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Construire son matériel en toute légalité

Pour travailler avec un outil sur-mesure, parfaitement adapté à ses besoins, ou par souci d’économie, l’autoconstruction peut répondre aux attentes des céréaliers. Conception, encadrement technique, réglementation… Le point sur cette pratique.

Concevoir et construire son matériel soi-même, c’est s’assurer qu’il réponde au mieux aux besoins de son exploitation. Même si l’autoconstruction est plus fréquemment pratiquée en maraîchage ou en culture bio, les agriculteurs « conventionnels » en grandes cultures ne l’excluent pas pour autant. Et rien n’oblige ceux qui se lancent à partir de zéro : l’adaptation de matériel existant fait également partie du champ des possibles. Pour ceux qui souhaitent un accompagnement, il existe une structure spécialisée dans l’autoconstruction dans l’Hexagone : l’Atelier paysan.

Né en Rhône-Alpes sur le terreau fertile du maraîchage bio, l’Atelier paysan, dont le siège est situé à Renage (Isère), s’est vite étendu à travers l’Hexagone. Il compte aujourd’hui une antenne dans le Grand Ouest. Sous statut SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) depuis 2014, l’Atelier paysan a pris forme en 2009, date à laquelle ses deux actuels cogérants, Fabrice Clerc (agronome) et Joseph Templier (maraîcher), ont lancé une démarche de réappropriation des savoir-faire paysans dans le but de retrouver une certaine autonomie en matière d’agroéquipements. Guidés par le double constat que les outils standards n’étaient pas toujours adaptés aux besoins, et qu’ils inventaient eux-mêmes leurs solutions, ils ont voulu capitaliser sur le bouillonnement d’ingéniosité de ces « paysans bricoleurs » et favoriser la reconquête des compétences en matière de travail du métal.

Recenser les innovations, les améliorer et former les agriculteurs

L’Atelier paysan s’est fixé deux grands objectifs : traquer l’innovation là où elle se trouve, c’est-à-dire sur les fermes, et favoriser les échanges aussi bien sur le terrain que sur internet grâce à un forum de discussion. En plus du recensement, la R & D (recherche et développement) repose notamment sur une démarche d’ingénierie participative mobilisant un groupe de paysans auquel l’équipe de salariés apporte des compétences complémentaires, qui permettent par exemple de modéliser un outil en 3D ou de le mettre en plan. « On démarre d’une idée paysanne pour construire collectivement un cahier des charges puis l’on passe, via un atelier collectif, au prototypage, pour que les agriculteurs constructeurs testent ces prototypes sur leur ferme, les nourrissent et les valident par l’usage », commente Nicolas Sinoir, animateur national de la structure.

Le second objectif est celui de la diffusion et de la formation. Les plans et guides tutoriels des agroéquipements conçus sont mis à disposition des agriculteurs sous licence libre Creative Commons. Une quarantaine de stages itinérants, finançables par les fonds de formation, sont organisés à travers le pays. Ils permettent aux agriculteurs, y compris les novices du bricolage, de se doter d’équipements adaptés à leur exploitation avec un investissement jusqu’à deux à trois fois inférieur à un achat extérieur. Et ils aident à monter en compétences et donc à gagner en autonomie pour s’approprier pleinement leurs outils. La coopérative propose aussi des achats groupés de matériaux et accessoires.

Si son ADN est bio et paysan, la structure concerne bien tous les systèmes de culture. « Il n’y a aucun sectarisme, l’Atelier paysan est ouvert à tous, insiste Nicolas Sinoir, puisque ce travail sur le matériel est le moteur d’une réflexion plus globale sur les pratiques culturales. » Aujourd’hui, les attentes sont réelles dans toutes les filières : arboriculture, viticulture et également grandes cultures.

Après l’autoconstruction, l’autocertification

Au-delà des questions techniques, se lancer dans la construction de matériel seul ou accompagné exige de respecter la réglementation en matière de prévention et de protection des risques. Cette démarche d’évaluation et de prise en compte des risques est obligatoire dès lors que l’exploitation compte un salarié. Mais la responsabilité de l’agriculteur peut aussi être engagée en cas d’accident, lors d’un prêt de matériel à un voisin ou même lors de l’intervention d’un saisonnier ou dans le cadre de l’entraide. Quand une machine est achetée neuve, tout le travail de certification, voire d’homologation pour les matériels de série, a déjà été réalisé. Dans le cadre de l’autoconstruction, c’est au concepteur, fabricant ou « autoconstructeur » de penser à intégrer ces questions de sécurité, et de respecter les règles garantissant la sécurité des utilisateurs. Pour cela, il existe une solution simplifiée : l’autocertification (voir encadré), qui vise à évaluer la conformité par un contrôle interne de la fabrication.

Assurer la sécurité au travail est la priorité

Elle concerne les machines, définies par la directive européenne 2006/42/CE dite « directive machine », comme « un ensemble équipé ou destiné à être équipé d’un système d’entraînement autre que la force humaine ou animale appliquée directement, composé de pièces ou d’organes liés entre eux dont au moins un est mobile et qui sont réunis de façon solidaire en vue d’une application définie ». La modification de machine existante et la conception de machine à partir de pièces de récupération, voire de morceaux de machine sont aussi soumises à certification, car elles sont considérées comme neuves. L’autocertification permet d’obtenir le marquage CE. Dès qu’une machine neuve est mise sur le marché dans l’Union européenne, elle doit porter ce marquage. Celui-ci indique que les règles de sécurité ont été intégrées aux étapes conception et construction. La mise sur le marché peut être une vente, une importation mais également un don ou une mise à disposition à titre gratuit.

Pour obtenir ce marquage, la machine doit être conforme aux règles techniques de sécurité, ce que permet de valider l’autocertification. C’est à celui qui met la machine sur le marché, dans notre cas, l’agriculteur concepteur, de déclarer sous sa responsabilité que la construction est conforme aux règles techniques. Ensuite il peut réaliser le marquage CE et faire la déclaration de conformité. À l’inverse, sur un outil, il n’y a pas d’entraînement de pièces par d’autres. Un outil ne nécessitera donc pas d’autocertification mais simplement de respecter la législation en termes de signalisation pour pouvoir circuler. Pour autant, l’aspect sécurité devra avoir été intégré afin d’éviter tout accident d’utilisation.

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L’autocertification en trois étapes

1 - Établir le dossier technique

Il permet de vérifier la conformité de la machine aux règles de santé et de sécurité, et doit pouvoir être présenté à toute autorité. Ce dossier doit être conservé dix ans après la date de fabrication. Il comprend :

- une description de la machine indiquant sa fonction et son fonctionnement normal,

- un plan d’ensemble de la machine, avec les circuits de commande et tous les renseignements nécessaires à la compréhension de son fonctionnement,

- les plans détaillés et complets,

- un document traitant de l’évaluation des risques et des solutions mises en œuvre pour atteindre un niveau de sécurité conforme aux exigences de la réglementation. Ce document peut prendre la forme d’une fiche de sécurité simple décrivant les risques, les solutions techniques permettant de les limiter et des indications de prévention sur les risques résiduels,

- la liste des règles techniques et des normes utilisées pour la mise en conformité (elle peut être intégrée à la fiche sécurité),

- une copie de la déclaration CE de conformité.

- une copie de la notice d’instruction de la machine. Celle-ci doit comprendre la raison sociale et l’adresse du fabricant, les renseignements généraux sur la machine (désignation, fonction, poids, puissance, niveau de bruit…), les instructions (comment faire ? quels risques ? quelles protections ?) portant sur le montage et la mise en service, l’usage normal, les contre-indications d’emploi, les équipements de protection nécessaires, la maintenance (description des pièces de rechange et des opérations courantes d’entretien et de maintenance), les réglages et le transport.

2 - Rédiger et signer la déclaration CE de conformité

Pour rédiger et signer la déclaration CE de conformité, il peut être utile d'être guidé. La fiche pratique ED 54 de l'Institut national de recheche et de sécurité (INRS) rempli très bien ce rôle. On peut la trouver à cette adresse internet : www.inrs.fr/dms/inrs/CataloguePapier/ED/TI-ED-54/ed54.pdf

3 - Apposer le marquage CE sur la machine

Plusieurs indications doivent figurer de manière lisible et indélébile : raison sociale et adresse complète du fabricant, désignation de la machine, année de construction et marquage « CE ».

Certaines étapes étant assez complexes, il est judicieux de demander l’aide d’un juriste.

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Une démarche qui cache beaucoup de réflexion et d’idées

Pour Philippe Van Kempen, conseiller expert au service élevage et agroéquipement à l’APCA, l’autoconstruction reste globalement à la marge et n’a pas directement d’impact sur le marché du matériel agricole. « Pour autant, le réseau mixte technologique (RMT) agroéquipement qui regroupe les constructeurs (Axema), les Chambres d’agriculture, l’Acta et la FNCuma a souhaité intégrer l’Atelier paysan au réseau, car il fait avancer le débat », souligne-t-il. Les agriculteurs qui autoconstruisent cherchent à faire évoluer le matériel existant. Pour le spécialiste, « les contraintes de sécurité nécessitent d’avoir des connaissances suffisantes en matières de choix des matériaux, d’épaisseur de métal, etc. Mais ceux qui autoconstruisent le font généralement bien. On voit parfois peu de différences entre un outil autoconstruit et celui d’un petit constructeur ». C’est surtout le cas pour des outils simples comme le triangle d’attelage, inventé par des agriculteurs, et ensuite repris par certains constructeurs. Le challenge est plus difficle à relever sur des machines compliquées qui intègrent de l’électronique ou de l’hydraulique. En plus des obligations réglementaires, l’autoconstruction demande beaucoup de temps. « On est parfois à la limite de la passion », insiste Philippe Van Kempen.

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