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Les variétés d'orges d’hiver six rangs ont trouvé la voie de la brasserie

En France, les efforts de sélection ont permis de créer des escourgeons de qualité brassicole, ce qui n’existe pas dans les autres pays producteurs. La qualité de ces orges se rapproche de celle des variétés de printemps.

En moyenne, huit nouvelles variétés d'escourgeons sont inscrites chaque année en France, avec une part importante prise par les orges de qualité brassicole.
© C. Gloria

C’est une spécialité française. Les semenciers ont travaillé les orges d’hiver six rangs pour en obtenir des variétés brassicoles, à côté de celles fourragères. Les résultats ont porté leurs fruits. La liste du CBMO(1) comporte huit variétés recommandées en malterie et brasserie. Et parmi les huit nouveautés inscrites au catalogue officiel des variétés en France, il y a cinq variétés de qualité brassicole. « Or, en 2012, il n’y avait que deux variétés d’escourgeons de qualité brassicole supérieure (classe A) », note Florent Cornut, directeur développement de Secobra Recherches.

Pourquoi avoir choisi cette orientation alors que les orges de printemps apportent une haute qualité brassicole ? « Les orges d’hiver s’avèrent plus productives. Elles présentent un PS plus élevé et sont donc moins coûteuses pour la malterie », explique Jean-François Herbommez, responsable orges brassicoles chez KWS Momont. « Une qualité comme la teneur en protéine est moins sujette aux risques de fortes variations en orge d’hiver grâce à son cycle long de végétation par rapport aux orges de printemps », mentionne de son côté Florent Cornut. La sélection tend à rapprocher la qualité de ces escourgeons de celle des orges de printemps.

Beaucoup de caractères sont travaillés pour satisfaire la filière malterie-brasserie. Comme le calibrage. « On peut encore y faire des progrès pour obtenir une taille homogène des grains sur tous les étages de l’épi, plus difficile à obtenir que sur les deux rangs des autres orges, explique Amélie Genty, responsable de la sélection orges d’hiver chez Secobra. « Nous sommes arrivés à des niveaux assez élevés de calibrage avec une importante amélioration sur les quinze dernières années », remarque Louis-Marin Bossuet, responsable études Vate orges, avoine et blé dur au Geves.

Des orges répondant bien à des débouchés à l’export

Lors des deux années d’inscription, toutes les variétés d’orges, d’hiver et de printemps, sont mises à la même enseigne sur les caractères de qualité technologique avec six critères mesurés sur malt. Le pouvoir diastasique est un de ces critères. « Beaucoup des variétés d’orges d’hiver six rangs présentent un pouvoir diastasique élevé, ce qui en fait un atout pour des débouchés à l’export, précise Jean-François Herbommez. Un pays comme la Chine utilise beaucoup les malts de cette qualité. »

Sur le plan agronomique, l’amélioration variétale porte classiquement sur la résistance aux maladies dont certaines sont dues à des virus comme la JNO (voir en pages 24-25) ou les mosaïques Y1 et Y2. « Les variétés d’hiver comportent dorénavant la résistance à la mosaïque Y1 qui était très préjudiciable pour le rendement. La mosaïque Y2 est moins présente sur le territoire et a moins d’impact qu’Y1. Néanmoins, nous sommes parvenus à obtenir des orges avec la résistance aux deux mosaïques », signale Amélie Genty.

Et en ce qui concerne la verse ? « C’est un point faible chez les orges », selon Isabelle Chaillet, Arvalis. La tenue de tige est notée par le Geves à l’inscription, précisément quand la plante est encore verte alors que l’orge est sujette à deux autres types de « verse » à maturité : la cassure au niveau des nœuds (casse paille) et au niveau du col de l’épi (casse épi). « Nous recherchons des orges qui se tiennent plutôt droit au niveau des épis, plus solides, comme c’est le cas pour la variété Etincel, explique Amélie Genty. D’autre part, la sensibilité à la verse est corrélée à celle de la finesse de l’enveloppe du grain, un caractère qui est recherché par la brasserie. Il nous faut donc trouver le bon compromis entre cette finesse de paille et une bonne tenue de tige. »

Ralentissement de l’amélioration du rendement

Le rendement demeure, bien sûr, une priorité dans les critères de sélection. Une stagnation des rendements au champ est constatée depuis la fin des années 90 pour diverses raisons. « Le progrès génétique est toujours là sur le rendement, assure Jean-François Herbommez. Mais il est moins fort qu’auparavant. Nous avons réalisé des efforts sur l’obtention de meilleures qualités chez les orges d’hiver en particulier. On a beaucoup 'précocifié' pour répondre aux demandes du marché. Dans beaucoup de zones de production des orges d’hiver brassicoles (Nord, Est, Bourgogne), on recherche des variétés précoces. Ces orientations ont pu peser sur l’amélioration du rendement. »

Pour le débouché fourrager, la productivité reste le critère numéro 1. Le PS et la teneur en protéines sont également importants ainsi que les critères de résistance face aux accidents qui concernent toutes les orges d’hiver. Il n’y a pas véritablement une recherche dédiée aux orges fourragères. « Nous connaissons bien différents types de qualité de protéines qui pourraient convenir à l’alimentation des monogastriques mais cela n’est pas exigé par les utilisateurs », signifie Amélie Genty. Une orge très productive qui ne répondrait pas aux exigences de la filière brassicole ne sera pas rejetée car elle pourra faire une très bonne carrière chez les éleveurs.

Mais les variétés fourragères ne représentent qu’un tiers des surfaces d’orges d’hiver. « Les variétés six rangs brassicoles se sont nettement rapprochées des orges de printemps en termes de qualité, à tel point qu’elles commencent à intéresser d’autres pays que la France, signale Jean-François Herbommez. Notre variété KWS Faro a été référencée en Allemagne. » Une première dans le pays de la bière.

(1) Comité bière malt orge.
EN CHIFFRES

Deux tiers des orges d’hiver sont brassicoles

1,3 million ha d’orge d’hiver à la récolte 2018 dont plus de 850 000 ha d’orge brassicole ;

Près de 720 000 ha d’orge d’hiver brassicole avec les variétés « préférées » de la liste du CBMO, dont plus de 70 % d’Etincel, aux alentours de 10 % d’Isocel, 5-10 % de Passerel ;

8 nouvelles variétés d’orges d’hiver en moyenne inscrites en France chaque année (sur une quarantaine déposée à l’inscription en 1re année et une vingtaine en 2e année).

 

La recherche publique peu présente en France

Contrairement au blé tendre, il n’existe pas une recherche publique dévolue à l’orge en France. Des chercheurs interviennent ponctuellement sur des projets FSOV ou Casdar. Sur l’orge, la recherche fondamentale sur le génome est assurée par des pays comme le Royaume-Uni (Angleterre, Écosse) et l’Allemagne. D’ailleurs, les obtenteurs majeurs ont des stations de recherche dans ces pays en plus de la France. Ce n’est pas un hasard si pour la sélection assistée par marqueurs, une puce à ADN de 50 000 marqueurs est issue de la recherche allemande et écossaise.

Une petite place pour les orges d’hiver deux rangs

Pour le marché fourrager principalement, les variétés deux rangs occupent entre 20 et 25 % des surfaces d’orges d’hiver en France. « Elles ont perdu un peu de parts de marché au profit des hybrides", estime Jean-François Herbommez, KWS Momont, dont la société commercialise la variété la plus développée, KWS Cassia. La recherche variétale et les inscriptions sont moins dynamiques sur cette orge que sur les escourgeons ou celles de printemps. Une seule variété a été inscrite en 2019 : Amandine. Mais la sélection n’est pas abandonnée pour autant car ces orges intéressent les marchés de l’ouest de la France et aussi de l’Espagne, de l’Italie, voire de Hongrie, Tchéquie… La dimension européenne la sauve. Ces orges gardent des spécificités intéressantes, notamment un calibrage des grains plus important que chez les escourgeons ainsi qu’un PS et une teneur en protéines plus élevés, ce qui procure des avantages pour l’alimentation animale. Et pour le marché brassicole ? Une seule variété est recommandée par le CBMO, Salamandre, qui n’est pas toute récente. « Les malteurs en demandent car ces orges présentent généralement une qualité supérieure aux escourgeons, observe Jean-François Herbommez. Les recherches continuent pour cette filière sur ces orges, même si la rentabilité recherchée est moins évidente qu’avec les autres types d’orges. »

Les hybrides s’imposent aux semenciers

Les orges hybrides approchent les dix ans d’existence en France. Celles de marque Hyvido commercialisées par Syngenta ont séduit des agriculteurs jusqu’à dépasser les 100 000 hectares de surface. Syngenta met en avant les gains de productivité, la rusticité, les densités de semis plus faible, les économies possibles d’azote… « Avec nos orges Hyvido, on peut alléger le premier traitement fongicide d’une demi-dose grâce à la tolérance aux principales maladies foliaires », ajoute Nathalie Aujard, directeur marketing semences chez Syngenta. Mais les surfaces se sont un peu tassées ces dernières années pour ces hybrides qui sont utilisés en fourrage.

Seules des obtentions de Syngenta Seeds sont sur le marché dont certaines commercialisées par Semences de France. Cependant, plusieurs semenciers ont emboîté le pas de Syngenta sur l’obtention d’orges hybrides même si certains s’interrogent encore sur une mise en marché concrète dans le futur et que d’autres notent le faible hétérosis chez cette céréale. Saaten Union est le prochain obtenteur à proposer ces variétés. « Nous avons déjà déposé trois hybrides à l’inscription en France et nous commercialisons des orges inscrites dans d’autres pays européens comme Hedy et SU-Hylona, cette dernière proposée pour l’Hexagone, précise Charles Snijders, Saaten-Union. Nous notons des améliorations de rendement de 7-8 % en moyenne par rapport aux meilleures lignées témoins. Ces hybrides répondent mieux aux situations de stress avec une meilleure régularité de production. »

Aucun hybride validé pour la brasserie

Il y a un hic : aucune orge hybride n’a été validée pour une utilisation en malterie et brasserie. C’est le futur enjeu pour les semenciers avec la difficulté d’une récolte comportant des plants hétérogènes propres à l’obtention d’hybrides. « Avec le Geves, un projet Casdar a été mis en place sur trois ans avec neuf obtenteurs pour voir comment on peut prendre en compte les spécificités de ces hybrides dans leur évaluation, notamment sur les critères technologiques de la brasserie-malterie », signale Charles Snijders. Autre challenge non atteint actuellement, l’obtention d’orge hybride avec la tolérance à la JNO.

Pour le moment, les orges hybrides n’apportent pas la révolution. « Mais, selon Jean-Charles Deswarte, Arvalis, ce type variétal peut permettre de réintéresser certains sélectionneurs à l’obtention de ces céréales, ce qui pourrait engendrer une dynamique de sélection intéressante pour la filière. Les hybrides sont plus rapides à sélectionner que des lignées. »

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