Cultiver les énergies de demain dans son champ
Et si la production de biogaz et d’électricité pouvait représenter un vrai complément au revenu des cultures ? C’est ce que laissent penser les objectifs que se fixent tant le gouvernement que des opérateurs comme GRDF. Le point sur les places à prendre.
Et si la production de biogaz et d’électricité pouvait représenter un vrai complément au revenu des cultures ? C’est ce que laissent penser les objectifs que se fixent tant le gouvernement que des opérateurs comme GRDF. Le point sur les places à prendre.

Les opérateurs français(1) du gaz ont de belles ambitions : 30 % de gaz renouvelable dans le réseau en 2030, voilà ce qu'ils visent, ont-ils annoncé en novembre dernier. Pour le transporteur GRDF, ce sera même 100 % de gaz vert dans le réseau en 2050, afin de jouer à plein la carte des énergies « bio », avec les avantages financiers qui vont avec. Le positionnement est tout aussi offensif du côté du gouvernement. Pour preuve, la version actuelle de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit une production de biométhane injecté de 8 TWh (térawattheure) en 2023... à comparer au 574 GWh (gigawattheure) de puissance installée à fin septembre 2017. En fait, moins de 0,1 % de biométhane est actuellement injecté dans le réseau. Logique, puisque le procédé n’est autorisé que depuis cinq ans. Indépendamment de l'atteinte ou non des objectifs, le contexte est en tout cas porteur. Il faut en profiter. Car si le biogaz injectable peut provenir de plusieurs sources (ordures ménagères, sites industriels, stations d'épuration...), l'une d'entre elles et non des moindres est l’agriculture. D’après les chiffres de l’Ademe, le secteur détient 93 % du gisement d’effluents et de déchets mobilisables. « Fin 2017, nous dénombrions une trentaine d’installations à la ferme, de l’individuel ou du petit collectif, et cela, à notre grande surprise ! », signale Marc Bardinal, du service agriculture et forêt de l’Ademe. À l’automne dernier, 318 projets étaient en cours d’étude, dont 75 % portés par des agriculteurs.
De plus en plus de céréaliers porteurs de projets
Pour Denis Ollivier, spécialiste de la méthanisation chez Trame, les agriculteurs et en particulier les céréaliers ont des atouts à faire valoir, notamment parce que le pouvoir méthanogène des cultures et résidus est supérieur à celui des effluents d’élevage. « Ce que l’on constate, c’est qu’un certain nombre de céréaliers portent ces projets, signale-t-il. Ils y voient un moyen de valoriser de la biomasse cultivée en dérobée. Tous ont demandé à augmenter la puissance de leurs installations, alors que la plupart des industriels n’arrivent pas à produire au niveau de la puissance nominale demandée. Il y a un savoir-faire autour du vivant qu’ils ont du mal à acquérir. » À l’heure actuelle, le contexte réglementaire est favorable à l’injection en direct de biométhane. «Pour le moment, le tarif est garanti sur quinze ans, sans projet de baisse, signale Guillaume Rautureau, conseiller à la chambre d’agriculture de l’Aisne. Le barème est clair, fonction du volume de gaz produit. » Dans le cas des installations agricoles, le tarif de base est compris entre 6,4 et 9,5 centimes par kWh (kilowattheure), auxquels peuvent s’ajouter 2 à 3 centimes de prime pour des intrants 100 % agricoles ou agroindustriels.
À première vue, les tarifs sont plus intéressants en cogénération : les installations produisant moins de 500 kW (kilowatt) par an bénéficient d’un prix garanti sur vingt ans pouvant monter à 22,5 centimes d’euro/kWh, prime aux effluents d’élevage comprise. Mais des baisses trimestrielles débutent cette année et surtout, les rendements sont moins bons qu’en injection, où 90 % de l’énergie potentielle produite est rémunérée. Côté Ademe, « on pousserait plutôt au développement de l’injection », observe Marc Bardinal. Mais que l’on ne s’y trompe pas : l’État mise aussi sur l’électricité produite par cogénération, comme le montrent la récente revalorisation des tarifs et l’extension à vingt ans du tarif de rachat garanti pour les petites et moyennes installations. « La tendance lourde, c’est le développement des petites installations de méthanisation en cogénération, avec un tarif incitatif qui continue de progresser jusqu’à 80 kW, indique Denis Ollivier. À plus de 300 kW, les projets de biométhane injecté deviennent quasi rentables. On ne voit plus beaucoup de gros projets en cogénération. »
Des filières qui peuvent souffrir lorsqu'elles mûrissent...
Dans un cas comme dans l’autre, il faut une mise de départ conséquente, de l’ordre d’1 million d’euros en cogénération, entre 3 et 5 millions d’euros pour du biométhane injecté. Dans ce dernier cas, les banques demandent 15 à 30 % de fonds propres, et il faut pouvoir se raccorder au réseau de gaz à un coût raisonnable. Le retour sur investissement des projets s’effectue au bout de dix à onze ans, hors subventions locales. Début décembre, la FNSEA et les chambres d’agriculture ont signé une convention avec GRTGaz pour accompagner le développement de la filière. « Notre objectif est de développer le biométhane injecté et la cogénération, mais pas à n’importe quelle condition non plus », explique Léonard Jarrige, en charge du dossier à l’APCA. Pour Pascal Chaussec, agriculteur breton méthaniseur et président de l’association Apepha (Agriculteurs producteurs d’électricité photovoltaïque associés), « il faut que le monde agricole s’approprie les énergies renouvelables, sans quoi, d’autres opérateurs prendront la place sans problème ». Car tout n'est pas rose au pays des énergies renouvelables. Dans le photovoltaïque, filière plus mature que le biométhane injectable, garder la maîtrise de sa production n'est plus si évident : « Pour les installations dépassant 100 kW de production annuelle, il faut depuis 2011 passer par des appels à projet réalisés par la CRE (Commission de régulation de l’énergie), signale Pascal Chaussec. Il y a aujourd’hui une dizaine d’opérateurs qui s’accaparent les projets, ce qui laisse peu de place aux projets à la ferme. » La lourdeur des démarches administratives liées aux appels d'offre pénalise les agriculteurs, qui préfèrent s'épargner frais et complications en limitant la taille de leurs installations, quitte à perdre en rationnalisation.
Une source de diversification de revenus y compris pour la retraite
Plus mature sans être pour autant "autonome", le photovoltaïque connaît par ailleurs depuis 2011 des baisses régulières de ses tarifs de rachat réglementés. À 11 centimes aujourd'hui contre 60 centimes en 2010, le prix du kW pèse sur la rentabilité des projets : « En 2010, le chiffre d’affaires d’une installation de 100 kW était de 60 000 euros, contre 12 000 euros aujourd’hui, indique Guillaume Rautureau. Une fois les installations amorties, au bout de dix à douze ans, on récupère nettement moins. » Et la baisse n'est pas terminée. "Il faudrait que l'on arrive à un prix plancher de 10 centimes le kW", estime Bertrand Duprat, agriculteur installé dans le Puy-de-Dôme, lui aussi investi dans la méthanisation et le solaire photovoltaïque. Contrepartie positive néanmoins : la baisse du ticket d’entrée, les coûts ayant été divisés par 10 en dix ans. « Pour une installation de 100 kW, il faut aujourd’hui compter 70 000 à 90 000 euros d’investissement, estime Bertrand Duprat. Le rendement en électricité au mètre carré s’est beaucoup amélioré. Il est de 20 à 22 % contre 12 à 18 % auparavant. » Pour Guillaume Rautureau, l’achat de panneaux solaires est au final une sorte de « subvention indirecte » à la construction ou à la rénovation d’un bâtiment. Un "plus" à ne pas négliger… qui peut aussi, plus tard, se transformer en rente. « Le tarif est garanti sur vingt ans, mais les panneaux vont durer 40 ou 50 ans, calcule Bertrand Duprat. Ça peut permettre de céder sa ferme en douceur au moment de la retraite, en gardant par exemple l’exploitation de la toiture. » Le biogaz injectable suivra-t-il les mêmes logiques ? À voir. Quoi qu'il en soit, passé l'engouement des débuts, produire de l'énergie sur sa ferme apparaît comme une piste à creuser pour diversifier ses revenus…
(1) GRTGaz, GRDF, SPEGNN, TIGF.Les raccordements de nouveau subventionnés
Jusqu’à voici quelques mois, c'était à l’agriculteur de prendre en charge le coût du raccordement au réseau. « Or se raccorder peut consister à changer un transformateur, par exemple, donc à améliorer le réseau dans son ensemble », explique Pascal Chaussec, agriculteur breton et président de l’Apepha. Une prise en charge par l’État de 40 % existait il y a quelques années avant d’être arrêtée. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé en septembre son rétablissement. Les arrêtés sont parus début décembre.
En chiffres : des objectifs en passe d’être atteints
130 MW (mégawatts) : puissance électrique des installations de méthanisation à fin septembre 2017, soit 95 % de l’objectif 2018 de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) réalisé
372 millions d’euros de CA générés par la filière biogaz en 2016
7686 MW : puissance des installations photovoltaïques à fin septembre 2017, soit 75 % de l’objectif 2018 de la PPE réalisé
3,8 milliards d’euros de CA pour le photovoltaïque en 2016
Source : baromètre 2017 des énergies renouvelables en France Observ’er.