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Négocier ses dettes pour renflouer sa trésorerie

Suite à la récolte 2016 calamiteuse, de nombreuses trésoreries vont être dans le rouge d'ici la prochaine récolte. Prêt à court terme, année blanche ou réduction des charges sociales et fiscales... Le point sur les solutions pour sortir de la crise.

La moisson 2016 va laisser des traces dans les trésoreries des exploitations de grandes cultures. Faire face signifie remettre à plat son endettement à court terme tout en prenant des décisions pour agir à moyen terme. « Cette année, nous avons pour mission de faire le point sur les trésoreries de nos agriculteurs afin d'anticiper leur dégradation et de leur proposer des solutions adaptées à leur situation », explique Didier Roison, conseiller d'entreprise au Cerfrance Seine Normandie. Rares sont les fermes où aucune dégradation financière n'est relevée. Dans les meilleurs des cas, le manque à gagner est compensable par des réserves, des épargnes de précaution sous la forme d'une DPA (dotation pour aléas) ou tout simplement un livret A. « Dans ce cas, cette année, il faudra peut-être piocher dans ses bas de laine », envisage Nicolas Girault, conseiller d'entreprise au Cerfrance Sud Champagne.

Ne pas hésiter à recourir aux prêts à court terme

Lorsque la dégradation financière est plus importante et les réserves moindres, les réponses diffèrent selon le potentiel de la ferme. « Les exploitations solides financièrement ne seront dans le rouge que de manière conjoncturelle », précise Didier Roison. Les solutions peuvent alors être simples. « À court terme, le chef d'exploitation peut essayer de différer les charges courantes. Par exemple, s'il avait prévu de changer les pneus de son tracteur, mieux vaut attendre », illustre Nicolas Girault. « D'autres vont se diriger vers des mesures qui ne sont pas forcément judicieuses, estime le conseiller. Certains agriculteurs ont déjà choisi de ne pas apporter de fumure de fond, d'utiliser des semences fermières ou de ne pas désherber à l'automne. » Or pour Didier Roison, l'agriculteur peut s'y prendre autrement : « il ne doit pas hésiter à souscrire des prêts court terme, les taux sont bas en ce moment ». Dans cet esprit, le Crédit mutuel Nord Europe a ainsi mis à disposition une enveloppe 30 millions d'euros accessibles sous forme de prêts à des taux compris entre 0,5 et 1,10 % selon la durée. « Cette réserve d'argent est disponible pour les agriculteurs dont le besoin en trésorerie est ponctuel. Les conditions d'accès seront à la carte », précise Mathieu Westerloppe, responsable du pôle professionnels au Crédit mutuel Nord Europe. Autrement dit, il faudra montrer patte blanche, donc être suffisamment solide pour pouvoir rembourser rapidement.

Basculer d'une assiette triennale à annuelle

C'est également le moment de négocier les délais de paiement avec ses fournisseurs. « Le Crédit agricole Nord de France, par exemple, a mis en place un financement tripartite, entre les coopératives et négoces, la banque et les agriculteurs. Via leur organisme stockeur, les agriculteurs auront accès à un financement de 550 euros par hectare pour leurs achats d'approvisionnement », annonce Sébastien Lejosne, chef du service financement des agriculteurs au Crédit agricole Nord de France. « Mais attention aux taux que proposent les fournisseurs, qui induisent un coût de report potentiellement important. Il faut également garder la confiance de ses créanciers mais aussi, bien discerner le fournisseur financier et celui de marchandises », alerte Didier Roison. Pour le conseiller, c'est également l'occasion de revoir avec sa banque le plafond du découvert autorisé ou de différer une annuité avec le fond d'allégement des charges (voir encadré).

Autre levier : la réduction des prélèvements de charges sociales ou d'impôts, le chef d'exploitation pouvant demander à revoir à la baisse les tiers prévisionnels compte tenu de sa baisse de revenus. « Il peut ainsi trouver un peu de souplesse. La MSA propose quant à elle aux agriculteurs qui utilisent l'assiette de cotisation triennale de migrer vers une assiette annuelle. Ainsi, dès le printemps, les agriculteurs pourront demander une réduction des apports des charges sociales sur l'année 2017 », explique Didier Roison. « Il ne suffira pas d'une seule année pour éponger le manque de trésorerie liée à la moisson 2016. Les banques et OS ne proposeront pas le même montant d'avances de trésorerie pour l'année prochaine », craint Nicolas Girault. Le recours à des aides sociales est aussi envisageable. « En diminuant les prélèvements privés, l'agriculteur peut avoir accès aux primes d'activité ou au RSA », rappelle Éric Gauthrin, directeur conseil en gestion et stratégie d'entreprise chez Cerfrance Sud Champagne. Dans tous les cas, les deux conseillers d'entreprise soulignent l'importance d'évaluer les marges de progrès technico-économiques de l'exploitation.

Attention à ne pas trop accroître ses annuités futures

Pour les exploitations dont le potentiel est plus limité, l'urgence est selon Didier Roison, de recréer de la trésorerie. Cela passe par un apport de fonds extérieurs ou par la vente de biens matériels, fonciers voire personnels par exemple. Il faut également fixer un montant maximum d'annuités. Afin d'améliorer son EBE, l'agriculteur peut choisir de diversifier ses sources de revenu, en travaillant par exemple un peu à l'extérieur. Un prêt à court terme supplémentaire n'est pas à exclure d'emblée. « Mais si cela donne de l'air cette année, il ne faut pas oublier que l'année prochaine les annuités seront plus élevées », avertit le conseiller normand. « La campagne 2016 ne couvrira pas les frais de la campagne 2017. Le Crédit agricole Nord de France a donc mis en place un prêt 'plan de soutien 2016' qui a pour objectif de donner de la souplesse aux trésoreries. C'est une consolidation de prêt : l'agriculteur peut souscrire un prêt à un taux de 1,10 % pour payer les annuités de 2016-2017. C'est ce qui semble être pour moi le moins coûteux », explique Sébastien Lejosne (voir exemple).

De nombreuses cellules d'aides aux agriculteurs en difficulté se sont établies. Qu'elles se nomment « Rebondir », « Cap'agri », « Solidarité paysans »... l'objectif est le même : assurer un accompagnement technico-économique personnalisé et humain. Des aides régionalisées ont été mises en place, à l'image de l'Indre où une demi-journée de formation est prévue. « On se penchera sur l'EBE, le taux d'endettement, les ratios ainsi que leurs évolutions. Puis selon les résultats, nous dirigerons les agriculteurs vers l'association de la MSA Agriculteurs demain, qui orientera l'agriculteur vers les aides sociales mises à sa disposition. Sinon, un audit technico-économique et financier d'une durée de trois jours sera réalisé par les OPA. Une aide de 1000 euros est proposée aux agriculteurs pour financer cet audit. On y évaluera la rentabilité de l'exploitation et les investissements effectués », explique Amandine Bernard, conseillère d'entreprise à la chambre d'agriculture de l'Indre. Ensuite si c'est nécessaire, l'exploitant pourra se présenter à la commission départementale d'orientation agricole et bénéficier d'aides plus spécifiques.

Prévoir d'autres années 2016

« Après cette année difficile, certains agriculteurs seront obligés de revoir leur comportement de gestion pour mieux affronter les aléas climatiques et économiques », expose Nicolas Girault. Pour Didier Roison, il est primordial de connaître son coût de production ainsi que son coût de revient afin de sécuriser ses ventes. « Un point que le chef d'exploitation doit surveiller : l'investissement et le suréquipement, qui sont des charges qui pèsent sur le résultat de l'entreprise », martèle le conseiller. Et d'ajouter « il faut considérer que 2016 ne sera pas la seule année difficile, il faut garder en tête que la fluctuation des prix apporte une très grande variabilité du résultat économique. Il est donc important de constituer une épargne de précaution ».

Un fonds pour limiter les frais

Le fond d'allégement des charges (FAC) est un plan national destiné aux agriculteurs ayant besoin de relancer leur trésorerie. « L'État s'engage à prendre en charge, à hauteur de 50 % maximum le coût de la restructuration des prêts ou celui de l'année blanche », explique Amandine Bernard, conseillère d'entreprise à la chambre d'agriculture de l'Indre. « L'année blanche reste la solution idéale, même si c'est à la banque que les négociations vont avoir lieu », estime Didier Roison. Elle permet de reporter une annuité à la fin du tableau.

Il existe également la modulation des prêts. « Certains prêts sont déjà modulables, il ne faut pas hésiter à utiliser cette possibilité. Pour les autres, on peut imaginer un regroupement de tous les emprunts et souscrire un nouveau prêt à long terme. (voir exemple) Toutefois si les annuités diminuent au début, ce dispositif ne redonnera pas de trésorerie immédiatement. De plus, il peut y avoir des pénalités si par exemple, l'un des emprunts arrivait à son terme, sans compter les frais de dossier », avertit Didier Roison.

Quatre indicateurs clés

. EBE : Produits - charges opérationnelles - charges fixes (matériel, carburant, main-d'oeuvre salarié) - cotisations MSA. L'EBE sert à financer les annuités et les prélèvements privés.

. EBE/Produit : ce ratio mesure l'efficacité économique du système et donc sa rentabilité.

. Revenu disponible : EBE - annuités et emprunts court terme.

. Taux d'endettement : Il traduit ce qui n'appartient pas à l'entreprise, à l'inverse des capitaux propres qui représentent au contraire les propriétés de l'entreprise.

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