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Interview de Michel Barnier, ministre de l’Agriculture
« Vers un découplage total des aides pour les grandes cultures »

Selon Michel Barnier, lors des réunions dans les chambres d’Agriculture sur le bilan de santé de la Pac, la majorité des départements se sont montrés favorables au découplage total pour les aides aux grandes cultures. Or c’est aussi la volonté de Bruxelles… Et le ministre ne semble pas y être opposé.

Vous avez initié des débats dans les départements. Quels enseignements en tirez-vous ?

Tout d'abord, ces débats que j'ai demandés aux présidents de chambres départementales d'agriculture d'organiser entre le 30 janvier et le 11 février ont suscité un large intérêt : plus de 5000 personnes y ont participé. Dans tous les départements, les chambres d'Agriculture, à l'exception de deux d'entre elles, ont tenu une session extraordinaire qui a été largement ouverte aux parlementaires, aux élus locaux, aux représentants des associations de consommateurs et de protection de l'environnement. Ensuite, ces débats ont été de qualité, non-polémiques, sérieux. Et les contributions que m'ont adressées les préfets témoignent de la qualité et de la responsabilité de ces échanges. Enfin, la stratégie que le Président de la République a confirmée au Salon de l'Agriculture pour la présidence française : anticiper 2013 et utiliser le bilan de santé de la Pac en 2008 pour amorcer une réorientation de la Pac, a été largement approuvée.

Y a-t-il un consensus entre vous et la profession sur le maintien d'un premier pilier fort ? Et sur une meilleure répartition des aides ?

Oui, puisqu'à l'unanimité, les départements ont émis des réserves sur un renforcement du second pilier sur la base des propositions de la Commission et rejoignent les orientations dégagées au niveau national. Ma conviction, c'est que l'avenir de la politique agricole commune, ce n'est pas le renforcement de la politique de développement rural. L'avenir de la PAC, c'est sa capacité à répondre aux attentes des consommateurs, à s'adapter aux évolutions du marché en s'engageant dans un mode de développement durable. Il n'y a pas de fatalité à démanteler la Pac. Mais, dans le même temps chacun est convaincu, et c'est remonté du terrain, que l'on ne peut pas plaider le statu quo. Ne pas bouger en 2008 serait à coup sûr condamner la Pac en 2013. Mon ambition, c'est de donner du sens et de la légitimité au premier pilier de la Pac. Nous devons donc réorienter une partie des aides sur les productions et les territoires fragilisés et renouveler les outils de gestion des risques. Cette réorientation est globalement partagée. Il existe également une large majorité pour la financer par un prélèvement sur l'ensemble des aides découplées et couplées. La discussion va se poursuivre dans le cadre du groupe de travail des Assises dédié au bilan de santé de la Pac.

Vous voulez développer des outils de gestion des risques et de crise. D'où viendra le financement : du premier ou du second pilier de la Pac ?

L'enjeu pour l'agriculture dans les prochaines années, est double : faire face à la volatilité des prix et se couvrir contre la montée des risques. Pour y répondre, nous avons, tout d'abord, besoin de conserver des outils communautaires de régulation des marchés : la conjoncture sur certains marchés ne les rend pas caducs. Nous avons ensuite besoin de nouveaux dispositifs responsabilisant les filières dans la prévention et la gestion des risques. C'est le sens du mémorandum que j'ai adressé à la Commission en janvier dernier pour sécuriser juridiquement et financièrement leurs interventions et j'attends des propositions concrètes dans la cadre du bilan de santé de la PAC. Enfin, je souhaite intégrer dans le premier pilier des outils de couverture de risques climatiques et sanitaires : ces outils ressortent pour moi d'une logique économique et ils peuvent préfigurer la Pac de l'après 2013. La Pac ne peut se réduire à des paiements découplés. Par ailleurs, ma volonté est de développer l'épargne de précaution en améliorant significativement la DPA (1) pour que les agriculteurs puissent facilement la mobiliser afin de faire face à un aléa économique, sanitaire, ou climatique.


Comment voyez-vous une meilleure répartition des aides du 1er pilier ? Quelles pourraient être les conséquences sur le secteur des grandes cultures ?

Nous ne pouvons pas conserver la répartition actuelle des aides au sein du premier pilier. Je souhaite que, dans le cadre du bilan de santé, on puisse amorcer une réorientation en utilisant l'article 69. Les départements se sont largement retrouvés sur les secteurs et les territoires prioritaires qui étaient déjà ressortis des débats au niveau national : la production ovine, la production laitière en zones de montagne et plus largement dans les zones à faible densité laitière, l'agriculture biologique, les fruits et légumes, les protéines végétales, les productions à l'herbe ainsi que la gestion des risques climatiques et sanitaires. Mais, les décisions ne sont pas prises, puisqu'il faut que l'article 69 soit modifié et que nous décidions des secteurs et du niveau de soutien que nous acceptons de redéployer.
Le secteur des grandes cultures, mais ce ne sera pas le seul, participera financièrement à travers le prélèvement à cette réorientation. Mais, il pourra bénéficier de certaines des mesures de réorientation et de l'amélioration de la DPA. Par ailleurs, son environnement économique est plutôt bien orienté. La question, c'est la prise en compte de la volatilité des prix sur des marchés plus incertains. Avec l'intégration de dispositifs de couverture de risques climatiques et sanitaires sur le premier pilier dès 2009, nous ouvrons la voie à d'autres dispositifs pour l'après 2013. Enfin, si les propositions du mémorandum sur les filières sont retenues, ces dernières pourront mettre en place des dispositifs de stabilisation des marchés.

Va-t-on vers le découplage total ? Si oui, y aura-t-il une période de transition ?

Pour les grandes cultures, la Commission européenne propose dans sa communication le découplage total. Cette proposition est acceptée par une large majorité de départements au nom de la simplification. Mais ils y mettent comme condition le maintien des outils de régulation des marchés. Nous n'avons pas encore arrêté notre position, mais il semble que l'orientation pour les grandes cultures soit largement donnée.

Quelle échéance vous donnez-vous pour élaborer les propositions françaises ?

Ma priorité aujourd'hui et pour les prochains mois, c'est obtenir de la Commission l'ensemble des outils réglementaires permettant de mettre en œuvre notre projet d'une agriculture de production, durable et ancrée dans les territoires. La prochaine échéance, ce sont les projets de règlements sur lesquels la Commission travaille et qui devraient être présentés en mai prochain lors d'un Conseil des Ministres. C'est sous présidence française que ces projets seront débattus, et à la fin de l'année qu'ils seront définitivement adoptés. Nous ne pourrons décider des modalités en France que lorsque le cadre communautaire sera suffisamment stabilisé.

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