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Des couverts végétaux d'interculture contre le risque d’érosion

Dans les zones à risque, l’érosion grignote peu à peu le potentiel des sols. Dans le Sud-Ouest, des agriculteurs ont remisé la charrue et apprivoisé les couverts végétaux avec des résultats concluants.

François Lacome, agriculteur dans le Gers, ici dans une parcelle de sorgho fourrager. "Malgré les épisodes pluvieux très violents du printemps 2018, je n’ai eu aucune perte de terre sur mes pentes à 30 %."
© G. Omnès

De l’érosion, on retient surtout les spectaculaires coulées de boue si coûteuses pour les collectivités. Pour l’agriculture, le mal est bien plus insidieux, sapant année après année le capital sol des parcelles exposées. Sur l’exploitation de François Lacome, lovée à Pessoulens, dans les coteaux argilo-calcaires au nord-est d’Auch dans le Gers, la lutte contre cette hémorragie s’est vite imposée, et avec succès. « Aujourd’hui, on a les moyens d’éviter l’érosion, assure François Lacome. Malgré les épisodes pluvieux très violents du printemps 2018, je n’ai eu aucune perte de terre sur mes pentes à 30 %. »

C’est en 1989 qu’il a pris le taureau par les cornes, en arrêtant le labour. « J’étais confronté à l’érosion et à la prise en masse des sols, j’avais besoin de toujours plus de puissance pour labourer car l’argile devenait de plus en plus compacte », explique l’exploitant. Ici, les systèmes les plus fragiles sont ceux combinant labour d’automne puis une reprise au printemps — surtout avant le tournesol, qui exige un lit de semences fin.

Des couverts végétaux pour accroître la matière organique

« Remplacer le labour par un passage en travers de chisel ou de décompacteur réduit l’érosion d’environ 70 %, du fait de ne plus travailler dans le sens de la pente et de laisser la matière organique en surface, estime François Lacome. Les couverts végétaux renforcent la lutte contre l’érosion, mais pour moi leur rôle principal est d’accroître la matière organique dans les sols. » Sur ses 80 hectares de grandes cultures, le sol n’est jamais totalement nu. Le moment le plus vulnérable se situe entre la préparation du lit de semences et le semis. « Mais il y a toujours des résidus mélangés avec la terre », souligne-t-il.

François Lacome n’a pas franchi le pas du semis direct sous couvert intégral, comme préconisé par certains. Pour Christian Abadie, agriculteur installé à Estampes et riche de longues années d’expérience dans le semis direct, « il faut associer couverts végétaux et semis direct pour que le système soit pleinement efficace et durable, et éviter que les couverts soient une source de complication et de surcoût du fait des passages supplémentaires. La couverture du sol associée au non travail du sol : c’est cela qui permet de stopper l’érosion, ainsi que la fuite de nitrates et des pesticides. »

Pour implanter ses couverts, François Lacome s'est fabriqué un semoir composé d'un cultivateur de 3 mètres associé à un rouleau packer et à un distributeur de petites graines.

 

Chez François Lacome, la question du coût et du temps de travail a été réglée à coups d’huile de coude et de matière grise. Pour implanter les couverts, il s’est fabriqué un semoir composé d’un cultivateur de 3 mètres auquel il a gardé huit dents équipées d’un soc de 12 millimètres de large fabrication maison, associé à un rouleau packer. L’outil est complété par un distributeur de petites graines fixé sur un châssis élaboré par ses soins.

Le distributeur s'adapte également sur un châssis Nodet de 3 mètres pour un semis du blé à la volée, avec le rototiller placé à l’arrière pour recouvrir les semences. « J’ai remplacé la distribution électrique initiale, trop imprécise, par un entraînement mécanique construit avec des pignons de vélo, qui me permet de doser avec une très grande précision, sourit le bricoleur. Les couverts végétaux doivent en effet être implantés avec autant de soin que les cultures de vente. Avec ce matériel, je consomme 3 litres/hectare de carburant, et tous les travaux sont accomplis avec un tracteur 100 chevaux. »

Pour François Lacome, « l’installation des couverts complique un peu l’itinéraire, mais il faut mesurer ce que l’on en retire ». Au-delà de la préservation des sols, l’exploitant économise de l’eau d’irrigation et bénéficie de l’azote relargué par la minéralisation des couverts végétaux.

D’autres effets secondaires sont plus inattendus, comme chez Yann Bacou, agriculteur à Fourquevaux, au sud-est de Toulouse. « Avec les couverts, j’ai retrouvé un entrain que j’avais perdu car c’est un apprentissage permanent, se réjouit l’exploitant. Il faut être à l’écoute de ses parcelles, prendre le temps d’aller faire des trous, voir comment se comporte le sol. Cela impose de ne pas être borné et d’être capable de changer ses plans si les conditions l’exigent. Et ce qui est vrai une année peut être faux l’année suivante. »

Yann Bacou, agriculteur

Sur ses 180 hectares de terres limono-argileuses affichant jusqu’à 35 % de pente, Yann Bacou a d’abord réduit puis supprimé le labour, avant de se convertir aux couverts végétaux en 2011. Les ravinements dans les traces et les interrangs de tournesol appartiennent désormais au passé. L’expérimentation permanente qu’implique la démarche des couverts végétaux peut donner le vertige. Choix des espèces, dates d’implantation, de destruction… « On se sent parfois un peu seul, on manque d’accompagnement sur ces pratiques, reconnaît l’agriculteur. Facebook permet de partager des expériences, mais ça reste du virtuel. »

Des solutions à adapter à chaque système

Laetitia Laffont, Gersycoop

Dans les structures de conseil traditionnelles, les connaissances sont bien souvent moins étoffées que chez les agriculteurs pionniers, mais les choses avancent. La coopérative Gersycoop, rayonnant dans le centre Gers, a entrepris des essais voilà dix ans, avec une intensification de la recherche ces dernières années et la mise en place de deux GIEE(1). « Notre but est d’apporter un panel de solutions aux agriculteurs, sachant que l’enjeu face à l’érosion est de supprimer le labour d’hiver, précisent Serge Letellier et Laetitia Laffont, du service agronomie. C’est un gros changement dans les coteaux argilo-alcaires, car les agriculteurs craignent de ne pas pouvoir reprendre correctement les terres au printemps. »

La préconisation est compliquée par la nécessité de prendre en compte chaque situation individuelle. « L’agriculteur doit s’approprier sa propre solution, souligne Serge Letellier. Il faut adapter les couverts à son système, à son assolement, à son calendrier de travail, à son matériel. Les parcelles elles-mêmes réagissent différemment. L’objectif, c’est d’avoir un sol couvert à l’interculture, le plus longtemps possible. »

Reste à redorer l’image des couverts chez nombre d’agriculteurs pour qui ils sont associés aux Cipan. « Le côté réglementaire des Cipan, pour lesquelles il y avait eu beaucoup d’échecs, de problèmes à la levée ou des disparitions pendant l’été, a desservi les couverts végétaux, regrette Laetitia Laffont. C’est en train d’évoluer, les agriculteurs réalisent que les couverts végétaux apportent de vraies solutions agronomiques. »

Des collectivités locales de plus en plus impliquées

Pour les collectivités locales, la question de l’érosion devient brûlante, surtout depuis le transfert à leur niveau en 2015 de la compétence Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). « Les collectivités ont plus que jamais l’obligation de s’intéresser à ces questions d’eau, impliquant des budgets considérables, explique Céline Salles, présidente de la communauté de communes d’Astarac Arros en Gascogne, dans le Gers. Outre les coûts importants pour curer les fossés et rénover la voirie lors de coulées de boue, il y va de la préservation de la qualité de l’eau. »

Une démarche de concertation pour rédiger une charte

La collectivité s’est lancée dans une démarche de concertation avec l’ensemble des acteurs du territoire, dont le monde agricole. Objectif : établir un état des lieux partagé, et identifier des actions avec, en ligne de mire, la rédaction d’une charte. « Il ne s’agit pas de se substituer aux acteurs, mais d’être en appui tout en préservant une activité économique pour des agriculteurs confrontés à une baisse de revenus », souligne la vice-présidente Annie Bourdallé. La démarche semble essaimer. « De plus en plus de territoires nous demandent d’animer des journées, relate Aurélie Charton, d’Agr’Eau, un réseau qui fédère 600 agriculteurs sur le bassin Adour Garonne. Les collectivités veulent agir préventivement plutôt que de payer pour réparer les dégâts. »

G. O.

 
Samuel Mancet, Cambiac en Haute-Garonne, 120 hectares de grandes cultures

« Le sorgho fourrager et la féverole sont une réelle satisfaction "

Samuel Mancet, agriculteur à Cambiac (Haute-Garonne)

« En 2004, tout juste installé, je suis passé en semis direct avec un voisin, principalement pour des raisons de coût de mécanisation, ce qui, avec le recul, n’était pas la bonne porte d’entrée. On s’est fait déborder par les limaces et les mauvaises herbes, avec de gros problèmes pour les semis de printemps. Ici, avec le vent d’Autan, les argiles passent de la pâte à modeler au béton en deux jours quand il fait grand soleil.

J’ai remis du travail de sol superficiel au printemps pour éviter l’effet ciment des argiles, mais cela a engendré des problèmes d’érosion et ce 'grattouillage' ne me satisfaisait pas. J’ai commencé à pratiquer les couverts en 2009 associés au strip-till, aidé par les associations AOC Sol et Agro d’Oc. Je pouvais ainsi couvrir le sol tout en travaillant la ligne de semis. J’ai testé tous les couverts possibles sur trois ans, et le sorgho fourrager est ressorti du fait de sa grande résistance au sec. Il est capable de lever, puis de s’arrêter en l’absence de pluie, puis de repartir dès qu’il reçoit quelques millimètres.

La deuxième grande étape a été la découverte de la féverole. Après plusieurs années très humides, j’ai observé un problème de compactage, que ne permettait pas de résoudre le strip-till. En décompactant dans les chaumes à la mi-août, je m’exposais à l’érosion. Grâce à la féverole semée début octobre, je bénéficie de la fissuration par le décompacteur et du travail du couvert pendant l’hiver sans érosion possible au printemps.

Je sème directement le maïs ou le tournesol dans la féverole, avant passage au rouleau le lendemain pour écraser cette dernière. C’est toutefois une pratique que je réserve aux terres irriguées, car la féverole pompe beaucoup d’eau et peut mettre en danger la culture suivante en cas de sec. »

Yann Bacou, Fourquevaux en Haute-Garonne, 180 hectares en sols limono-argileux

« Le plus délicat est de savoir quand détruire le couvert "

« Ici, l’érosion a lieu surtout au printemps, le phénomène est plus rare à l’automne car le sol est moins affiné. Grâce au non-labour et aux couverts, les orages du printemps ne me font plus peur, car même si je prépare quelques centimètres de terre fine avant le semis, les racines des couverts détruits peu avant retiennent le sol. Le seul moment un peu délicat, c’est lorsque je gratte le sol avant de semer le blé, notamment dans le but de faire un faux semis pour détruire le ray-grass résistant. C’est là que les terres sont le plus exposées au lessivage d’automne.

Les couverts m’ont poussé à développer une rotation plus longue, mais j’ai supprimé le colza car il nécessitait trop d’insecticides. Concernant le choix des couverts, j’ai exclu le trèfle en raison de la présence de luzerne porte-graine dans l’assolement. L’implantation des couverts est réalisée au semoir, avec un désherbage chimique après le semis. Le couvert doit être conduit comme une culture, et il est important qu’il reste propre.

Le plus délicat est de savoir quand détruire le couvert, car il faut trouver un compromis entre attendre le plus tard possible pour qu’il génère le maximum de biomasse, et ne pas intervenir trop tard pour éviter que la culture suivante souffre du sec au démarrage. La destruction se fait au broyeur, combiné soit à un outil à dent, soit au semis direct. »

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