La mutagénèse facteur de progrès et de questions
La mutagénèse induite a permis la création de nombreuses variétés mais leur proportion varie fortement selon les espèces cultivées. Explication d’une technique d’amélioration variétale qui fait polémique chez les anti-OGM.
Des variétés issues d’une mutagénèse induite sont-elles des OGM cachés ? La question était posée et même brandie par les faucheurs volontaires contre la culture de variétés de tournesols et de colzas résistants à des herbicides… obtenues par mutagénèse.
Qu’est-ce que la mutagénèse ? C’est la création de caractères nouveaux en induisant une modification du génome. Ces modifications peuvent porter sur les chromosomes et leur morphologie et de façon plus fine sur des séquences de bases constitutives de l’ADN : délétion de morceaux d’ADN, translocation, inversion de séquences.
Ces modifications sont un processus qui existe déjà dans la nature. « Les variations naturelles sont induites par les rayons cosmiques et les UV entre autres. Ces actions sur les séquences de base d’un gène conduisent à la création des différents allèles, sources de la diversité d’expression de caractères pour un même gène", explique André Gallais, professeur honoraire de génétique et d’amélioration des plantes à AgroParisTech. Le taux de mutation spontanée est faible dans la nature, de l’ordre d’1 sur 1 million au niveau d’un gène. Malgré tout, ce sont les mutations qui sont à l’origine de la variabilité génétique des individus chez une même espèce. Les obtenteurs tirent parti de ces mutations spontanées pour la sélection de variétés comportant des caractères d’intérêt agronomique.
Des agents mutagènes d’origine physique ou chimique
Les mutations peuvent être forcées avec l’aide de différentes techniques. Les modifications restent les mêmes que celles rencontrées dans la nature mais selon une fréquence 500 fois plus élevée environ. En d’autres mots, la mutagénèse induite accélère le processus de mutation. Dès les années 80, deux modes de mutation artificielle ont été utilisés : physique avec le rayonnement ionisant (X, gamma) et chimique avec diverses molécules dont le MSE (méthyle sulfonate d’éthyle). « Cette mutagénèse est aveugle - on ne sait pas quels gènes vont être touchés - et elle implique donc un important travail de tri dans les plantes obtenues car il y a beaucoup de déchets », précise Yvette Dattée, directeur de recherches honoraire de l’Inra. Mais elle a été couronnée de succès pour certaines cultures. Ainsi, la majeure partie des riz cultivés en Camargue sont issus de variétés obtenues par mutagénèse au rayonnement gamma sur des formes et des qualités de grains recherchées tandis que la technique au MSE a permis de créer des gènes de nanisme chez les orges, caractère repris par la suite pour la sélection de la plupart des variétés d’orges cultivées actuellement.
Malgré tout, la mutagénèse induite ne concerne pas la majorité des variétés cultivées en grandes cultures. Le nombre total de variétés commercialisées obtenues par mutagénèse artificielle se chiffre à plus de 3000 selon l’AIEA (1), ce qui reste un petit volume au regard de toutes les variétés inscrites. « Il y en a plus en proportion dans les cultures fruitières, légumières et ornementales que chez les grandes cultures », souligne Yvette Dattée.
Des cultures plus « réfractaires » que d’autres aux mutations
En dehors des grands groupes semenciers, tous les sélectionneurs n’ont pas la capacité à utiliser les techniques artificielles de mutation. « C’est même plutôt la recherche publique qui a eu recours à ces techniques pour créer du matériel génétique mis ensuite à disposition des semenciers", observe André Gallais. D’autre part, certaines espèces végétales se prêtent moins facilement que d’autres aux mutations induites. C’est le cas notamment des espèces polyploïdes au génome très complexe. « Le blé n’est pas un très bon candidat avec ses trois génomes juxtaposés ni la luzerne, tétraploïde. Dans ces génomes, il est très compliqué de détecter les mutations. L’orge et le riz sont des espèces diploïdes. Les techniques de mutation induites y ont eu plus de succès », explique André Gallais.
Autre facteur jouant sur l’efficacité de la mutagénèse, la proportion d’ADN non codant chez les espèces. Cette particularité génétique se retrouve notamment chez le blé (90 % de séquences non codantes) et le maïs. Les mutations induites se « perdent » dans cette marée d’ADN qui ne gouverne l’expression d’aucun caractère.
Place à la mutagénèse avec les « new breeding techniques » (NBT)
Avec les progrès de la biologie moléculaire, la recherche entre dans une nouvelle ère, celle de la mutagénèse dirigée. De nouvelles techniques de génie génétique sont expérimentées par les sélectionneurs pour modifier l’ADN de manière ciblée. On utilise des enzymes découpeuses d’ADN : nucléases « à doigt de zinc », nucléases Talen’s, technologie Crispr-Cas9 ou d’autres techniques telles que celle du tilling utilisant encore un agent chimique de mutation. Empruntées souvent à la médecine, ces biotechnologies reconnaissent des séquences d’ADN pour les découper ou les modifier. On pourrait ainsi éliminer l’expression d’un gène ou la modifier. « On arrive à mettre au point des outils puissants qui vont faire gagner du temps et de la précision dans la sélection variétale. On pourra plus facilement cibler la mutation d’un gène sans toucher au reste du génome et transmettre cette modification plus rapidement à la descendance pour l’obtention de variétés, explique André Gallais. Il n’y a pas d’introduction de nouveaux gènes dans le génome mais on induit une mutation qui aurait pu se produire dans la nature. » Même si en Chine, une variété de blé avec la résistance à l’oïdium aurait été obtenue grâce à l’un de ces outils, les techniques sont prometteuses mais pas encore complètement opérationnelles.
Le cas d’école des tournesols
Chez les espèces cultivées, le sélectionneur peut trouver des mutants dans la nature ou induire des mutations en vue de créer des variétés aux caractères désirés. Parfois cela aboutit au même résultat.
Deux types de variétés de tournesol résistants à des herbicides sont cultivés en France depuis quelques années, sur plus de 100 000 hectares.
• Les variétés Clearfield sont résistantes à des herbicides de la famille des imidazolinones. Elles ont pour origine des plants de tournesol sauvage trouvés aux États-Unis dans une culture de soja.
• Les variétés Express Sun sont d’autres tournesols résistants à des herbicides, au tribénuron méthyle (sulfonylurée) précisément. Ce caractère a été obtenu par mutation induite avec l’agent chimique MSE. Cet agent a permis d’obtenir des mutations également pour la résistance aux herbicides imidazolinones.
Les variétés mutagènes ne sont pas des OGM… pour l’instant
La directive européenne 2001/18 donne la définition suivante de l’OGM, organisme génétiquement modifié : « un organisme dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. » Avec cette définition prise au pied de la lettre, on peut considérer qu’une variété issue de mutagénèse induite est un OGM. Sauf que la directive exclut plusieurs techniques de modification génétique de son champ d’application (décrites en annexes IA et IB) dont la mutagénèse. Pour les professionnels des semences, c’est clair : les variétés issues de mutagénèse induite ne sont pas des OGM, d’autant plus que les mutations qui sont dans ces variétés peuvent se retrouver de façon spontanée dans la nature.
Les NBT relancent les débats
Quant aux organisations anti-OGM, elles argumentent leur lutte contre la culture des variétés de colza et de tournesol résistantes à des herbicides en les définissant comme des OGM « cachés ». Les nouvelles techniques de mutagénèse induite (NBT) risquent de relancer les débats. En l’absence de définition réglementaire claire, elles n’entrent dans le champ d’application d’aucune directive. Vont-elles finir par être soumises à la réglementation sur les OGM ? La question est cruciale pour les sélectionneurs et l’avenir de l’amélioration variétale en Europe.