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Développement agricole
« Fonctionner collectivement pour capturer l’innovation »

Ajouter la performance environnementale à l’objectif de production bouleverse les équilibres. Pour Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint Agriculture à l’Inra, la résolution de cette équation passera par l’innovation. Et les agriculteurs ont un rôle central à jouer.

Les mutations actuelles — préoccupations environnementales, changement climatique, raréfaction des ressources… — se traduirontelles par un bouleversement des pratiques agricoles ?
On s’oriente vraisemblablement vers des modes d’agriculture que l’on n’a jamais connus et que l’on doit inventer. On sort d’une longue période de développement monodirectionnel avec pour seul objectif l’intensification, en prenant peu en compte les ressources. Mais l’impact sur l’environnement est devenu assez important pour que la société et le monde agricole considèrent qu’il faille inventer une agriculture qui concilie performance économique et performance environnementale. Les pratiques d’hier ne seront donc plus les pratiques de demain.

Y a-t-il des freins à ces changements, voire un verrouillage ?
Il existe toujours des freins au changement, cela fait partie de la nature humaine et de la nature des organisations. On parle de verrouillage lorsque les différents acteurs du système se sont mis à l’équilibre tous ensemble par rapport à un cadre de contraintes, et qu’aucun acteur ne peut quitter ce point d’équilibre sans se mettre en difficulté par rapport aux autres. Ceci suppose aussi qu’il existe un autre équilibre plus performant. On peut effectivement considérer que de tels phénomènes existent en agriculture. Agriculteurs, coopératives, organismes de développement se sont mis à l’équilibre autour de l’objectif de maximiser la production et la performance économique. Si l’on doit désormais concilier production et performance environnementale, il faut donc trouver un autre point d’équilibre. Pour cela, il faut identifier l’optimum vers lequel aller et lever les freins au changement. Quand on déplace un équilibre, on est dans un processus d’innovation. Une innovation, c’est une invention, technique ou organisationnelle, qui rencontre un marché.

Quel est le rôle de l’agriculteur dans la création d’innovation ?
Je crois que l’on est sur le point de redonner une place beaucoup plus importante aux groupes de développement, au fonctionnement collectif en agriculture. Ce qui se passe aujourd’hui avec les groupes de fermes Écophyto est un excellent exemple de cette nouvelle dynamique. Cette démarche fait prendre conscience que, pour une même région, pour un même type de production, il existe des pratiques différentes qui procurent un revenu identique au producteur. Et aucun agriculteur ne nie le fait que les pesticides posent question, ne serait-ce que pour leur santé. Les groupes de fermes mis en place ont notamment pour but de capturer l’innovation. Fonctionner collectivement vous permet de confronter ce que vous avez envie d’essayer à ce que les autres ont déjà fait, ce que l’on appelle la réassurance entre pairs. Cela fonctionne encore mieux s’il y a un animateur apportant les informations et la connaissance pour discuter l’innovation proposée. On met alors en place des boucles de progrès : les agriculteurs testent des choses, dont certaines marchent et d’autres non. En réalisant ces essais sur de nombreuses exploitations et sur plusieurs années, vous écrémez ce qui tient de l’effet année ou du hasard. Pour qu’une pratique se développe sur le terrain, il faut que le constat soit validé en expliquant pourquoi cela a marché, ou pourquoi cela a marché chez untel et pas chez un autre. Ceci facilite l’appropriation.

Les groupes d’agriculteurs sont donc des laboratoires à innovation ?
Oui, s’il y a un objectif commun. Ils ont beaucoup fonctionné des années 1950 aux années 1980, période d’énorme intensification.Tout le monde partageait alors le même objectif, à savoir produire plus. Aujourd’hui, si produire reste un objectif important, tout le monde sait que préserver l’environnement est une obligation. Les agriculteurs peuvent donc à nouveau partager un objectif commun, discuter et échanger leurs pratiques, comme dans les groupes Écophyto. Si vous regardez par-dessus la haie uniquement pour copier votre voisin, ce n’est pas forcément utile. En revanche, si c’est pour discuter avec lui, vous retrouvez ce fonctionnement de travail de groupe. Ce qui est important, c’est de lancer le débat.

La diffusion de l’information n’a-t-elle pas changé elle aussi ?
Bien sûr. Jusqu’à récemment, l’accès à l’information se faisait à travers une relation de proximité, via son conseiller agricole, au sein d’un groupe ou par la presse spécialisée. Aujourd’hui, 80 % des agriculteurs utilisent quotidiennement Internet dans leur pratique professionnelle. Cela leur donne accès à des informations totalement différentes. Tous les acteurs du développement doivent en tenir compte dans leur façon d’apporter l’information. Les agriculteurs ont besoin d’informations du type « recette », mais aussi de celles qui leur permettent de comprendre les processus. La formation des techniciens comme des agriculteurs doit d’ailleurs leur enseigner la capacité d’intégrer la connaissance mise à leur disposition.

Le rapport entre la recherche et les agriculteurs doit-il évoluer ?
L’élévation du niveau de formation des agriculteurs et l’accès à de nouvelles informations modifient complètement la position que peut avoir l’Inra. L’Inra, organisme de recherche, ne se transformera pas en organisme de développement, car notre métier est de produire de la connaissance sur des objets d’intérêt agronomique. Mais nous devons aujourd’hui rendre accessible aux agriculteurs, sous une forme pédagogique, une connaissance plus exhaustive des résultats de la recherche. C’est ce que l’on fait à travers les Carrefours de l’innovation agronomique. Les documents présentés lors de ces colloques sont téléchargeables librement. Ils synthétisent les connaissances sur la thématique abordée et présentent l’ensemble des éléments factuels. Nous devons nourrir l’innovation agricole par les connaissances issues de la recherche, et proposer de tels lieux d’échanges où les acteurs de la recherche reçoivent les questions nouvelles à traiter.

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