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Agriculture de conservation/céréales : comparer ses coûts de production pour asseoir sa stratégie

Passés en agriculture de conservation pour réduire leurs charges, moins soucieux de leurs rendements que de leurs revenus, Benoît Baronnier et Yannick Sicot détonnent. Tous deux agriculteurs dans le Barrois, une zone peu fertile de l’Aube, ils travaillent sur leurs coûts de production au sein du groupe innovant A2C Barrois pour mieux s’en sortir.

 

Benoît Baronnier : « je n’avais pas de point de repère sur mes performances économiques »

« En 2009, juste un an après mon installation, j’ai vu les prix de l’azote grimper tandis que ceux des céréales dégringolaient… Il fallait que je fasse quelque chose pour réduire mes charges. » Sur sa ferme de 170 hectares, Benoît Baronnier ne peut pas espérer des miracles : les rendements en blé tendre ne dépassent guère 65 q/ha, tandis que ceux de colza s’établissent en moyenne à 30 q/ha. Dès son installation, l’agriculteur a travaillé sur les charges opérationnelles, en particulier les phytos. « Compte tenu de mes potentiels, j’ai choisi de réduire systématiquement les traitements à la fourchette basse de ce que propose le GDA », indique l’exploitant, qui ne fait par ailleurs quasiment que des semences de ferme. En 2009, l’agriculteur s’est attaqué à la fumure de fond, qu’il a supprimée, puis aux charges de structure : « pour réduire les coûts, il fallait que je réduise le travail du sol. Je me suis projeté assez loin en me disant que mon modèle devait tenir ». C’est au contact du groupe Vivescia Agrosol, qui développe l’agriculture de conservation, qu’il décide de se lancer dans le semis direct. En limitant le travail du sol, « je limite également les heures de travail, donc l’usure de mon tracteur et ma consommation de carburant », indique-t-il.

Un parc matériel réduit à un pulvé, un semoir et une "demie" moiss’-batt’

Il a donc acquis en 2011 un semoir direct de 6 mètres. « Il m’a coûté un peu cher, mais il me fallait cette taille, explique Benoît Baronnier, qui le considère comme l’outil le plus important de la ferme en semis direct. En 3 mètres, le travail me prenait trop de temps. En semis direct, le semis du couvert doit avoir lieu au lendemain de la moisson, cela aurait été juste avec une largeur plus petite. » Le semoir direct est à peu près la seule concession que l’agriculteur s’est autorisée en termes de matériel. À son installation sur la ferme familiale, il avait dû repenser sérieusement la taille de son parc, vieillissant. Charrue, herses, vibro, chisel ont été supprimés. L’essentiel des outils qu’il utilise (vibroflex, outil à disques, épandeur à engrais, broyeur à pierres, bennes…) sont détenus en Cuma. Il possède sinon une moissonneuse-batteuse en copropriété avec un voisin, un accord qui a plus de 35 ans. « J’ai également un pulvé que j’ai acheté à mon installation en 2008, un Fendt de 10 ans d’âge que je viens de racheter, un autre tracteur de faible puissance et un Manitou : il me permet de monter les big bags dans le nouveau semoir et de reprendre le grain stocké », détaille l’agriculteur. Ce qui lui reste sur la ferme n’a plus de valeur, hormis celle de dépanner à l’occasion.

Au sein du groupe innovant A2C Barrois dont il fait partie, Benoît Baronnier est aujourd’hui l’un de ceux dont les charges de mécanisation sont les plus faibles, à 331 euros/ha contre 426 euros/ha en moyenne. Globalement, son coût de production est de 1 000 euros/ha (lire ci-contre), inférieur de 23 % à la moyenne de la zone. C’est l’un des agriculteurs qui se montre le plus performant… mais il a fallu qu’il compare ses coûts de production lors de formations pour s’en rendre compte. « J’ai fait la première en 2016, car j’avais besoin de me conforter dans mon choix de semis direct, explique-t-il. Je me suis installé dans de bonnes conditions mais je n’avais pas de point de repère. »
« Pour la région, faire de l’agriculture de conservation était alors encore très original », observe Sophie Nicolardot, conseillère et animatrice du groupe à la chambre d’agriculture de l’Aube. Très surpris de ses bons résultats, l’agriculteur s’est senti rassuré dans ses orientations : « j’ai vu que ma méthode était bonne ».

Développer le stockage pour améliorer les produits générés par la ferme

Conscient qu’il ne pourra plus gagner grand-chose du côté des charges, Benoît Baronnier va maintenant s’attaquer à ses produits. C’est pour trouver des repères que l’agriculteur a fait une seconde formation sur les coûts de production l’an passé. « Je moissonne avec un collègue qui est encore en labour, et je fais toujours 10 q/ha de moins en moyenne, explique-t-il. Je voulais me positionner dans un référentiel agriculture de conservation, avec des agriculteurs ayant le même type de pratiques que moi, pour voir ce que mes résultats révélaient. » Sans être faible, son résultat net souffre néanmoins de la faiblesse de ses rendements. « Je sais que mes sols manquent de matière organique. J’ai misé sur les couverts pour la remonter, mais ça ne suffit pas. Je paie les exportations de paille qui ont longtemps été la norme sur la ferme et l’arrêt des amendements tels que le compost ou les écumes. » Au-delà des techniques de production, Benoît Baronnier va augmenter ses rentrées d’argent en développant le stockage. Aujourd’hui, il stocke un tiers de ses récoltes, mais il se prépare à investir dans un nouveau bâtiment pour en faire plus. « Vivescia encourage ses adhérents à stocker avec des primes très avantageuses, explique-t-il. Majorations incluses, elles peuvent monter à 17 euros la tonne pour un départ fin février-début mars. » Ces primes devraient permettre à l’agriculteur de rembourser son bâtiment sur vingt ans. Et il va installer sur la toiture des panneaux photovoltaïques (36 kW) qui lui laisseront 1 000 euros de bonification par an, puis 4 500 à 5 000 euros les cinq dernières années. Une opération gagnante.

EN CHIFFRES

Petite surface et maigres potentiels

170 ha en agriculture de conservation depuis 2010

30 ha de colza (30 q/ha de rendement moyen), 70 ha de blé (65 q/ha), 40 ha d’orge (65 q/ha), 30 ha en orge de printemps, pois, maïs, pois chiche, soja, selon les années

90 ha récupérés depuis six mois dans le cadre d’une association avec son frère

Yannick Sicot : « la seule solution, c’est la baisse des charges »

Avec un peu plus de 100 hectares de terres argilo-calcaires très superficielles où le blé produit en moyenne 60 q/ha, Yannick Sicot n’en fait pas mystère : « dans mon contexte hyper-limitant, la seule solution, c’est la baisse des charges ». Cette stratégie, l’agriculteur la met en place dès les achats d’appro. « Je demande des devis partout et je prends là où c’est le moins cher, même si la différence n’est que d’un euro, explique l’agriculteur. Pour les semences, je ne fais que de la semence de ferme et des mélanges. » Dans la même logique, l’exploitant investit au minimum dans les champs : « quand une culture ne part pas bien, je ne fais pas de frais dedans. Soit elle finit par s’en sortir, soit je la retourne et ressème ». Il n’est pas plus dépensier lorsque tout va bien : « je fais des impasses de désherbage dans l’orge d’hiver, par exemple. Plutôt que de faire des frais inutiles dans cette culture difficilement propre, j’écrase les charges opérationnelles et gère les adventices dans la suivante, du colza souvent, où c’est plus simple ».

Pas plus d’une tonne de blé dépensée à l’hectare en appro

Pour maîtriser ses charges d’appros, l’agriculteur s’est donné un repère simple : « engrais et phytos ne doivent pas me coûter plus d’une tonne de blé à l’hectare. Une année donnée, c’est ce que j’ai trouvé de plus facile à contrôler ». Pour le matériel, l’agriculteur suit le même raisonnement. Il a profité en 2010 de l’arrêt du lait sur la ferme et de la revente des quotas pour changer du matériel, notamment sa moissonneuse-batteuse. Mais pas question de faire plus que nécessaire. « J’ai eu jusqu’en 2012 une moiss-batt' New Holland de 1983 qui me coûtait 23 euros par hectare coupé, carburant et entretien compris, pour 70 heures de travail par an, indique Yannick Sicot. J’ai investi en 2012 en copropriété avec un voisin dans un modèle avec une barre de coupe de 7,60 mètres qui nous a coûté 110 000 euros. Elle va couper 300 hectares par an. En supposant une valeur résiduelle nulle dans dix ans lorsque nous la revendrons, nous arrivons à 36 euros de l’hectare, auquel il faut ajouter 15 à 20 euros/ha de fuel, soit autour de 50 euros/ha ». Un coût inférieur à celui d’un prestataire. Certes, il ne tient pas compte de la main-d’œuvre, mais « de toute façon, si nous faisons travailler une entreprise, il faut que nous soyons là, ne serait-ce que pour le transport du grain », observe l’agriculteur. En 2016, il a décidé de passer toute sa ferme en semis direct. « Je me rendais compte que moins je travaillais les sols, plus je gagnais bien ma vie. Chez nous, plus on travaille le sol, plus on remonte de cailloux. Ce qui a un coût : il faut compter 100 euros de l’hectare de broyage car notre parcellaire est très morcelé. » L’exploitant s’est équipé d’un semoir direct neuf Sky de 3 mètres en location avec option d’achat, à 6 800 euros par an hors taxes. Il consomme en moyenne 15 litres de fuel par hectare. L’investissement est rentabilisé grâce au développement de la prestation (60 hectares cette année).

Une bonne gestion des coûts de production reconnue par les banques

Tout compris, l’agriculteur, qui n’a aucun prêt court terme, a tout de même 230 euros/ha d’amortissement. Pour Didier Petit, responsable du service Hommes et entreprises dans les chambres d’agriculture de l’Aube et de Haute-Marne, « dans la mesure où il n’y a pas d’endettement, on peut enlever l’équivalent de 100 à 150 euros/ha de charges de la trésorerie. C’est la traduction d’un choix stratégique : Yannick a créé de l’amortissement mais sa situation financière est saine, il a peu d’annuités et donc peu de décaissements d’argent ».

Cette année, Yannick Sicot s’est agrandi de 90 hectares. Pour lui, c’est sa stratégie de gestion des charges qui lui a permis de décrocher un prêt : « sans cela, mon dossier de financement ne serait pas passé auprès des banques ».
Comme Benoît Baronnier, il va désormais travailler sur sa commercialisation. Il sait que c’est là qu’il peut « faire mieux ». Lui aussi va installer un stockage, pour 300 tonnes de grains, mais il va également travailler sa stratégie de vente. Quelle que soit la situation, Yannick Sicot parvient à couvrir ses coûts de production, extrêmement faibles. Mais il veut profiter des cultures rentables de l’exploitation (blé, colza, orge) pour couvrir ses cultures à marges négatives, intéressantes pour la rotation. Résultat, « j’essaie de vendre au plus cher, et en général, je vends tout d’un coup et mal ! », constate-t-il. Un peu de travail en perspective…

EN CHIFFRES

Une surface qui s’agrandit

115 ha auxquels vont se rajouter 90 hectares en 2019

Depuis 2015 : en semis direct

1/3 de blé, 1/3 d’orge et 1/3 de tête d’assolement (colza, pois ou lentille, féverole, tournesol…)

60 q/ha en blé tendre en moyenne, 55 q/ha en orge d’hiver, 30 q/ha en colza, 50 q/ha en orge de printemps, 30 q/ha en pois lorsqu’il y en a

2010 : arrêt des vaches laitières (quota de 180 000 litres de lait)

Des produits faibles… mais qui couvrent les charges

Benoît Baronnier et Yannick Sicot font partie du groupe innovant A2C Barrois suivi par la chambre d’agriculture de l’Aube. Hors main-d’œuvre (1), tous deux sont particulièrement bien placés dans le groupe en termes de coût de production, grâce à des charges d’appro et de mécanisation très réduites. Pour Didier Petit, responsable du service Hommes et entreprises pour les chambres d’agriculture de l’Aube et de la Haute-Marne, « nos calculs sur plusieurs années nous montrent qu’avec 1 000 euros de coût de production à l’hectare dans le Barrois avant main-d’œuvre, on est quasiment sûr de passer tous les ans ». Selon le spécialiste, ce coût est souvent atteint dans les groupes innovants, mais seules 20 % des fermes de la région descendent à ce niveau. « Cela montre que les groupes innovants sont dans des systèmes durables », estime le professionnel.

(1) Cette donnée n’est pas prise en compte dans les calculs par souci de simplification.

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