simplifiant les pratiques

La stabulation a été agrandie et transformée en logettes en 2012. En ajoutant le roto, l’investissement s’est chiffré à 500 000 euros. © E. Bignon
Cela étant, avec 3 UMO, l’élevage a toute sa place sur la structure qui compte 206 hectares avec une référence de plus d’un million de litres, et les deux ateliers sont complémentaires. « En ramenant de la matière organique, les effluents aident à maintenir le bon potentiel des sols, avance Guy. Et au niveau économique, la polyculture-élevage offre une assurance ; il y a toujours une production pour en rattraper une autre. Cette année, par exemple, on est bien contents d’avoir du lait, avec le bouillon que l’on va prendre sur le lin suite à la crise du coronavirus… »

Mais si concilier élevage et cultures offre un bon compromis, pas question que le lait devienne une contrainte trop forte en termes de travail. D’autant plus que chacun des associés apprécie d’aller en plaine. « Notre père a toujours fait en sorte de simplifier les pratiques pour ne pas passer sa vie 'dans les vaches', décrit Luc. Cela a d’ailleurs sans doute contribué à rendre l’élevage attrayant à nos yeux… » Et aujourd’hui encore, c’est cette ligne de conduite qui prime, avec un système simple et efficace pour un troupeau de 110 laitières hautes productrices et leur suite.

Une cadence de traite volontairement soutenue

Un roto extérieur installé en 2012 a remplacé la salle de traite 2x5. Chaque associé trait seul en 1 h 30, lavage inclus. © E. Bignon
Le choix d’investir dans un roto de 30 places dès l’installation de Marc et Luc répond notamment à cet objectif. « Nous l’avons choisi volontairement surdimensionné car nous voulions un outil performant qui permette une bonne cadence de traite pour une personne seule », signalent les jeunes exploitants. « Nous trayons à tour de rôle, toujours seuls. Traire à deux ne nous permet pas d’aller plus vite. » La traite prend 1h30, nettoyage inclus. Si une vache est longue à traire, elle fait un second tour. « Nous avons opté pour un roto extérieur pour faciliter l’accès à l’aire d’attente. Par contre, ce système pénalise un peu la qualité du lait si un manchon se décroche. »

Les laitières pâturent deux paddocks en alternance

Les vaches pratiquent un pâturage libre sur deux parcs de 4,5 hectares en alternance. © E. Bignon
Au pâturage aussi, la simplicité est de mise. De la mi-mars à la mi-octobre, les vaches accèdent à deux parcs de 4,5 hectares chacun en alternance, soit l’équivalent de 10 ares par vache. « On change de parcelles toutes les semaines environ. Ce système proche du full-grass facilite la gestion du pâturage et nous fait gagner du temps pour rentrer les vaches », précise Guy. Ces dernières accèdent en permanence à la stabulation où elles reçoivent la même ration qu’en hiver mais en quantité plus réduite (75 % environ) et sans l’ensilage d’herbe. La ration hivernale se compose de 15 kg d’ensilage de maïs, 2,5 kg d’ensilage d’herbe, 1,6 kg de drêches de brasserie, 5,7 kg de tourteau de colza, plus le CMV. « Nous profitons aussi d’opportunités pour l’achat de coproduits tels que les pulpes ou les pommes de terre (12 €/t), ajoute Luc. Les drêches de brasserie viennent de Lille ou de l’Est. Elles ont un effet lactogène et diversifient les sources azotées. Quand on a commencé à en utiliser, ce coproduit ne coûtait pas grand-chose et il y avait des bons coups à faire. Aujourd’hui, elles se négocient au même prix toute l’année, autour de 64-68 €/t rendu ferme. »

Une ration semi-complète en début de lactation

Ici, pas de mélangeuse high-tech mais une simple remorque distributrice de 12 m3, achetée d’occasion. Le matin, le concentré est mélangé grossièrement au sol sur le tas de fourrages. Une demie-remorque est distribuée dans la foulée et une seconde le soir. Pas besoin de repousser la ration grâce au muret maçonné au niveau de la table d’alimentation. Les quantités distribuées s’ajustent en fonction des refus de la veille, distribués à la main aux génisses de deuxième année. Avec une ration essentiellement composée de maïs, les associés savent que les vaches sont toujours « sur le fil du rasoir » côté métabolique.

« Auparavant, nous travaillions en ration complète car nous étions en vêlages groupés, mais nous avons revu cette stratégie pour une question de place limitée en bâtiment (95 logettes) et pour coller à la demande de la laiterie (Eurial) », explique Marc. Désormais, les vêlages s’étalent sur toute l’année et les trente meilleures vaches en début de lactation sont complémentées le matin, en sortie de traite. Un portique connecté aux boucles d’identification électronique les repère et une porte de tri les dirige vers une partie de la stabulation où elles reçoivent 1,5 kg de pulpes de betteraves déshydratées et 500 g de tourteau de colza. « Cela nous contraint à réactualiser le système une fois par mois », indique Luc.

Drenchage du colostrum et lait kéfir pour les veaux

Les génisses, quant à elles, vêlent du 1er août à fin décembre. « Cela nous permet d’avoir des lots homogènes, de valoriser le pâturage dès la première année et d’économiser des places en bâtiment. » Pour limiter les effectifs, seulement un tiers des génisses est gardé pour le renouvellement. « Nous élevons deux lots de trente génisses. Pas une de plus. » Tous les autres veaux sont vendus à 15 jours.

L’objectif d’âge moyen au premier vêlage fixé à 24 mois est tenu. « Pour favoriser l’immunité, on sonde les veaux avec quatre litres de colostrum à la naissance. Ça attend le matin si le vêlage intervient la nuit. » La qualité du colostrum est contrôlée au réfractomètre. S’il est bon, il est congelé. Les veaux passent au lait en poudre en deux repas par jour la deuxième semaine, puis basculent à un repas par jour (4 l) en cases collectives à partir de la troisième semaine. Ils reçoivent alors deux litres de poudre de lait écrémé complété avec deux litres de lait kéfir. Celui-ci est préparé un peu à la façon du lait yoghurt, en utilisant des grains de kéfir. « C’est à la fois un moyen d’économiser de la poudre, de valoriser le lait des fraîches vêlées non commercialisable et c’est bon pour la santé du veau, considèrent les éleveurs. Nous le préparons dans des fûts de soixante litres hermétiques dans lesquels nous ensemençons le lait des fraîches vêlées avec des grains de kéfir. L’hiver, on utilise un réchauffeur à lait pour aider le lait à cailler. Le seul hic, c’est que les veaux sont un peu réticents à boire le lait kéfir les deux-trois premiers jours. » Hormis les mort-nés, il n'y a quasiment aucune perte de veau.

Les génisses aussi sont équipées de colliers

Les cases individuelles sont aménagées avec des barrières « type police » face aux cornadis des laitières. Les éleveurs les déplacent pour créer un vide sanitaire entre chaque veau.   © E. Bignon
Le sevrage intervient à 8 semaines quand les veaux atteignent au moins 80 kilos. Les croissances sont suivies au ruban tous les mois. Ils reçoivent alors du foin fibreux et un concentré du commerce à 16 % de protéines. À 3 mois, ce concentré est substitué par un mélange de pulpes de betteraves (80 %) et de tourteau de colza (20 %), et les éleveurs distribuent à la pelle un kilo de la ration des vaches par mois d’âge. « C’est facile car les veaux logent juste en face des cornadis des laitières. »

À partir de mai, les génisses de plus de 6 mois accèdent à un parc de 1,20 hectare, dont la première coupe est récoltée en ensilage d’herbe. Elles sont complémentées avec de l’enrubannage ou du foin et du mélange pulpes-colza.

Elles rentrent en bâtiment à l’automne, et les inséminations démarrent à 12 mois si les 400 kilos sont atteints. Les génisses comme les vaches sont équipées de colliers Medria. « Ils donnent beaucoup d’indicateurs mais on s’en sert essentiellement pour détecter les chaleurs, confient les éleveurs. Depuis qu’on est équipés, on les surveille moins qu’avant. Il y a quelques fausses positives, mais c’est rare, et l’outil repère des chaleurs que l’on ne voyait jamais sur certaines vaches ! » Les génisses sont génotypées depuis quatre ans. Celles qui ressortent dans le tiers supérieur en ISU sont inséminées en semences sexées, le deuxième tiers en semences classiques et le troisième tiers en croisé. L’IVV moyen s’élève à 395 jours, ce qui n’est pas mal pour des hautes productrices. Le tarissement dure quarante-cinq jours, sauf pour les primipares (60 jours).

Deux points noirs : les cellules et Mortellaro

Le rebord maçonné évite d’avoir à repousser la ration. © E. Bignon
Le principal problème sanitaire concerne les cellules. La situation s’assainit avec la réforme de plusieurs vaches à staphylocoques et la désinfection des griffes des vaches cellulaires. Mais le trempage automatique des vaches en sortie de traite n’est pas optimal. Pour améliorer la situation cellulaire, tout le troupeau a été génotypé cette année à travers le service GénoCellules. « Ce service nous a coûté 2 000 euros. Le but est de l’amortir par l’amélioration de la situation cellulaire qui nous permettrait d’empocher la prime de 3 €/1 000 l (haute-qualité). »

Mortellaro est un autre point sensible. « On arrive à la contenir en appliquant de l’oxytétracycline en spray à la traite sur les dermatites, mais on lève encore deux à trois pattes par semaine. » Les éleveurs essaient de travailler sur la qualité des pattes au niveau génétique, ainsi que sur les taux, pénalisés par une sélection qui a longtemps porté sur la production par vache.

« Tout n’est pas parfait, mais notre système nous convient, concluent-ils en souriant. Si on voulait le simplifier encore, il faudrait passer en système lisier, mais nous préférons valoriser l’existant et l’image renvoyée par le lisier ne nous attire pas. »

Emeline Bignon

Chiffres clés

SAU 206 ha dont 30 ha maïs, 30 ha prairies, 85 ha blé, 17 ha betteraves sucrières, 10 ha colza, 34 ha lin
Cheptel 110 Prim’Holstein à 10 700 kg
Référence 1 025 000 l
Chargement 2,3 UGB/ha
Main-d’œuvre 3 frères associés

Avis d’expert : Séverine Burel, de la chambre d’agriculture de Seine-Maritime

« Un système de polyculture-élevage performant »

Séverine Burel, de la chambre d’agriculture de Seine-Maritime. « Un système de polyculture-élevage performant. » © E. Bignon

« L’exploitation, suivie de puis 10 ans par les Réseaux d'élevage, est caractéristique du secteur Pointe du Pays de Caux : la production laitière a été maintenue, avec une conduite intensive sur les surfaces, de façon à valoriser le maximum d’hectares en cultures de vente à bon potentiel. La structure a su évoluer. Il y a une vingtaine d’années, l’exploitation de M. Varin père comptait une trentaine de vaches. Le troupeau a triplé avec l’arrivée de ses trois fils. Les installations se sont adaptées avec le passage d’un système de traite classique au roto et la transformation de l’aire paillée en logettes. Par contre, les facteurs de réussite et la ligne de conduite sont restés : un troupeau de bon niveau génétique conduit de façon simple et efficace, avec beaucoup de rigueur. Les résultats économiques attestent des bons résultats qu’obtient le Gaec, aussi bien sur l’atelier laitier que sur les cultures. Le système est cohérent et l’efficacité est au rendez-vous. »

Une communication et une organisation bien rodées

Agenda commun, groupe WhatsApp, roulement, polyvalence… aident les trois associés au quotidien. 

La construction d’un vaste bureau indépendant (10 000 €) a été le premier investissement du Gaec. Les associés s’y rassemblent au quotidien. © E. Bignon

Pour qu’un Gaec fonctionne bien, l’entente entre associés est primordiale, les trois frères le savent. S’ils s’entendent bien, ils n’avaient pour autant jamais travaillé ensemble avant l’installation des jumeaux. Pour se donner toutes les chances et faciliter les relations entre associés, ils ont pris le temps, en 2012, de suivre une formation sur le travail à plusieurs.

Équipé d’un vestiaire et d’une kitchenette, le bureau est le centre névralgique de l’exploitation. Les associés s’y retrouvent tous les matins pour prendre le petit-déjeuner ensemble. « L’occasion de faire le point sur ce que l’on a fait et ce que l’on va faire. Nous sommes indépendants dans nos tâches, chacun a des responsabilités définies, mais on tient à s’informer mutuellement. » Les associés communiquent aussi beaucoup sur un groupe WhatsApp pour les petites choses du quotidien.

Les jumeaux sont davantage tournés vers l’élevage, mais tout le monde fait de tout. Sauf les traitements phyto, qui restent réservés à Guy. L’organisation est bien huilée. Le matin : il y en a un qui trait, un autre rentre les vaches, paille et s’occupe des veaux, et le dernier nourrit les vaches et génisses. Le soir : c’est le même schéma, mais celui qui a alimenté le troupeau ne revient pas. Ce roulement change toutes les semaines. Chaque associé est d’astreinte un week-end sur trois, du samedi midi au lundi midi (2 h 30 de travail le samedi soir et 5 h le dimanche).

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