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En chiffres
Les fermes des zones intermédiaires accusent le coup

À la veille de la moisson, les exploitations de grandes cultures des zones intermédiaires continuent de digérer les mauvais résultats de 2016. Fragilisées, elles seront peut-être amenées à revisiter leurs systèmes de production pour sortir de la crise.  

Elles sont situées dans le Centre, en Bourgogne ou en Lorraine, dans des terres à potentiels moyens à faibles, qui présentent des risques de déficit hydrique. Ces fermes, dites en zones intermédiaires, ne sont pourtant pas celles qui ont subi les plus fortes pertes de rendement en 2016. Les mauvaises conditions climatiques ont nivelé les potentiels, tirant tout le monde vers le bas et pénalisant davantage les exploitations habituées aux belles performances. Mais ce sont les fermes dont on parle le plus, car ce sont les plus fragilisées. Conseiller chez Cerfrance Val de Loire, Fabien Balzeau a en main les premières analyses bâties à partir des comptes 2016, beaucoup de fermes de sa zone clôturant leur année comptable au 31 décembre.  « L’EBE (Excédent brut d’exploitation) à l’hectare, qui représente le produit moins les charges sans notion d’optimisation fiscale, est très proche de zéro», observe-t-il. Dans l’Yonne, la situation n’est pas meilleure. « Sur notre échantillon de 900 fermes, 30 % vont faire un résultat courant avant impôt négatif, de - 50 000 euros par unité de main-d’œuvre familiale », observe Pierre Perreau, conseiller Cerfrance Yonne. Seules 15 % des fermes enregistreraient un résultat positif, compris entre 10 000 et 20 000 euros par actif familial. Pour faciliter les comparaisons, le centre de gestion a établi un indicateur de bonne santé financière, fondé sur quatre critères, à savoir le service de la dette, le taux d’endettement, le ratio dettes à court terme sur actif circulant et l’EBE rapporté au produit brut. « Après la récolte 2015, nous avions 28 % de nos exploitations en risque nul, autant en risque faible, un quart en risque moyen et à peu près 20 % en risque élevé, détaille Pierre Perreau. Après la récolte 2016, 70 à 75 % se sont retrouvées en risque élevé. » La Lorraine se place dans la même configuration. « En moyenne en grandes cultures, le résultat économique par unité de travail familial est négatif de 12 000 euros pour la Meuse et la Meurthe-et-Moselle », retient Maxime Vernier, chez Adheo.

De grandes disparités sur la gestion des charges

Le tableau est sombre, mais l’arbre des moyennes cachent la forêt de disparités. « 50 % des exploitations se situant autour de la moyenne ont des résultats qui oscillent entre - 26 000 euros et + 7 000 euros, indique ainsi le conseiller d’Adhéo. Cette variation existait déjà en 2015. Les résultats étaient alors meilleurs, allant de 0 à 32 000 euros pour une moyenne à 16 000 euros. » Si en 2016, la chute des produits est à l’origine de l’effondrement des marges brutes, ce sont en réalité les charges qui au fil des ans font la différence. « Nous avons analysé sur trois ans les écarts entre les exploitations des quarts supérieur et inférieur, rapporte Maxime Vernier. Ce que nous observons, c’est que l’efficience d’un euro dépensé est meilleure dans le quart supérieur. Il rapporte davantage, et ce, quel que soit le niveau de charges. » Dans le Centre, les variations sont toutes aussi importantes. En moyenne sur quatre ans, le résultat brut ramené à l’hectare varie de 1 à 4 entre les meilleures exploitations et les moins bonnes : la moyenne est à 208 euros/ha, le quart inférieur descendant à - 52 euros/ha et le quart supérieur grimpant à 409 euros/ha. Y sont associés des écarts importants sur les charges opérationnelles. En protection des cultures, l’écart est de 21 % entre les deux groupes pour un budget moyen de 213 euros/ha, tandis qu’en semences, les fermes les plus mal placées dépensent 127 euros/ha, soit 30 % de plus que la moyenne. « En gros, c’est la capacité à valoriser les appros à rendement identique qui fait la différence, estime le conseiller. Les différences sur les charges fixes sont moindres et ne permettent pas de rattraper le retard pris sur les charges opérationnelles. » Une prime existerait donc à la technicité.

Des exploitations très endettées sur le court terme

Reste qu’au-delà des différences entre groupes, plutôt rassurantes puisqu’elles montrent qu’il y a des leviers de sortie de crise tels que la technicité, les charges prises au sens large ont fortement augmenté. Dans l’Yonne, « en huit ans, nous sommes passés en moyenne dans le département de 350 à 550 euros/ha de charges opérationnelles », indique Pierre Perreau. Relancées par la période faste des années 2007 à 2012, les charges de structure ont suivi. Résultat, l’endettement des exploitations a considérablement augmenté. « En 2005, nous étions à 1500 euros/ha de capital engagé et nous sommes aujourd’hui en moyenne à 2500 euros/ha », observe Pierre Perreau. Les exploitations s’en trouvent considérablement fragilisées. « L’endettement a pris 300 euros/ha de plus en sept ans pour atteindre une moyenne de 1500 euros/ha en 2016 », relate ainsi Maxime Vernier en Lorraine. Dans le Centre, le taux d’endettement a grimpé à plus de 60 % en 2016 dans les exploitations de la Gâtine et du Lochois, où il était déjà respectivement à 60 et 55 % en 2015. Maxime Vernier a analysé le détail de cet endettement pour sa zone. « Le gros poste, ce sont les dettes envers les fournisseurs, qui ont fait la banque », constate-t-il. Une situation qui s’expliquerait par la volonté des banques de contenir les crédits en temps de crise. « Il y a probablement eu beaucoup d’autofinancement avec les excédents de 2012 et 2013, estime le conseiller. Cette réserve de trésorerie n’est donc plus disponible pour le cycle de production. » Dans les fermes suivies par Adhéo, les dettes fournisseurs et les crédits court terme représentent aujourd’hui 800 euros/ha, soit quasiment l'équivalent de deux années d’appro.  « Cette dette est aujourd’hui plus risquée que les dettes long terme, ce que personne n’a vraiment vu venir », estime le professionnel.

Une décapitalisation sous-jacente dans un certain nombre de cas

Cette fragilité s’accompagne d’une tendance à la décapitalisation. « Sur nos 30 % de fermes à - 50 000 euros de résultats par actif familial, nous observons une décapitalisation rampante depuis 2013, plus nette depuis 2014, signale Pierre Perreau. Le niveau d’investissement est inférieur aux amortissements, on ne renouvelle pas le capital, qui ne se maintient pas. » Même constat dans le Centre : « Les capitaux propres descendent, note Fabien Balzeau. Les agriculteurs ont décapitalisé. » Ces mouvements ne se traduisent pas aujourd’hui par des cessions. Mais ils témoignent de la fragilité de ces exploitations qui, même si la récolte 2017 est bonne, auront besoin au moins d’une autre année pour retrouver de la sérénité.

Le gros poste d'endettement, ce sont les dettes accumulées envers les fournisseurs. Ces derniers ont joué le rôle de la banque 

Un classement précisé

66 q/ha de rendement moyen départemental sur les années 2007 à 2012 pour être classé en zones intermédiaires

17 départements allant de la Charente-Maritime à la Moselle classés zones intermédiaires

5 départements concernés partiellement (Allier, Jura, Loir-et-Cher, Maine-et-Loire, Vendée)

Source : Critères explicités dans la MAEC (Mesure agro-environnementale et climatique) grandes cultures adaptée aux zones intermédiaires.

Complexifier le système pour le rendre plus résilient

Diversifier ses productions en développant sur sa ferme un autre atelier, végétal mais aussi animal, aide à résister aux crises.

Quelles sont les caractéristiques des exploitations qui s’en sortent le mieux ? « En zones intermédiaires, nous ne pouvons pas donner de surfaces ou de production », indique Fabien Balzeau, conseiller Cerfrance Val-de-Loire. À la chambre d’agriculture du Cher, Jean-Dominique Gilet, sous-directeur, fait le même constat. Passé un seuil minimal qui serait de l’ordre de 120 à 130 hectares, « c’est l’homme qui fait la réussite de son exploitation, sa capacité à réagir, à s’entourer, à prendre les bonnes décisions », estime-t-il. Pour le conseiller, « le grand enseignement de 2016, c’est que dans ces zones où les potentiels sont de 60 à 65 q/ha en blé avec des rotations colza, blé et orge, ce sont en fait les systèmes les plus complexes qui résistent le mieux ». Cette complexité se traduit par la mise en place de multiples diversifications : semences, lentilles, luzerne, mais aussi réintroduction d'un atelier d'élevage ou commercialisation en groupe, par exemple. "Un agriculteur seul aura du mal à vendre sa dizaine d’hectares de pois chiche, mais si sept à huit exploitants s’y mettent, les acheteurs commenceront à être intéressés», observe Jean-Dominique Gilet. « C’est à notre sens une tendance très lourde : tous ceux qui nous disent 'c’est dur mais on va s’en sortir' ont complexifié leur système », ajoute-t-il.

L'appui des organismes techniques et des collecteurs nécessaire

Pas facile cependant. Dans l’Yonne, les céréales représentent encore 68 % de la sole dont 40 % pour le blé tendre. « Globalement, les surfaces ne bougent pratiquement pas en dehors du colza, qui a régressé de 4000 hectares entre 2011 et 2015", note Pierre Perreau, au Cerfrance Yonne. Pour le conseiller, trouver de nouvelles têtes d’assolement va être nécessaire et demander l'effort conjoint des organismes stockeurs et des organismes techniques. Pierre Perreau compte lui aussi sur le retour de l'élevage : « Je pense que les systèmes de polyculture élevage étaient résilients dans ces zones-là. Il va peut-être falloir y revenir… mais ça ne sera pas facile : l’élevage est beaucoup plus contraignant que les cultures.»

Beaucoup de pudeur

Beaucoup de régions ont mis en place des aides pour encourager les agriculteurs à faire des audits de leur exploitation. C’est le cas du Centre Val de Loire ou du Grand Est. « À mi-mai, nous avons eu moins de quinze demandes tous systèmes confondus, observe Christophe Marconnet, à la chambre d’agriculture de Moselle. Je pense que les exploitants ont une certaine pudeur à parler de leurs difficultés. » Un sentiment partagé par d’autres conseillers, qui laissent penser que tous les cas difficiles n’ont peut-être pas encore été identifiés.

L’assurance récolte en question

« Les fermes assurées multirisques climatiques sont les seules à avoir enregistré des résultats positifs en grandes cultures en 2016 », observe Pierre Perreau, conseiller  chez Cerfrance Yonne. Dans le département, vu les très fortes pertes de rendements, le dispositif s’est déclenché. Cela s'est avéré moins vrai dans le Centre, où l’assurance récolte a surtout servi en blé dur... ce qui fait naître pas mal d'interrogations sur le terrain. Pour Fabien Balzeau, du Cerfrance Val de Loire, le dispositif souffre d’être mal compris. « Les agriculteurs ont tendance à percevoir l'assurance récolte comme un outil de rentabilité, qui doit leur rapporter. Je leur dit souvent que je suis très content de ne pas avoir à être indemnisé par mon assurance auto ! Le but d’une assurance récolte n’est pas de la déclencher. Comme le drainage ou l'irrigation, c'est un outil de sécurisation.» Conseiller à la chambre d’agriculture de la Meuse, Thierry Juzac donne des exemples concrets : « Elle peut par exemple aider à allonger une rotation avec une nouvelle culture. La référence départementale faisant alors foi, l’indemnisation peut se déclencher plus facilement en cas de problème. L’assurance récolte peut également faciliter la relance de la production en cas de re-semis, une situation fréquente en colza cette année. »

AVEC CARTE DE FRANCE

Les défaillances restent rares

Le secteur agricole a du mal à sortir de la crise. Dans une étude publiée début mai, la société Altares, spécialiste de la donnée économique, montre que les défaillances d’entreprises agricoles ont augmenté de 20 % entre les premiers trimestres 2016 et 2017, alors que sur l’ensemble des PME, elles ont baissé de 17 %.

En valeur absolue, les chiffres restent toutefois faibles. En cultures, les défaillances ont concerné 517 entreprises agricoles en 2016 et 576 en 2015. « L'agriculture est un secteur atypique, analyseThierry Millon, directeur des études chez Altares. Les structures qui sont fragiles sont en capacité à présenter quelque chose de nature à rassurer le tribunal, à la différence d’un gérant de boutique textile, par exemple. Elles ont un patrimoine à faire valoir.»

Pour Thierry Millon, le passage devant les tribunaux ne doit pas faire peur. « En agriculture, les affaires sont jugées par des tribunaux d’instance ou de grande instance, pas par les tribunaux de commerce où les juges sont des bénévoles du secteur, précise le responsable. Cela fait souvent craindre une application plus ferme de la règle. En réalité, l’affect intervient davantage. » Des solutions alternatives peuvent être trouver.

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