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Produire des pommes de terre pour Rungis

Retrouver la frite grâce à la production de pommes de terre, c’est possible. Malgré des expériences difficiles, Damien et Isabelle Boude, céréaliers dans la Marne, ont su rebondir et s’allier avec un grossiste à Rungis.

Damien Boude vend l'intégralité de sa production de pommes de terre à Michel Charraire-Foucher, grossiste sur Rungis.
© S. Thillaye

On a su tirer le positif de nos expériences négatives », relève Isabelle Boude, agricultrice avec son mari Damien à Faux-Vésigneul, à 35 kilomètres de Châlons-en-Champagne. Car pour trouver un bon équilibre économique, le couple a dû faire preuve de résilience. À la reprise de l’exploitation céréalière des parents de Damien en 1989, les Boude décident de diversifier l’EARL comptant 340 hectares. Ils équipent, trois ans plus tard, des parcelles d’un système d’irrigation (enrouleurs) pour cultiver 40 ha de pommes de terre à destination de l’usine McCain nouvellement installée à quelques kilomètres de la ferme. « À l’époque, nous devions livrer les pommes de terre de nuit à l’usine de Matougues pour qu’elle puisse fonctionner 24h sur 24, confie Damien Boude. Cela devenait de plus en plus difficile et il n’y avait pas de compensation financière ! » Usé, en 2001, le couple ne renouvelle pas le contrat avec l’entreprise McCain alors qu’ils viennent d’achever la construction d’un hangar réfrigéré pour la conservation des tubercules. Ils cherchent alors d’autres débouchés mais sans vrai succès. En 2010, ils décident de changer de vie et confient la ferme à leur salarié pour s’installer comme négociants à Rungis. « Nous avons racheté un carreau ???? avec un associé et déménagé à Paris », raconte Isabelle Boude. Malheureusement, le partenariat ne fonctionne pas et après trois années difficiles, ils rentrent dans la Marne. Reste que l’expérience est un tremplin pour la suite.

Un partenariat avec un grossiste de Rungis

Car parmi les rencontres effectuées sur le marché de gros, l’agriculteur retient celle de Michel Charraire-Foucher, président de M. Charraire, grossiste spécialisé dans les fruits et légumes. Celui-ci lui propose de cultiver des pommes de terre à frites pour ses clients. Il veut développer une gamme pour le marché en croissance des « frites maison » dans la restauration. En 2016, Damien Boude devient l’un des sept producteurs de pommes de terre de Michel Charraire-Foucher et son fournisseur principal de pommes de terre à frites françaises. Ensemble, ils sélectionnent la variété Agria, écartant notamment la Bintje jugée trop sensible aux maladies. Créée il y a 32 ans en Allemagne, l’Agria a la peau jaune, la chair farineuse et après quelques tests, elle fait l’unanimité des restaurateurs du groupe Bucher, clients du groupe M. Charraire. Un engagement oral lie les deux associés : le grossiste s’engage à acheter à un prix fixe l’intégralité de la production de l’agriculteur, même si les rendements ne sont pas ceux espérés, et à condition que le producteur respecte le cahier des charges préalablement défini. Aujourd’hui, M. Charraire vend chaque semaine 20 tonnes de pommes de terre, soit 6 000 tonnes de tubercules par an (lire encadré), dont les deux tiers sont issus de la production de Damien Boude.

4 000 tonnes de pommes de terre par an

L’agriculteur est passé de 10 à 100 hectares de pommes de terre vendues par le biais du grossiste depuis trois ans, mais seulement 40 ha sont situés sur ses terres. Le reste est cultivé chez un voisin. « Ma rotation sur neuf ans ne me permet pas de planter davantage de pommes de terre sur mes terres, indique le producteur. Alors nous avons trouvé un autre moyen, j’ai échangé des parcelles avec mon voisin. Je surveille la culture, je m’occupe de la plantation et de la récolte et il réalise les traitements et l’irrigation. » Le rendement moyen est de 40 t/ha, soit une production de 4 000 tonnes de pommes de terre par an. En septembre, pour la récolte, il fait appel à une entreprise de travaux agricoles et embauche quatre saisonniers pendant un mois pour trier les pommes de terre à la main. Celles qui sont coupées, vertes, germées ou terreuses sont écartées. Puis, elles sont calibrées et entreposées dans des paloxs en bois. Enfin, elles sont séchées pour durcir leur peau, puis stockées au frais avant d’être livrées. Pour conserver les tubercules le plus longtemps possible, la température de stockage est primordiale : « pour l’Agria, je stocke à sept degrés, c’est suffisamment bas pour limiter la germination et suffisamment haut pour empêcher la transformation de l’amidon en sucre, informe l’agriculteur. Car il faut à tout prix limiter le taux de sucre dans les pommes de terre, sinon à la cuisson, le sucre caramélise et cela donne des frites noires ! » Entre septembre et juin, le stock baisse au fur et à mesure des livraisons jusqu’à l’arrivée des pommes de terre primeurs.

Agriculture raisonnée et irriguée sans glyphosate

Le cahier des charges défini avec Michel Charraire-Foucher est basé sur une agriculture raisonnée sans restriction particulière sur l’utilisation des pesticides. Damien Boude s’est cependant engagé : « je n’utilise pas de glyphosate pour désherber en interculture, mais je continue à labourer et je travaille sur la durée de mes rotations », évoque l’agriculteur. Il n’utilise pas non plus d’antigerminatif grâce au hangar réfrigéré. Pour lutter contre le mildiou et les doryphores, « je traite si nécessaire ». De plus, Damien Boude renouvelle les plants mères chaque année pour éviter la dégénérescence et limiter les maladies virales. Il les achète chez Roussineau Ets autour de 1,20 euro le plant. « Mais à cause de la sécheresse, la petite récolte de cette année va probablement peser sur le marché des plants mères pour la saison prochaine », s’inquiète l’agriculteur. Heureusement pour lui, sa culture est irriguée. Mais il craint toutefois les effets négatifs. « Cette année, ici, il y a moins de gros calibres et des écarts importants entre calibres », déplore Damien Boude (lire encadré). Les bonnes années, « on peut monter jusqu’à 60 t/ha avec l’irrigation, mais sans, on atteindrait tout juste 10 ou 20 t/ha », signale-t-il. L’agriculteur dispose d’un quota de 250 mm/ha/an et possède un puits de 45 mètres de profondeur avec lequel il irrigue ses champs de pommes de terre et d’oignons pendant deux mois et demi, entre fin avril et mi-juillet.

Aujourd’hui, Damien et Isabelle Boude gagnent bien leur vie et ont un salarié à plein temps. « Notre plus grosse difficulté, c’est de trouver de la main-d’œuvre pour la récolte et le triage, explique Damien Boude, car chez nous, il n’y a que six habitants au kilomètre carré ! » Ils ont pour l’instant des saisonniers habitués, qu’ils embauchent via le Tesa (1). La fin annoncée du Tode (2) inquiète toutefois l’agriculteur, car « les charges risquent d’augmenter ». Mais le producteur sait que la vente de sa production est assurée, la clé de sa réussite.

(1) Titre emploi simplifié agricole.
(2) Dispositif d’exonération des charges pour les emplois saisonniers.

Une EARL et 3 ETP

8 personnes maximum sur l’exploitation pendant la récolte, dont les Boude et leur salarié

340 ha dont 90 de blé, 75 de betteraves, 50 de colza, 40 de pommes de terre, 40 d’orge, 20 de luzerne, 15 de jachère et 10 d’oignon

60 ha de pommes de terre en gérance sur des parcelles voisines

9 ans de rotation des cultures

Le groupe Charraire a créé une filiale pommes de terre

Plutôt positionnée dans le haut de gamme sur le marché de Rungis, l’entreprise M. Charraire, grossiste de fruits et légumes, a créé une filiale dédiée aux pommes de terre il y a deux ans. Un retour à son premier métier puisque « les premiers légumes que nous avons vendus, c’étaient des pommes de terre », a indiqué Michel Charraire-Foucher, le président, lors d’un voyage de presse en octobre. Il est aujourd’hui à la tête de neuf entreprises spécialisées dans les produits frais (fruits, légumes, produits de la mer, herbes aromatiques…) pour un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros. M. Charraire relance la pomme de terre à frites pour toucher le marché du « fait maison » dans la restauration. Le groupe se fournit auprès de sept producteurs pendant la saison française, de mi-septembre à mi-juin, et vend 6 000 tonnes de tubercules par an autour 70 et 80 centimes d’euro le kilo.

La récolte de pommes de terre en baisse de 20 % en Europe

La récolte 2018 de pommes de terre de conservation chez les principaux pays producteurs en Europe est estimée en baisse d’au moins 20 % par rapport à 2017 à cause de la sécheresse, selon une estimation réalisée par les producteurs de pommes de terre du Nord-Ouest européen (NEPG), diffusée le 6 novembre. La production serait sous les 20 millions de tonnes. Les rendements moyens mesurés en Allemagne, Belgique, France et Pays-Bas (pas de données disponibles pour la Grande-Bretagne) sont inférieurs de 13,1 % à la moyenne quinquennale. Le NEPG observe une forte hétérogénéité des rendements selon les parcelles, les variétés et la présence d’irrigation. Le même constat est réalisé au CNIPT (1) et chez Business France. L’Allemagne et la Pologne seraient les plus touchés : -25 % et -20 % par rapport à l’année dernière. L’Italie accuse également une baisse, mais plus modérée : -5 %. Dans les autres régions, les rendements sont à des niveaux corrects. La qualité des tubercules serait aussi touchée avec des pommes de terre plus petites, et un taux d’amidon et de matière sèche plus élevés.

(1) Comité national interprofessionnel de la pomme de terre.

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