Fertilisation
Les émissions d’ammoniac vont peser sur les engrais azotés minéraux
La mise en œuvre de la directive européenne sur la qualité de l’air avance lentement mais elle pourrait contraindre dès le printemps 2020 l’utilisation de l’urée et des solutions azotées : ces deux formes d’engrais sont de grosses émettrices d’ammoniac dans l’air.
La mise en œuvre de la directive européenne sur la qualité de l’air avance lentement mais elle pourrait contraindre dès le printemps 2020 l’utilisation de l’urée et des solutions azotées : ces deux formes d’engrais sont de grosses émettrices d’ammoniac dans l’air.
Presque chaque année, l’urée gagne du terrain. En 2016/2017, cette forme d’engrais azoté représentait pas loin de 25 % des livraisons d’engrais simples en France, selon les chiffres de l’Unifa (Union des industries de la fertilisation). Quant aux solutions azotées, elles représentent peu ou prou 32 à 33 % du marché (voir graphique ci-contre). Urée et solution séduisent parce qu’elles sont moins chères que l’ammonitrate. Mais elles sont plus sensibles aux risques de volatilisation et libèrent de l’ammoniac (NH3) dans l’air. Or en accord avec la directive européenne de 2016 sur la qualité de l’air, le gouvernement a fixé dans un décret du 10 mai 2017 les objectifs de réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques… dont l’ammoniac. Dès 2020, ces émissions sont prévues en baisse de 4 % par rapport à la référence, qui est 2005. Puis en 2030, la baisse devra atteindre 13 %. Mais d’après les dernières estimations du Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique), le total des émissions a grimpé de 1 % entre 2015 et 2017, sachant que l’agriculture en est responsable de presque 94 %. La pression sur le secteur est forte.
Les inhibiteurs d’uréase requestionnés
L’administration a pris du retard sur ce dossier, ce qui inquiète les professionnels. Tous gardent en tête l’épisode malheureux de la directive nitrates : les manquements de la France ont été sévèrement sanctionnés par Bruxelles, avec en plus de l’amende, une injonction à se mettre en règle qui a bousculé tout le secteur. « Nous avons intérêt à prendre en main ce dossier le plus tôt possible, estime Philippe Eveillard, à l’Unifa. Sinon, la pression européenne va monter et il faudra réagir. » En accompagnement du décret de mai 2017 sur les objectifs, le gouvernement a publié un arrêté établissant « le plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques », dit Prepa. « Mais ce n’est pas un texte autoportant », décrit Sophie Agasse, responsable des dossiers à impacts environnementaux à l’APCA (Assemblée permanente des chambres d’agriculture). Autrement dit, il manque beaucoup de précisions pour qu’il soit appliqué pleinement.
Ainsi, dès la campagne 2019-2020, le Prepa précise que l’utilisation de l’urée sera autorisée « sous certaines conditions, afin de limiter de février à avril, sa volatilisation ». Or les modalités doivent être définies dans un guide national de bonnes pratiques… pas encore terminé. « Les travaux ont commencé l’été dernier, il doit être fini pour la mi-2019 », indique Sophie Agasse. Sur ce sujet très documenté, la rédaction d’un guide pourrait sembler assez simple. Mais elle soulève en fait pas mal de questions. Parmi les sujets les plus sensibles : la remise en cause de l’innocuité des inhibiteurs d’uréase, l’une des solutions pour limiter la volatilisation de l’urée et de la solution azotée aux champs. Arrivés en France en 2012, ces produits sont utilisés depuis longtemps aux États-Unis et ils représentent aujourd’hui environ 17 % du marché de l’urée. Ils agissent en inhibant les enzymes responsables de l’hydrolyse de l’urée, ce qui ralentit sa transformation en ion ammonium et les pertes d’ammoniac par volatilisation. « Les ministères ont fait une saisine à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) pour avoir son avis sur les conséquences de l’emploi de ces produits sur l’environnement », souligne Sophie Agasse. "Ils considèrent qu’ils ne détiennent pas des résultats assez détaillés sur les effets sur les sols, les risques de transfert vers l’eau, la chaîne alimentaire, les utilisateurs…", complète Philippe Eveillard. Attendu en 2018, l’avis n’était toujours pas rendu mi-janvier.
Un avis de l’Anses en attente depuis plusieurs mois
Pour Arvalis, qui a conduit plusieurs années d’essais, ce sont pourtant des produits intéressants, qui « améliorent les performances de l’urée et de la solution azotée sur blés d’hiver », tels que Baptiste Soenen et Jean-Pierre Cohan, spécialistes de l’institut, l’expliquent dans un article publié en 2017 dans le journal Perspectives agricoles. Des produits comme Nexen, Utec 46 et urée + Limus fournissent des rendements en moyenne un peu meilleurs que de l’ammonitrate avec une teneur en protéines identique. Pour Baptise Soenen, l’investissement dans un produit avec inhibiteur est rentable : les performances sont aussi bonnes que celles d’un ammonitrate pour un coût final moindre. Dans les essais de l’institut, ces mêmes inhibiteurs d’uréase (NBPT et NPPT) additionnés à de la solution azotée relèvent l’efficacité de l’engrais, améliorant rendement et teneur en protéines sans toutefois atteindre les résultats de l’ammonitrate. Mais aucun de ces produits n’est pour l’instant homologué en France. Même s’ils ont un dossier Reach, ceux à base d’urée peuvent néanmoins être vendus en France car ils répondent aux normes UE. Mais ce n’est pas le cas des inhibiteurs seuls (Azokeep de Jouffray Drillaud, Agrotain de Koch Fertiliser et Limus de BASF), instables en solution, qui doivent obtenir une AMM (Autorisation de mise en marché) hexagonale. Elles n'ont pour l’instant pas été accordées. D’autres produits ne contenant pas d’inhibiteurs d’uréase pourraient prendre le relais, tel Nutrisphère N (1), homologué en août comme additif agronomique sur urée. Selon les fabricants, Verdesian et Fertiberia, les performances sont là. Arvalis doit tester l’additif dans ces essais sur la volatilisation ce printemps.
Un plan d’évolution du matériel en réflexion
Au-delà de la stricte question des inhibiteurs d’uréase, le guide de bonnes pratiques fait l’objet d’une grande attention des professionnels car, s’il n’est pas destiné à devenir d’application obligatoire, il servira, c’est certain, de référence aux administrations. C’est pourquoi « nous faisons des relectures, des propositions de reformulation », signale Sophie Agasse. Trois fiches sur quinze, plus particulièrement, devraient concerner la fertilisation azotée : l’une porterait sur les façons les plus efficaces d’apporter l’azote, une autre sur les pratiques d’enfouissement, et la troisième sur le choix des formes les moins émissives en fonction du mode d’application choisi. Le devenir des apports en céréales à paille et en oléagineux, où l’incorporation est difficile, est plus particulièrement à surveiller. Il faudra assurer la cohérence avec les réglementations existantes et notamment la directive nitrates.
Pour Sophie Agasse, atteindre les objectifs européens va demander de faire évoluer les pratiques. « Il y a notamment la question du plan d’évolution du matériel, qui va être discuté dans la lignée du guide de bonnes pratiques mais il faudra être plus précis, observe-t-elle. Cette question ne peut pas être abordée seulement du point de vue de la qualité de l’air, elle est bien plus globale ! » Pour le moment, le calendrier de travail n’a pas été fixé. Comme souvent, les dossiers relatifs à la qualité de l’air ont du mal à avancer.
(1) Voir notre numéro 330 de décembre 2018 p 42.Pas de taxation des engrais pour l’instant
Serpents de mer, la taxation des engrais azotés ou la modulation de la fiscalité sur ces produits sont évoquées dans le Prepa. Une étude sur le sujet y est demandée, comprenant une évaluation des dispositifs pratiqués chez nos voisins européens. Elle devrait être réalisée dans le cadre d’une mission confiée conjointement par les ministères de l’Agriculture, des Finances et de l’Environnement. Pour le moment, les organisations professionnelles ne voient rien venir…
Les émissions de NH3 en progression
+ 1 % d’émissions de NH3 entre 2016 et 2017
93,6 % des émissions de NH3 dues à l’agriculture, dont 34 % liées aux engrais minéraux et le reste aux engrais organiques
15 % de volatilisation de l’azote pour l’urée épandue en surface, 8 % pour la solution azotée, 2 % pour les ammonitrates
Source : Citepa, Unifa.