FILIÈRE BRASSICOLE
Grosse dépression pour l’orge de brasserie
La situation de surproduction mondiale d’orge
de brasserie fait craindre le pire pour les prix au moins jusqu’à la fin
de l’année, alors que les surfaces françaises s’annoncent en net recul.
Les nuages noirs qui se sont amoncelés au-dessus des parcelles d’orge tout au long des derniers mois ne semblent pas pressés de lever le camp. Les variétés brassicoles ne sont pas épargnées, avec des prix désormais bien installés sous la barre des 100 euros par tonne. C’est dans ce contexte peu propice aux producteurs que s’est tenu le colloque Arvalis consacré à la filière orge de brasserie, début février. « Nous assistons à une baisse de plus de 20 % des surfaces d’orge sur notre secteur au profit d’autres céréales, jamais nous n’avions connu de changement d’assolement aussi brutal », témoignait à la tribune Michel Bartolo, directeur général de la coopérative AgroPithiviers, dans le Loiret.
MARGE NÉGATIVE
Même constat, dans une moindre mesure, à la coopérative Nouricia dans l’Aube. « Nous avons besoin de valoriser l’orge d’hiver 5 euros au-dessus du blé, alors qu’elle vaut actuellement 7 euros de moins, s’émouvait Serge Inbona, le responsable des ventes. Il faudrait que l’orge de printemps se vende 15 euros de plus que le blé, et la différence n’est que de 7 euros. » Michel Bartolo enfonçait le clou: « l’orge brassicole est pour nous une culture stratégique, mais comment inciter les producteurs à s’engager dans une filière où l’on gèle dès le départ une marge négative? En septembre dernier, quand se décidaient les assolements de printemps, le prix de vente de l’orge de brasserie ne couvrait que 90 % du prix de revient. » Claude Fouassier, agriculteur et représentant de l’AGPB, se désolait ainsi d’un contrat nouvelle récolte « proposé à 110- 115 euros la tonne, alors que le seuil de rentabilité s’établit à 135-150 euros la tonne selon les exploitations. Si l’on s’engage à faire de l’orge de printemps, c’est pour un résultat déficitaire. » Secobra.
La sanction serait encore plus lourde pour la semence certifiée: les ventes sont attendues en retrait de moitié pour cause de montée en puissance du triage à façon. L’érosion des surfaces d’orge devrait concerner l’ensemble des principaux producteurs de la planète, mais il n’est pas sûr que cela assainira une situation plombée par des surplus historiques.
DEMANDE EN BERNE
« Il y a eu deux récoltes consécutives abondantes en Europe, et particulièrement celle de 2009, explique Jean-Claude Girard, directeur d’Interbrau. Nous sommes confrontés à un surplus d’orge de brasserie de quatre millions de tonnes dans l’Union européenne. C’est exceptionnel ! » Aux récoltes pléthoriques s’ajoute une demande en berne de la part de l’aval de la filière. La crise économique a interrompu la croissance folle de la consommation mondiale de bière, qui caracolait à + 7 % en 2007. Avec la baisse de pouvoir d’achat, les consommateurs ont levé le pied dans les pays où la progression était la plus importante, qui sont aussi les pays où la bière est considérée comme un produit de luxe. Depuis deux ans, la hausse de la consommation mondiale stagne sous les 2 %. Or 1 % de cette dernière correspond à 170 000 tonnes de malt. « Il y a de plus un énorme impact de la crise financière sur la gestion des brasseurs, qui sont pour la moitié d’entre eux des sociétés cotées en bourse, souligne Philippe Lehrmann, directeur commercial de Boormalt. Toute la chaîne a réduit ses stocks et la baisse de la demande en malt est deux fois plus forte que celle de la consommation de bière. »
Autre effet démultiplicateur : l’envolée des prix de l’orge en 2007-2008 a poussé les brasseurs à changer de recette, en augmentant la part de grains crus (des grains de céréales non germés, comme le maïs ou le riz) au détriment du malt. Une tendance qui ne s’est pas retournée depuis, et s’est même renforcée avec la part de marché croissante des ventes de bières en supermarché, moins gourmandes en malt que les bières servies dans les cafés. Selon Jean-Claude Girard, « la diminution de versement de malt de la brasserie mondiale a conduit à une réduction de la demande d’orge de brasserie de plus d’un million de tonnes ».
« 2010 EST DÉJÀ PLOMBÉE »
En Europe, les stocks d’orge de brasserie devraient ainsi s’alourdir de 1,5 million de tonnes, malgré les ventes à destination de l’alimentation animale, et même la mise à l’intervention. Sans attendre la récolte 2010, les utilisateurs sont couverts au moins jusqu’à la fin novembre, voire décembre. Beaucoup d’industriels avaient anticipé des besoins basés sur les tendances des années précédentes, et ont ainsi largement surdimensionné leurs achats. À la tribune du colloque Arvalis, les voeux pieux ont refait surface: contractualisation pluriannuelle, systèmes de stabilisation de la filière, voire indexation d’un prix plancher non seulement en fonction des prix des autres céréales, mais aussi du coût des intrants !
Autant de demandes qui ressurgissent au gré des cycles haussiers et baissiers, portés alternativement par l’un ou l’autre bout de la filière, mais restés jusqu’ici lettres mortes. En attendant, « l’année 2010 est déjà plombée », a soutenu Jean- Claude Girard.Vivement 2011. Au niveau national, la perte de compétitivité de l’orge de printemps pourrait lui coûter 30 % de ses surfaces (15 à 50 % en fonction des régions), selon Gilles Fouquin, spécialiste de la sélection variétale en orge chez
Débouchés à l'export
Le marché chinois est en pleine mutation
Devenu le premier producteur mondial de bière en 2006, la Chine a brassé 410 millions d’hectolitres en 2008-2009, et pourrait passer à 500millions d’hectolitres en 2014.Certes, la progression de la consommation intérieure a ralenti, et les brasseurs chinois utilisent une tonne de malt pour produire 14 tonnes de bière, contre un rapport de 1 à 8 en France.
Ce gigantesque marché demeure toutefois un débouché très convoité par les grands producteurs d’orge de la planète. À commencer par l’Australie, premier fournisseur étranger avec 1 million de tonnes d’orge livrées par an en moyenne sur dix ans, devant le Canada (400000 tonnes). La France reste reléguée au rang de challenger, avec des exportations qui s’élèvent en moyenne à 260 000 tonnes. Les mutations à l’oeuvre au sein de l’industrie chinoise ne fragilisent pas le recours à l’importation. Les brasseurs internationaux, de plus en plus nombreux en Chine, veulent que leurs grandes marques conservent un goût identique d’une année sur l’autre. Une exigence difficile à satisfaire en utilisant uniquement l’orge locale, d’une qualité irrégulière.
Les volumes importés restent cependant très liés au prix mondial. « En 2006, nous avons importé 80 % des besoins nationaux car les prix étaient bas, rapporte Joe Fung, responsable matières premières de Supertime Development Limited, premier malteur chinois. Mais avec la flambée des prix en 2007, nous n’avons importé que 30 % de nos besoins. » L’orge française est pénalisée face à ses concurrentes par des caractéristiques variétales moins adaptées aux process de brasserie chinois, et par un taux de protéines… trop faible.