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Céréales : étudier ses coûts de production pour revisiter ses choix stratégiques

S’il demande un peu de travail d’évaluation, le coût de production est un très bon outil pour revisiter ses choix stratégiques, tant techniques, que financiers et humains.

Didier Petit (à droite), Sophie Nicolardot et Franck Gallet animent des formations collectives autour des coûts de production dans l'Aube et la Haute-Marne. © V. Noël
Didier Petit (à droite), Sophie Nicolardot et Franck Gallet animent des formations collectives autour des coûts de production dans l'Aube et la Haute-Marne.
© V. Noël

« Calculer ses coûts de production est un moyen de se réinterroger sur sa stratégie", explique Didier Petit, responsable du département Hommes et entreprises au sein des chambres d’agriculture de l’Aube et de la Haute-Marne. Il a développé une méthode pour faciliter leur évaluation et en fait le cœur de certaines formations. Car tout l’intérêt des calculs de coûts de production consiste à pouvoir les partager et les commenter au sein d’un groupe de pairs.

« Ces chiffres doivent être explicités, il faut de l’expertise, estime Franck Gallet, conseiller à la chambre d’agriculture de l’Aube. Sans explication et sans confrontation à d’autres systèmes, ils ne sont pas intéressants. » Également conseillère à la chambre d’agriculture de l’Aube, Sophie Nicolardot confirme : « le collectif a une puissance incroyable. Souvent, les agriculteurs face à leurs propres chiffres ne savent pas s’évaluer par rapport à leurs pratiques. L’échange et le partage en profondeur de ces données le leur permettent ».

Le coût de production se raisonne de façon globale mais également culture par culture. Et il s’évalue à l’hectare ou à la tonne, le rendement étant une donnée à examiner en parallèle pour éviter les erreurs d’interprétation. Plusieurs méthodes existent. Mais il faut le savoir, « quelle que soit la rigueur de l’approche, un coût de production ne recouvre pas une réalité concrète », souligne Olivier Pagnot, conseiller de gestion à la chambre d’agriculture de la Vienne. Le calcul oblige à effectuer des arbitrages qui ne tiennent pas compte, par exemple, des interactions entre les cultures et des moyens de production qu’elles mobilisent.

Le calcul complexe des charges de mécanisation

L’évaluation du coût des intrants est en général assez simple car, à quelques exceptions près comme l’assurance récolte, les charges sont directement liées aux productions. Mais il n’en est pas de même pour les charges de mécanisation. « Historiquement, la mécanisation est un élément clé de la performance économique en termes de compétitivité et de disponible chez les Scopeurs, analysait Valérie Leveau, responsable du service économie chez Arvalis, à l’occasion d’un colloque en Bourgogne organisé fin janvier. Avec la main-d’œuvre, elle représente 45 % des charges comptables. Son poids a fortement augmenté sur les dix dernières années. »

Pour évaluer ces charges, Olivier Pagnot part d’une page quasiment vierge et demande à ses agriculteurs de renseigner les interventions par grands postes pour les différentes cultures. « Ces postes sont assez détaillés : labour ou travail du sol lourd, reprise, passage de pulvé, épandages d’engrais et d’amendement, application d’antilimaces car elle est souvent faite au quad, un outil à part, désherbage mécanique s’il y en a et moisson », relève-t-il. À chaque fois, l’agriculteur doit préciser le temps de traction (ou d’automoteur) nécessaire et le parc matériel en jeu.

Des algorithmes pour éclater les charges comptables sur les différentes cultures

Dans l’Aube, Didier Petit adopte une approche plus simple, qui s’appuie sur la comptabilité de l’exploitation : « nous demandons aux agriculteurs d’éclater leurs charges comptables sur les différentes cultures. Parce que c’est parfois nécessaire, nous avons recréé des algorithmes pour ventiler les charges de production ». Avantage : ce travail, qui ne prend que deux heures, oblige les agriculteurs à se plonger dans leurs comptes et à se les réapproprier avant d’échanger.

Pour le professionnel, le « grand livre » est un outil intéressant, à la fois parce qu’il fait foi auprès des banques et parce qu’il traduit une stratégie de gestion de l’exploitation. Le fait d’avoir un décalage entre ces données et l’année en cours n’a pas vraiment d’importance : le coût de production est bien un indicateur structurel, non conjoncturel de l’état de la ferme.

Un amortissement économique plutôt que comptable

Pour évaluer le coût d’utilisation du matériel, Olivier Pagnot, de même que Didier Petit, s’éloignent de l’approche fiscale. « Nous prenons en compte la date et le prix d’achat, la durée d’usage et la date de revente possible, que les agriculteurs connaissent en général, décrit le conseiller de la Vienne. Le coût d’utilisation correspond à la différence entre le prix d’achat et le prix potentiel de revente, moyenné sur les années de fonctionnement. »

L’inflation est réintégrée dans le coût de l’outil, de même que le carburant ou la consommation d’eau et les équipements afférents pour l’irrigation. Les prestations, mais également le financement du matériel sont redistribués : « une partie des charges d’emprunt est réaffectée sur les charges de mécanisation », observe le conseiller. Le matériel commun à l’ensemble de la ferme (Manitou, broyeurs, taille-haie…) est quant à lui proratisé à l’hectare.

Se demander combien serait payé un salarié pour faire son propre travail

Une autre difficulté réside dans l’évaluation du coût de la main-d’œuvre. « Il faut que l’exploitant se demande combien serait payé un salarié pour faire son propre travail, décrit Didier Petit. Dans notre région, nous prenons l’équivalent d’un salaire d’ingénieur, que nous estimons à 25 000 euros nets par an. Il ne faut pas négliger les compétences qu’exige le métier d’agriculteur, et qui augmentent régulièrement. » Dans le cadre des groupes de travail sur les coûts de production, une discussion a souvent lieu entre les participants afin que chacun présente sa position mais également qu’un raisonnement commun soit trouvé : les comparaisons sont ensuite plus faciles.

Attention : aussi intéressante et riche soit-elle, « la méthode ne permet pas d’apprécier la pérennité d’une exploitation, ni même son revenu, indique Olivier Pagnot. La principale limite du coût de production se situe dans les exploitations diversifiées car les impacts entre les productions ne sont pas toujours chiffrables et justement répartis. »

Du coût de production au prix de revient

Structurel et reflet de la stratégie globale de gestion de l’exploitation, le coût de production ne correspond pas à un seuil de commercialisation. « C’est le prix de revient qui permet de se positionner par rapport à un prix de marché, indique Olivier Pagnot. Il faut déduire du coût de production les aides PAC, les aides environnementales au prorata des surfaces concernées par la production et les aides à l’assurance récolte, qui sont à rapporter aux cultures couvertes. »

Trois leviers pour améliorer ses coûts de production

1 La maîtrise agronomique des cultures : dans une zone difficile comme le Barrois, dans l’Aube, celle-ci passe par un allongement de la rotation, qui compte six à sept cultures dans les systèmes performants. En parallèle, le budget herbicide est réduit à moins de 100 euros de l’hectare en moyenne, la fertilisation étant maintenue mais le budget engrais de fond réduit. Globalement, Didier Petit et ses collègues observent un développement du semis direct et plus largement de l’agriculture de conservation.

2 La maîtrise des investissements matériels : faire durer son matériel au-delà de la durée d’amortissement est une solution. Mais « la gestion collective du matériel quelle que soit sa forme (location, Cuma, société en participation, ETA, copropriété…) est intéressante, observe Sophie Nicolardot, à la chambre d’agriculture de l’Aube. Pour les petites fermes en particulier, les Cuma permettent d’accéder à du matériel performant même s’il y a des contraintes ». Ce type de pratiques ne se développe pas de la même manière partout. « En Champagne crayeuse, par exemple, beaucoup d’agriculteurs sont encore attachés à la possession de leur propre matériel, remarque Franck Gallet. Mais cela commence à changer. »

3 La sécurisation de la mise en marché : le stockage à la ferme est une piste qui se développe. Autre levier, la diversification : dans l’Aube, Sophie Nicolardot constate que les fermes les plus performantes ont en moyenne 20 % de leurs surfaces qui sont décorrélées du marché, via des contrats spécifiques, notamment. L’assurance récolte est également davantage souscrite. « Globalement, ces fermes ont des régles de décision clairement définies et elles vendent lorsque le prix qu’elles souhaitent est atteint », précise-t-elle par ailleurs.

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