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En chiffres
Les modes de détention du foncier agricole évoluent

L’analyse livrée fin mai par la FNSafer sur les marchés fonciers ruraux montre que si les prix ont peu évolué sur un an, certaines tendances se confirment quant à la façon dont les agriculteurs contrôlent leurs terres. Fermage préalable à l’achat, recours aux sociétés… il faut s’adapter à des prix tendanciellement plus élevés et à une demande somme toute importante.

La conjoncture agricole est un moteur puissant du marché des terres et des prés. Il n'a donc pas enregistré de hausse des prix en 2016 : «la baisse des taux d’intérêt ne suffit pas à contrecarrer l’effet de la chute des revenus agricoles », a expliqué Robert Levesque, directeur de Terres d’Europe-Scafr, le 30 mai, lors de la présentation en conférence de presse des résultats annuels de l’observatoire des prix des terres agricoles. À 6030 euros l'hectare en moyenne, les prix moyens globaux demeurent quasiment stables par rapport à 2015. Dans les zones de grandes cultures, où la terre vaut en moyenne 7460 euros l'hectare, ils sont même en retrait de 0,9%.
Il n’empêche. Sur le long terme, les prix des terres agricoles ont tendance à augmenter. « En valeur constante, ils ont doublé entre 1950 et 2016 », indique Robert Levesque. Le foncier agricole attire, comme en témoigne le volume des surfaces échangées, qui a gagné 4,6 % à 358 000 hectares. Une partie de ces hectares, faible mais en hausse, sort de l’agriculture. Les acquisitions se font sous des formes un peu différentes qui tiennent compte de la charge financière importante que le foncier fait peser sur les exploitations. Quatre points pour y voir plus clair.

    1- Un foncier agricole qui tend à s’amenuiser

« De nouveau, nous observons une pression sur les terres agricoles liée à l’artificialisation et ce, malgré les différentes lois qui ont pu être votées. » En conférence de presse le 30 mai, Emmanuel Hyest, président de la FNSafer, s’est montré relativement inquiet. «Quand on disait il y a deux ans que la crise nous avait aidés à réguler le prix des terres, on ne se trompait pas, a-t-il ajouté. La régulation est plus que jamais nécessaire et indispensable. » Selon les chiffres de la FNSafer établis avec le ministère de l’Agriculture, les ventes de biens agricoles destinés à l’urbanisation ont augmenté entre 2016 et 2017 de 22 % en nombre et de 24 % en surface. Par ce biais, 28 000 hectares agricoles ont disparu l’an passé pour un montant de 4,6 milliards d’euros. Pour la FNSafer, les corrélations entre le marché des terres agricoles destinées à l’extension urbaine et les terres réellement artificialisées laissent penser que 50 000 à 60 000 hectares seraient en réalité perdus pour l'agriculture chaque année. C'est à peu près le même niveau qu'au début des années 2000.
Contrairement à ce que l’on peut imaginer, ce ne sont pas les zones commerciales ou autres zones d’activité qui consomment le plus de surface, mais le marché de l’habitation. Les acquisitions sont principalement le fait de personnes physiques qui, après le fort recul de 2012, reprennent leurs achats depuis 2015. La faiblesse des taux d’intérêt associée à une légère embellie économique n’y est pas pour rien.
Les prix des terres globalement un peu plus élevés dans les régions de grandes cultures sauvent probablement une partie des hectares : « plus le terrain est peu cher, plus il est consommé », observe Emmanuel Hyest. Ainsi, c’est dans la Creuse que les maisons absorbent le plus de terrain agricole.

    2- Les terres louées, une forme de placement

Certes, les prix moyens des terres agricoles ont stagné en 2016. Mais en disséquant un peu ce vaste marché, on s’aperçoit que le sous-secteur des terres et prés loués a bénéficié lui d’une conjoncture plus favorable. Les prix sont en hausse moyenne d’1,9 % à 4550 euros l'hectare. Toutes les zones sont concernées. En régions de grandes cultures, les prix profitent ainsi d’une embellie de 2,2 % à 5770 euros l'hectare. Pour Robert Levesque, « on assiste à une inversion de tendance. Car depuis 1995, le prix des terres libres a toujours augmenté plus vite que celui des terres louées ». La raison ? Dans un contexte où la rémunération des placements classiques comme le livret A est faible, « le rendement locatif reste intéressant, ajoute le spécialiste. Ça bouleverse la donne ». Très variable, ce rendement est à moins de 2,6 % en moyenne en Ile-de-France ou en Champagne-Ardenne, mais il monte à plus de 3,8 % dans la Somme, en Vendée ou en Côte-d’Or. Pour Emmanuel Hyest, un autre phénomène pourrait entrer en jeu : « Acheter des terres louées permet de passer outre le droit de préemption des Safer, ce qui peut être un plus. Nous savons que des terres sont affichées louées alors qu’elles sont en réalité libres. »

    3- Le foncier plus difficile d'accès sans une période de fermage

En parallèle de cette hausse du prix des terres louées, le marché de la consolidation de l’assise foncière, qui recense les achats réalisés par les agriculteurs fermiers, se fait plus actif. Il a augmenté ces 23 dernières années de 32 %, pour monter à 163 900 hectares. Autrement dit, de plus en plus d’agriculteurs louent les terres avant de les acheter, une façon, entre autres, de retarder l’acquisition qui pèse très lourd dans une exploitation. De fait, le marché de l’achat en direct pour agrandissement et installation affiche une baisse de 22 % par rapport à 1993. Il reste tout de même le premier en surfaces, puisqu’il représente 56 % des échanges.

    4 – Un rôle accru des sociétés

Les chiffres montrent également un développement du recours aux sociétés. En moins d’une vingtaine d’années, les structures de type SCEA, SA ou SARL ont ainsi fortement progressé : elles ne détenaient que 6,5 % de la SAU en 2000 contre 11,3 % en 2013. Ces structures peuvent être une porte d’entrée pour des personnes non agricoles qui veulent investir. « Elles détiennent du capital pour recevoir des revenus mais ne participent pas aux travaux d’exploitation », souligne Robert Levesque. « De plus en plus souvent, il y a un partage des revenus avec des co-héritiers », ajoute Emmanuel Hyest. Pour la FNSafer, ce processus peut permettre d’alléger le poids du foncier pour l’agriculteur. Dans le même temps, une autre tendance s’affirme : le développement des sociétés de portage du foncier. Alors qu’elles étaient presque absentes du marché en 1993, elles font désormais jeu égal avec les sociétés d’exploitation agricole. « Le capital foncier est de plus en plus distinct du capital d’exploitation », résume la FNSafer dans son document sur le prix des terres. Ces sociétés de portage peuvent faire intervenir des capitaux extérieurs et peuvent constituer une porte d’entrée pour de nouveaux acteurs. «On a une très forte demande des investisseurs pour du foncier agricole, observe Emmanuel Hyest. Ce n'est pas pour mettre à bail, ce qui serait positif et permettrait d'aller chercher des hors cadre familial, mais c'est pour être détenteur de l'exploitation du foncier." Il s'agit de structures de type assurance-vie ou fonds de pension, qui ont beaucoup à investir. Pour le responsable, le phénomène est appelé à se développer et ne peut être positif qu’à condition qu’il soit organisé. À bon entendeur…

"On a une très forte demande des investisseurs pour du foncier agricole"

La régulation des ventes de parts sociales, un sujet épineux

Rappelons que la loi relative à l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle voté mi-février aurait pu donner davantage de pouvoirs aux Safer pour contrôler les ventes de parts dans les sociétés détentrices de foncier. Elle prévoyait d’étendre le droit de préemption des Safer aux ventes partielles de parts sociales. Approuvée par le Parlement, elle a été retoquée mi-mars par le Conseil constitutionnel. Motif : elle portait atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Le sujet n’est pas clos pour autant. Un certain nombre d’acteurs souhaiterait une nouvelle loi sur le foncier.

Des hectares mais peu de valeur

358 000 ha agricoles vendus en 2016, qui représentent 62 % du marché de l’espace rural.

4 milliards d’euros, valeur globale des ventes de terres agricoles, soit 17 % seulement du marché de l’espace rural.

4,5 milliards, valeur générée par les 28 000 ha artificialisés.

Des terres plus coûteuses au nord et au sud de l’Hexagone

C’est dans le nord de la France, et plus particulièrement dans les Hauts de France, que la terre agricole se négocie le plus cher. Toutefois, cette région connaît à nouveau un recul : la tendance à la baisse entamée en 2014 se poursuit.

En Ile-de-France et en Normandie, qui constituent le trio de tête avec les Hauts-de-France, les prix poursuivent leur progression, augmentant respectivement de +10 et +2 %. En région parisienne, la hausse est toutefois relative : elle touche surtout les Yvelines, qui rattrape leur retard avec un hectare à 9320 euros de moyenne désormais. En Normandie, c’est un peu la même chose : la hausse ne concerne que le Calvados, la Manche et l’Orne.

Moins cher, le Centre-Val-de-Loire est l’une des régions où le prix des terres a le plus augmenté en 2016. À 6130 euros, l’hectare se négocie maintenant au-dessus de la moyenne nationale, c'est une première. Ce chiffre cache néanmoins de très grosses disparités intra-régionales. La hausse est très sensible en Indre-et-Loire, avec + 12 % par rapport à 2015. Le terrain y vaut désormais 4490 euros l'hectare. Ce bond s’explique par une envolée des prix localisée dans certaines petites régions telles que le plateau de Mettray. Dans l’Indre aussi, la progression est importante (+ 9 %), emmenée par la Champagne berrichonne, où le prix de l’hectare dépasse 7000 euros. Mais en Beauce, par exemple, les prix régressent de 5 %.

Des prix très variables d’un bout à l’autre de l’Europe

Pour acheter un hectare de terre agricole, il faut dépenser un peu plus de 6000 euros en moyenne en France… Mais 55 200 euros aux Pays-Bas ! Avec la Pologne, l’Hexagone fait figure d’eldorado européen des terres pas chères. D’autant plus qu’au fil des ans, les écarts se creusent entre les états de l’Union. Il y a vingt ans, l’hectare hollandais ne se négociait « que » 18 000 euros contre quelque 4 000 euros en France. De 1 à 4,5 à l’époque, le rapport est passé de 1 à 9. Plusieurs facteurs expliquent ces ratios : les différences de niveau de revenus entre agriculteurs, les taux d’intérêt qui font monter les prix lorsqu’ils sont faibles, or ils sont plutôt un peu plus élevés en France qu’aux Pays-Bas ou en Belgique par exemple, mais aussi les politiques nationales ou bien l’arrivée des investisseurs. Aux Pays-Bas, la fin des quotas laitiers a ainsi provoqué un boom du marché. Les prix ont grimpé de 6 % car les exploitations ont profité de l’occasion pour s’agrandir.

Un effet assez neutre du Brexit sur les prix britanniques

Dans les quatre pays qui constituent le groupe de tête en dehors des Pays-Bas — le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark et l’Italie —, la terre se négocie peu ou prou autour de 20 000 euros l’hectare en moyenne. Malgré les incertitudes politiques liés au Brexit, quelque 72 000 hectares se sont échangés en 2016, à peu près comme en 2015, selon le cabinet britannique Savills, expert en valeurs immobilières. Les prix ont toutefois baissé de 3 %. Pour Savills, le marché a peu bougé en 2016, hormis sur quelques points. Ainsi, la proportion d’acheteurs non agriculteurs a par exemple augmenté. En Allemagne, d’après des chiffres d’Euractiv qui s’appuie sur des sources officielles allemandes, l’hectare se serait négocié en hausse de 8 % en 2015. La politique de soutien aux cultures énergétiques engagée en 2004 continue d’alimenter une tendance haussière. Globalement, la tendance est à l’agrandissement des fermes et c’est à l’est du pays que les prix augmentent le plus.

Orientation plutôt baissière au Danemark et en Italie

Au Danemark et en Italie, qui complètent le peloton de tête, les prix sont plutôt tendanciellement orientés à la baisse. Au Danemark, où ils ont néanmoins légèrement grimpé en 2015, la forte baisse des revenus agricoles plombe le marché. Les envolées du marché des terres de la fin des années 2000 semblent bel et bien terminées. En Italie, la mauvaise conjoncture des exploitations se double d’un accès au crédit difficile. Tout n’est pas plus simple ailleurs.

Des écarts gommés en partie par la valeur ajoutée produite

Que signifient exactement ces écarts de prix ? Dans son rapport sur le prix de la terre, la FNSafer montre que si l’on rapporte le prix des terres à la valeur ajoutée corrigée produite à l’hectare, les différences se nivellent en partie. Il faut ainsi 6 à 7 ans de valeur ajoutée par hectare pour acheter un hectare en France et à peine 10 aux Pays-Bas. Toutefois, au Royaume-Uni et en Allemagne, les prix paraissent davantage déconnectés des réalités agricoles : il faut dans les deux cas plus de 20 ans de revenus pour acquérir un hectare.  

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