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AGROFORESTERIE
Pour un mariage heureux entre arbres et cultures

Le Nord de la France se met à la plantation d’arbres dans des parcelles de grandes cultures, comme en Picardie. Quelques conseils pour réussir un investissement à long terme.

L’agroforesterie s’est surtout déve- loppée dans le Sud de la France où le soleil est, pour ainsi dire, l’ennemi des cultures. Dans le Nord, on recherche moins les bénéfices de l’ombre des arbres pour les cultures.
Nous préconisons des espaces plus importants, 25 à 60 mètres, entre les rangs de ligneux. » Régis Wartelle vit dans une région où l’agroforesterie n’en est qu’à ses balbutiements. Animateur Gestion de territoire de la chambre régionale d’agriculture de Picardie, il a été un des initiateurs du développement de projets d’agroforesterie en système céréalier avec le CRPF(1). Luc Pecquet a franchi le pas il y a quel- ques années. « En mars 2008, j’ai planté 175 arbres de bois d’oeuvre dans une parcelle de 15 hectares. Six espèces ont été choisies : noyers, meri- siers, érables sycomores, alisiers, pommiers et poiriers sauvages, précise l’agriculteur de Saint-Maur dans l’Oise. Ces arbres sont espacés de 8 mètres dans chaque rangée. Les lignes font 2 mètres de large avec une bande enherbée et sont distantes de 48 mètres entre elles, soit deux fois la rampe du pulvérisateur. » Luc Pecquet est à la tête d’une exploitation de 107 hectares de cultures (blé, colza, orges et pois) avec son épouse Sabine. Il a ajouté 350 arbres de « bourrage » à sa parcelle agrofores- tière, des cornouillers, noisetiers, sureau et viornes, visant notamment à forcer les arbres de haut jet à croître en hauteur au lieu de s’étaler horizontalement.

CHASSE ET NATURE COMME MOTIVATIONS

« Ces arbres de moyen jet et la bande enherbée profitent à la biodiversité, souligne Régis Wartelle. Les lignes agro- forestières rapprochent les insectes auxi- liaires des ravageurs. » Luc Pecquet n’est pas insensible à cette remarque. Le développement de la biodi- versité a été sa motivation première dans ses plantations d’arbres et, plus précisé- ment, d’une certaine faune sauvage. L’agri- culteur est un passionné de chasse. Chercheur spécialisé en agroforesterie à l’Inra de Montpellier, Christian Dupraz signale un autre effet bénéfique pour l’en- vironnement : le piégeage des nitrates. « Sur une parcelle de 15 ans, il n’y a plus de nitrates quittant le champ, a-t-il pu mesurer. Les ligneux diminuent la lixivia- tion des nitrates quand ils ont dépassé dix ans d’âge. » Il a étudié leur impact sur le rendement des cultures. « Si l’espacement entre les lignes est d’au moins la hauteur des arbres à la taille adulte (20 m pour des noyers), l’effet est nul sur les 20 à 25 premières années. Au-delà, la production commence à décliner et peut tomber à 60 % d’une parcelle sans arbre au stade où le bois est exploitable. »

Proche de la retraite, Luc Pecquet ne tirera pas profit directe- ment de la production de bois d’œuvre dans trente ou quarante ans. « Ce sera pour mes enfants ou mes petits-enfants. » Il plante des arbres tous les ans, lui qui se désole d’avoir vu le plateau picard rasé de tous ses ligneux il y a cinquante ans. Il ne passe qu’une demi-journée par an à l’entretien de sa jeune parcelle agrofores- tière. Mais pour Fabien Liagre, directeur du bureau d’étude Agroof, le temps à consacrer à l’entretien des arbres est l’un des freins au développement de l’agroforesterie. « Il est nécessaire de tailler et d’éla- guer les arbres tous les ans durant les dix à quinze premières années si l’on veut en tirer du bois d’œuvre. Sur des arbres en fin de formation (10 à 15 ans), il peut être néces- saire d’y consacrer plus d’une journée par hectare. »

DES SUBVENTIONS RÉGIONALISÉES


Les agriculteurs précurseurs de Picardie ont bénéficié à plein d’aides financières du Conseil régional. « Dans un cadre d’expérimentation avec un crédit inno- vation, la région a pris en charge le coût des arbres, leur protection, le paillage. En contrepartie, nous demandions de pou- voir faire le suivi des parcelles », précise Régis Wartelle. En effet, un hectare du champ de Luc Pecquet fait office de témoin forestier avec une densité élevée de feuillus. Leur croissance est mesurée et comparée à celle des plantations de l’agroforesterie. Il est généralement constaté que les arbres des champs ont une croissance plus rapide qu’en forêt. Ils tirent profit de leur isolement, des éléments fertilisants apportés... Pour Luc Pecquet, la facture totale de la plantation a été de 3 500 euros, prise en charge intégralement par le Conseil régio- nal. Le paillage, les tuteurs et les protec- tions ont été plus coûteux que les arbres eux-mêmes (2 à 3 euros par pied).

En 2007 et pour cinq ans, l’agriculteur a signé un contrat de gestion de territoire spécifique avec la région Picardie pour l’entretien de ses rangées de feuillus mais aussi de ses 3,7 kilomètres de haies, ses mares et son pré verger de 8 hectares. Il perçoit 5 000 à 6 000 euros par an. En ce début 2011, le développement de projets d’agroforesterie est au point mort en Picardie. « Pour le moment, il n’y a plus d’aide financière sur ce mode de pro- duction. Mais Régis Wartelle voit pro- chainement un déblocage de la situa- tion. La mesure 222 du PDRH a été activée par la France pour une déclinai- son dans chaque région. Nous pouvons la mobiliser avec un financement euro- péen de 60 % des charges à la clé. Mais il faut trouver un financeur français en contrepartie pour débloquer l’aide et il est prévu que ce soit le Conseil régional. Des plantations devraient être subven- tionnées pour la prochaine campagne. »

Christian Gloria

(1) Centre régional de la propriété forestière.

Les aides spécifiques à l'agroforesterie

Aides financières, éligibilité, statuts, valorisations... Les parcelles agroforestières sont considérées comme agricoles, tout en bénéficiant de quelques spécificités réglementaires.

ADMINISTRATIF

L’agroforesterie « moderne » se rapporte à des arbres plantés dans des parcelles de grandes cultures. Elle répond aux contraintes des systèmes agri- coles actuels (mécanisation, interrang adaptés aux passages d’engins...) et repré- sente 4 000 à 5 000 hectares, selon Fabien Liagre, Agroof. L’agroforesterie de type traditionnel occupe environ 160 000 hectares en France avec une majorité de prés vergers mais aussi des noyeraies, oliveraies et peupleraies avec grandes cultures.

ÉLIGIBILITÉ

Les parcelles agroforestières sont admis- sibles aux droits à paiement unique (DPU), à condition de présenter une densité comprise entre 30 et 200 arbres à l’hec- tare. La parcelle boisée est considérée comme agricole et ce pour la totalité de sa surface, y compris l’emprise des arbres.

Dans le cadre de la conditionnalité des aides PAC, les parcelles agroforestières entrent dans le champ de la BCAE « main- tien des éléments topographiques ». Un mètre linéaire d’une rangée d’arbres équi- vaut à 10 mètres carrés en surface équi- valent topographique (SET). Les SET doivent représenter 3 % des la SAU de l’exploitation en 2011 et 5 % en 2012.

AIDES À L’INVESTISSEMENT

La mesure 222 « première installation de systèmes agroforestiers sur des terres agricoles » a été activée en France et fait désormais partie des mesures du PDRH(1) pour 2007-2013. Une circulaire du minis- tère de l’Agriculture du 6 avril 2010 offi- cialise cette mesure. Elle était très attendue car elle pourrait booster la mise en place de parcelles agroforestières en France. Elle va permettre de financer les coûts d’installation des arbres ainsi que l’en- tretien les premières années à hauteur de 70 %, voire 80 % en zones défavorisées. Le financement proviendra pour parties de l’Europe (Feader, 2nd pilier) et d’une

collectivité territoriale. « Six régions(2) se sont déjà engagées à financer cette mesure en définissant les enveloppes budgétaires et des objectifs en termes de surface, précise Fabien Liagre. Dix mille hectares de plan- tations sont prévues. D’autres régions discutent sur la mise en œuvre prochaine de la mesure. »

VALORISATION DE LA PARCELLE

Les arbres apportent de la valeur à la parcelle pour le bois d’œuvre qui y est produit. « Mais pas seulement, selon Fabien Liagre. Sur une parcelle agrofo- restière, on mesure un taux de matière organique supérieur de 50 % à une parcelle sans arbres. Les terres présentent un meil- leur état structural et ce pourrait être valo- risé dans le cadre d’un fermage. » Fabien Liagre imagine une mesure permet- tant à une entreprise d’investir dans l’agro- foresterie dans le cadre de compensation des émissions carbone. « Cette possibilité n’existe que pour les milieux tropi- caux mais pas en zone tempérée. Filiale de la Caisse des Dépôts, CDC Climat planche avec le réseau Agriculture de conservation sur l’agroforesterie pour donner une valeur au carbone séquestré dans ce système. » Le bois d’une parcelle agroforestière peut être produit pour un débouché bio-énergie. Des études sont en cours avec le rajout de taillis à courte rotation dans les rangées de ligneux ou la production d’arbres têtards.

Les parcelles agroforestières relèvent du statut du fermage. Dans ce cadre, l’ex- ploitant non propriétaire doit obtenir l’autorisation du bailleur pour planter des arbres. L’agriculteur aura intérêt à conclure un accord avec le propriétaire sous forme d’un avenant au bail pour définir le sort de la coupe des arbres et du produit de cette coupe pendant la durée du bail.

EN SAVOIR PLUS

Divers sites internet traitant du sujet

- www.agroof.net - Le bureau d’étude agro- forestière Agroof met à disposition divers documents et vidéos. q www.agroforesterie.fr - L’association française de l’agroforesterie (Afaf) publie une revue semestrielle Agroforesteries.

- www.chambres-agriculture.fr - Les chambres d’agriculture font un état des lieux régu- liers sur la réglementation. q www.solagro.org - L’association Solagro a édité des ouvrages sur la place des arbres en agriculture.

- www.inra.fr - Des recherches sont menées spécifiquement sur l’agroforesterie par l’Inra. q www.arbre-et-paysage32.com - L’association Arbre et paysage 32 développe des actions en faveur de l’arbre hors forêt dans le Gers. q www.afahc.fr - Afahc, l’association des arbres et haies champêtres .

- www.agriculture-de-conservation.com - Le réseau Agriculture de conservation.

(1) Plan de développement rural pour l’Hexagone. (2) Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Pays de la Loire, Poitou-Charentes, Aquitaine, Midi-Pyrénées.

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