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L’agroforesterie est-elle rentable en grandes cultures ?

Autrefois, l’agroforesterie visait surtout la production de bois. Aujourd’hui, on plante des arbres dans les parcelles agricoles pour bénéficier d’effets agronomiques, et bientôt monnayer des services environnementaux.

L'agroforesterie vise deux objectifs, en plus de ses atouts pour la biodiversité : la production de bois et les services rendus à la culture.
L'agroforesterie vise deux objectifs, en plus de ses atouts pour la biodiversité : la production de bois et les services rendus à la culture.
© S. Marie

Non, l’agroforesterie ne vise pas seulement à se constituer un capital. « Il s’agit d’améliorer le fonctionnement de l’exploitation grâce aux arbres, nuance Fabien Liagre, fondateur du bureau d’étude spécialisé Agroof. Il y a deux volets : la production de bois et les services rendus à la culture. » Expert-conseil en agroforesterie, Christophe Sotteau est prudent sur les débouchés. « Produire du bois en parcelle agricole exige plus de travail qu’en forêt, pour une valorisation aléatoire. Quel sera l’accroissement de l’arbre sous un climat changeant ? Quelle part sera valorisable en bois d’œuvre ? Quel sera son cours dans 50 ans ? Il ne faut pas investir uniquement pour capitaliser : la valorisation du bois vient plutôt en bonus des effets agronomiques et environnementaux. »

Le spécialiste se montre également prudent sur la production de bois-énergie en intraparcellaire, jugeant les volumes souvent trop faibles pour être rémunérateurs. « Un agriculteur équipé peut broyer ses branches pour faire des plaquettes ou du BRF, concède-t-il. Sinon, la valorisation économique peut passer par une diversification : des plantes aromatiques ou petits fruits peuvent être intercalés entre les arbres pour offrir un produit supplémentaire. On peut tout imaginer ! »

Effet brise-vent, abri pour la faune, barrière anti-dérive, apport de matière organique… « Les motivations pour planter des arbres sont variées », abonde Étienne Bourgy, conseiller à la chambre d’agriculture de la Nièvre. L’envie de se constituer un capital y figure rarement, car c’est beaucoup de travail pour un résultat hypothétique. « Même pour du bois-énergie, il faut attendre 15 à 20 ans, explique-t-il. Planter des fruitiers permet de tirer plus rapidement un revenu, mais les plants coûtent plus cher et cela demande du travail : la production fruitière peut devenir la production principale et la culture intercalaire apporter un revenu secondaire. »

Impacts agronomiques favorables en sols profonds

L’emprise des arbres au sol (4 à 5 % de la surface) ainsi que la compétition pour la lumière et l’alimentation sont potentiellement néfastes pour le résultat des cultures. « Sur le dernier tiers de la vie de l’arbre, cela peut pénaliser le rendement jusqu’à 20 %, admet Fabien Liagre. Mais des tailles régulières sur cette période peuvent limiter la concurrence tout en valorisant le bois. Et l’ombrage, pénalisant sous un ciel gris, est bénéfique les années caniculaires. »

Pour Christophe Sotteau, « l’impact des arbres dépend des essences, de l’écartement des lignes, de l’orientation vis-à-vis du soleil, du sol… Sur un sol superficiel, le système racinaire d’un arbre engendrera une concurrence racinaire plus forte avec la culture. Sur un sol profond il descend bien plus bas. » Loin de concurrencer la culture, il joue alors un rôle bénéfique.« La moitié des racines des arbres meurent chaque année en laissant des microgaleries qui retiennent l’eau », pointe Étienne Bourgy.

Dans les Hauts de France, le projet AFRame étudie un système agroforestier mis en place en 2018 dans une parcelle de grandes cultures de la SCEA Dequidt. Les arbres pourront à terme concurrencer la culture, mais la doctorante Claire O’Connor est confiante : « Leurs racines descendent en profondeur, surtout avec le labour qui les détruit en surface. Ainsi, ils optimisent l’utilisation de l’eau et des nutriments, évitent la lixiviation de l’azote et le recyclent. » En attendant de confirmer ces hypothèses, Caroline Choma, enseignante-chercheuse en microbiologie, voit déjà « le retour de la macrofaune et microfaune sur la parcelle ». L’effet est aussi net sur l’érosion : « Les lignes d’arbres freinent les écoulements, constate François Delbende, chargé de mission. Des zones auparavant inexploitables ont pu être récoltées. »

Dans les plaines nues, « l’effet brise-vent des arbres joue jusqu’à 20 fois leur hauteur, permettant de meilleurs rendements qu’en zone non protégée », note Fabien Liagre. Sur des parcelles plantées il y a plus de 15 ans, il constate aussi un effet sur la fertilité. « Des essences comme les aulnes et robiniers, à une densité de 50 à 100 arbres par hectare, peuvent apporter 100 à 300 unités d’azote par hectare et par an sous forme organique. Cet effet, sensible au bout d’une dizaine d’années, permet des économies de charges. »

De nombreux dispositifs de subvention pour l’agroforesterie

D’autres services rendus par l’arbre pourraient être monnayés, à condition de les quantifier. C’est en voie de développement avec le marché du carbone. « La méthodologie de calcul, déjà actée pour les haies, est en cours de validation pour l’arbre intraparcellaire, indique Baptiste Vendel, conseiller au CerFrance Bourgogne Franche Comté. Cependant, sur ce marché volontaire, le prix de la tonne de carbone fluctue. » Avec ces inconnues, difficile de calculer un retour sur investissement.

Pour sécuriser son opération, on peut faire appel aux nombreux financeurs privés et publics, dont les collectivités territoriales, qui subventionnent entre 50 et 80 % du coût de plantation, de l’étude préalable, de l’accompagnement technique… Des mécènes privés soutiennent aussi les plantations : soit directement, soit en abondant un fonds comme le Fonds pour l’arbre créé par le réseau AFAC-agroforesterie avec la fondation Yves Rocher. Ce fonds est d’ailleurs cumulable avec des aides publiques.

« Le risque économique est limité, estime Christophe Sotteau. L’investissement total tourne autour de 1 500 € à 2 000 € HT/ha, mais avec les nombreux dispositifs de subvention, cela revient à investir quelques centaines d’euros pour résoudre des problèmes à long terme. » Baptiste Vendel acquiesce : « L’agroforesterie vise moins la performance économique que l’amélioration des performances agronomiques et environnementales de l’exploitation. » L’objectif étant que les trois se rejoignent.

Des débouchés possibles pour le bois

Au cours de sa vie, un arbre peut produire 1 m3 de bois d’œuvre et le double en bois déchiqueté, estime Fabien Liagre, chez Agroof. « Avec une densité initiale de 50 arbres par hectare et 20 % de perte, on aura 40 m3 de bois d’œuvre et 80 m3 de plaquettes à l’hectare. Des plantations plus denses avec des interventions fréquentes sur les houppiers permettent même d’intensifier la production de bois-énergie. En intervenant tous les trois ans dès la vingtième année, on peut viser 20 à 25 m3 de plaquettes/ha/an, vendues aujourd’hui 25 à 30 €/m3. Et il y a de la demande pour le chauffage et la chimie verte. » Si l’exploitation ne dispose pas de main-d’œuvre ni de matériel, la prestation de service coûte autour de 20 €/m3.

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