Agriculture de conservation des sols : « Sans labour, sans fongicide ni insecticide, la solution pour que ça marche, c’est d'avoir un sol vivant », en Vendée
En Vendée, l’EARL Les Luctières travaille en agriculture de conservation des sols et vise un système productif. Grâce à vingt années d’engagement en faveur de la vie des sols, Laurent Terrien n’utilise comme outil chimique que l’herbicide.
En Vendée, l’EARL Les Luctières travaille en agriculture de conservation des sols et vise un système productif. Grâce à vingt années d’engagement en faveur de la vie des sols, Laurent Terrien n’utilise comme outil chimique que l’herbicide.




« Il y a vingt-cinq ans, j’ai comparé des sols en bio à ceux en agriculture de conservation. J’ai vu la différence quand le terrain n’est pas travaillé. » Laurent Terrien, éleveur associé avec sa femme Catherine en Vendée, est alors séduit par l’activité biologique qu’il découvre lorsqu’il n’y a pas de travail du sol. Il décide d’appliquer la méthode chez lui.
Fiche élevage
EARL Les Luctières
•2 associés
•50 prim’Holstein à 9 500 kg
•70 ha de SAU dont 25 ha de prairie temporaire, 20 ha de blé et d’orge, 15 ha de maïs, 5 ha de luzerne et 5 ha de prairie permanente
Il arrête le labour et adopte les piliers de l’agriculture de conservation des sols (ACS) en 2005 : ne pas travailler les sols, les couvrir et allonger les rotations. Pour se former, il adhère à l’association pour la promotion d’une agriculture durable (Apad) Centre Atlantique. Aujourd’hui, Laurent Terrien cultive ses 70 hectares en ACS, avec un IFT (indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires) proche de 1 à l’échelle de l’exploitation. Cet IFT comprend l’ensemble des traitements herbicides sur les surfaces cultivées. « Si je ne comptais que le maïs ou que le blé, l’IFT serait plus proche de 2. Mais le calcul englobe les prairies temporaires, en place pendant cinq ans et sur lesquelles je n’applique qu’un herbicide au moment de leur destruction. »
Herbicide et irrigation dans la boîte à outils
« Mon système fonctionne grâce à la vie du sol, se réjouit ce fervent défenseur de l’ACS. Mais je ne passerai pas en bio car je ne peux pas me passer d’herbicide. » Dans des sols limoneux sableux sur schiste, très séchants, Laurent Terrien irrigue : « C’est indispensable », affirme-t-il.
La rotation, avec prairie, se fait sur huit ans. « Je sème la prairie temporaire au printemps grâce à l’irrigation, sous couvert de méteil avec un semoir à céréales pour semis direct. Soit il reste un couvert au sol – cette année ce sont des féveroles – soit je sème derrière un méteil récolté en avril. Si besoin, je fais un passage d’herbicide. La prairie est semée à pleine dose, quand le méteil est semé à 50-60 % de sa densité pour qu’il n’étouffe pas la prairie. Je sème très peu profond. Tous les semis sont systématiquement roulés. » Cette année, le méteil se compose d’avoine de printemps, d’une vesce de printemps et de cinq trèfles annuels, et sera récolté fin juin-début juillet.
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Rotation et couverts également
La prairie (3 ray-grass anglais et 3 trèfles blancs) est en place pour cinq ans, puis est détruite à l’automne. Laurent Terrien implante alors un méteil, qui sera ensilé avant le semis du maïs. Suivent ensuite le blé et parfois une orge.
Entre chaque culture, Laurent Terrien sème un couvert qui est soit ensilé soit pâturé. « Je produis du fourrage toute l’année pour mes laitières. À proximité du bâtiment, je sème des couverts à consommer par les vaches. Dans les parcelles éloignées, j’opte pour un couvert mellifère. »
500 grammes de matière active par hectare
S’il ne peut pas faire sans, Laurent Terrien a cependant réussi à diminuer l’apport de glyphosate pour détruire la prairie au moment de l’implantation du méteil. « Si besoin, je fais un rattrapage au printemps avant le maïs, mais souvent la parcelle est assez propre pour que le maïs se développe. » L’éleveur applique aussi de l’herbicide à l’automne avant les céréales. « Je n’ai pas le choix si je veux faire du blé puis éventuellement de l’orge pour être autonome en paille et allonger la rotation. » Il affirme utiliser en moyenne 500 grammes de matière active par hectare.
Ni fongicide ni insecticide
« Je n’utilise ni fongicide ni insecticide, apprécie Laurent Terrien. Mon but c’est d’avoir des champignons dans le sol, je ne vais donc pas les tuer. » L’éleveur a commencé à réduire les applications de fongicides progressivement. « Je faisais un passage de traitement tardif sur céréales, puis un demi. Lors des réunions bout de champ, je me rendais compte que ma culture n’était pas plus malade que celle des voisins. J’avais des récoltes correctes, ça fonctionnait sans, alors j’ai arrêté. En 2024, année catastrophique, j’ai pourtant fait 42 quintaux à l'hectare de rendement en blé, dans la moyenne de la région. »
Côté insecticide, Laurent Terrien se rappelle avoir utilisé de l’antilimace, « mais jamais de produit contre les vers gris. Je n’applique rien depuis longtemps contre les pucerons, la pyrale ou le taupin ». Pour rester dans sa ligne de conduite de préserver la vie du sol tout en ayant des cultures productives, l’éleveur a contourné le problème : « J’ai opté pour la destruction des couverts après les semis, pas avant. Les petites bêtes dans le sol peuvent finir de grignoter le couvert le temps que les cultures se développent. » Il mise ainsi sur l’appétence des trèfles et des luzernes pour les limaces afin de limiter le risque.
« Nous sommes très peu nombreux en ACS sans insecticide et ni fongicide. La solution pour que ça marche, c’est la vie du sol mais aussi la formation continue pour acquérir les compétences », conclut Laurent Terrien.
Un système productif
L’intégralité des cultures – ainsi que des couverts – est autoconsommée par les 70 UGB lait de l’EARL. Laurent et Catherine Terrien misent sur des fourrages productifs, pour des vaches productives (9500 kg/vache/an), car le lait est leur seul revenu. Les laitières sortent de février à novembre. « L’irrigation est accentuée sur les prairies temporaires, et réduite sur le maïs pour renforcer le pâturage tournant dynamique. »
Les rendements s’établissent pour les prairies de 6 à 12 t/ha, pour l’ensilage de méteil de 3 t/ha en précoce et de 7 t/ha en tardif, pour l’ensilage de maïs de 13 à 15 t/ha, et pour le blé de 60 à 65 q/ha.
« Les valeurs alimentaires des fourrages se situent dans le haut des analyses », apprécient les éleveurs. Pour le maïs : de 0,95 à 1,02 UFL ; 70 à 90 % de MAT, « des matières minérales élevées et une très bonne digestibilité ».
Antoine Grosbois, Apad Centre Atlantique
« Les sols de l’EARL des Luctières sont désormais résilients »

« L’EARL Les Luctières récolte les bénéfices des deux décennies passées en agriculture de conservation. Les cinq premières années sont les plus compliquées. C’est une phase de transition où il faut réapprendre au sol à fonctionner de manière naturelle. Laurent Terrien a appliqué plusieurs leviers : ne pas toucher au sol et toujours le couvrir, pratiquer les semis directs, valoriser les haies et les déchets verts en litière ou en emploi sur le sol, l’agroforesterie, le pâturage tournant dynamique. Il favorise toujours l’activité biologique et le développement de la vie des sols.
Il a la volonté d’appliquer zéro fongicide et zéro insecticide, par conviction écologique, ce qui l’expose à des risques. Tout le monde n’est pas prêt à les prendre. Si des mauvaises herbes sont là, Laurent Terrien va prendre le parti de se dire que ces plantes ont une fonction, qu’elles sont présentes pour restaurer un équilibre, et les laisser. Il a ainsi une réelle tolérance au salissement. Laurent Terrien a aussi diminué les apports d’azote minéral en gardant le même niveau de rendement grâce au taux de matière organique élevé des sols. Tout cela est possible car ses sols sont désormais résilients.
Pour stimuler davantage l’activité biologique des sols et mettre à disposition des plantes un maximum d’éléments, dont l’azote, Laurent se met à utiliser des micro-organismes efficaces. »