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Comment réduire la présence de produits phyto dans l’air en grandes cultures ?

Des molécules phytosanitaires sont présentes dans l’air que l’on respire. Des études récentes en précisent les déterminants et l’importance du phénomène. En pratique, des règles concrètes permettent de réduire cette présence indésirable.

Une hauteur de pulvérisation trop élevée favorise la dérive des phytos et leur présence dans l'air. © A. Klinghammer
Une hauteur de pulvérisation trop élevée favorise la dérive des phytos et leur présence dans l'air.
© A. Klinghammer

« Quinze années de mesures de pesticides dans l’air. » Fin 2019, la fédération Atmo-France mettait à disposition les résultats d’analyses de ces molécules par les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Aasqa). L’occasion de découvrir que l’air que l’on respire peut contenir des molécules de produits phyto, ce qui a fait polémique. « Avec l’analyse de plusieurs molécules, on peut arriver à plusieurs nanogrammes par mètre cube en moyenne sur une semaine de prélèvement. Ces phytos restent des gaz traces, souligne Carole Bedos, chargée de recherche dans l’équipe Ecosys(1) à l’Inrae. Mais ces molécules sont à mettre en rapport avec leur toxicité. »

Au titre de responsable Écophyto à la chambre régionale d’agriculture du Grand Est, Alfred Klinghammer suit l’étude RePP’Air des phytos dans l’air sur sept sites en France. « Sur plusieurs dizaines de molécules recherchées, il y en a environ une vingtaine régulièrement utilisée que l’on ne retrouve jamais dans l’air. D’autres n’apparaissent que très ponctuellement et une dizaine est détectée invariablement pendant et après les traitements. »

Le vent n’est pas seul en cause dans les dérives de phytos

Comment de tels produits appliqués sur le sol ou sur un feuillage peuvent-ils se retrouver dans l’air, parfois à plusieurs centaines de mètres des parcelles agricoles ? « Plus les gouttelettes sont fines, plus elles seront sujettes au transport par le vent. Leur taille diffère selon le degré de couverture recherché sur la cible (couvert végétal ou sol) et selon le matériel de pulvérisation utilisé », explique Carole Bedos.

« Les cas de présence ponctuelle de certains phytos dans l’air sont liés à des conditions de traitement favorisant ce transport, relève Alfred Klinghammer. On identifie des phénomènes de dérive à cause d’un vent trop soutenu au moment du traitement. » Mais le vent n’est pas seul en cause. L’humidité de l’air joue aussi. « Un air trop sec favorise l’évaporation et la réduction de la taille de la gouttelette, qui est alors plus facilement transportée. Par ailleurs, le risque de dérive est d’autant plus important que la hauteur de pulvérisation est élevée. Plus la surface cible est éloignée, plus la trajectoire des gouttelettes sera longue et plus le transport par le vent sera important », souligne Carole Bedos. Les techniques de pulvérisatios peuvent être adaptées pour corriger le tir.

C’est plus délicat quand des phytos sont retrouvés dans l’air jusqu’à plusieurs semaines après l’application. « Des produits sont sensibles au phénomène de volatilisation. Les conditions météorologiques jouent sur son intensité. S’il fait beau derrière un traitement sur sol humide, l’eau s’évapore et emporte le phyto dans l’air », remarque Alfred Klinghammer. « Des molécules entrent dans une phase gazeuse après traitement et sont transportées dans l’air. Elles peuvent rester à l’état de gaz dans l’atmosphère ou s’adsorber sur des particules et entrer dans la composition des poussières atmosphériques, précise Carole Bedos. Elles agissent comme des aérosols atmosphériques. Cette volatilisation est liée aux propriétés physico-chimiques de la molécule ou du produit et de sa formulation. Pour le prosulfocarbe (herbicide) par exemple, ses propriétés physico-chimiques le classent dans une catégorie à risques avec un potentiel de volatilisation significatif jugé sur plusieurs paramètres : pression de vapeur saturante, coefficient d’adsorption dans le sol, solubilité dans l’eau… », cite la spécialiste de l’Inra.

Appliquer les règles de base d’une pulvérisation efficace

Que faire pour réduire ces phytos dans l’air ? « Selon les voies de transfert, nous n’avons pas les mêmes déterminants et donc pas les mêmes leviers d’action », souligne Carole Bedos. Plusieurs moyens existent pour diminuer la dérive : utiliser des buses antidérive, régler la pression à la sortie de buse, employer certains adjuvants, ne pas traiter sous un vent soutenu, intervenir avec une hygrométrie de l’air suffisamment élevée pour préserver la taille de la gouttelette… Ce ne sont ni plus ni moins que les règles de base pour optimiser l’efficacité d’une pulvérisation phyto. Pour Alfred Klinghammer, réduire l’usage des phytos est aussi une façon de diminuer la pollution de l’air. Autre mesure : la mise en place de haies faisant écran à la dérive de phyto dans le voisinage.

Des substitutions possibles mais avec parfois des effets secondaires négatifs

La réduction de la volatilisation est favorisée par l’emploi d’adjuvants ou de co-formulants améliorant la pénétration dans les plantes. Il faut parfois en passer par la substitution d’un produit par un autre moins sujet à ce phénomène. Mais Alfred Klinghammer remarque que le remplacement de l’isoproturon par le prosulfocarbe a transféré un problème de pollution de l’eau vers l’air. La formulation d’un produit peut aussi réduire la sensibilité à la volatilisation, par exemple grâce à la micro-encapsulation de matières actives. Mais les micro-capsules sont constituées de plastique… Il n’y a pas de solution sans risque d’effet collatéral.

L’identification d’une sensibilité à la volatilisation amène à adapter les préconisations d’utilisation. Avec la trifluraline sur colza, le produit était autorisé à condition de faire un travail du sol pour l’enfouir. Le prosulfocarbe a fait l’objet de mesures de restriction, notamment à proximité des vergers.

Le grand public s’est emparé du débat sur la présence de phyto dans l’air, avec le sujet des zones de non traitement (ZNT) près des habitations. Même en l’absence de réglementation, le sujet des phytos dans l’air ne peut pas être pris à la légère.

(1) Écologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes.

Des pics de phyto à l’automne et au printemps en grandes cultures

La présence de pesticides dans l’air suit une certaine saisonnalité en lien avec les pratiques agricoles. On en mesure les plus grandes quantités au moment des traitements phyto.

À l’automne, les herbicides constituent la grande part de ces phytos dans l’air, à cause des traitements effectués sur céréales et colza. On retrouve certaines molécules comme la pendiméthaline, le prosulfocarbe…

Au début de printemps, le pic de présence des fongicides est imputable aux traitements sur céréales. On détecte des molécules comme l’époxiconazole, le chlorothalonil… De fin avril à mai, les herbicides font leur retour avec les traitements sur maïs, tournesol…

Les insecticides sont très peu présents, du fait d’une utilisation beaucoup plus faible que les autres produits.

Pas de réglementation en vue sur les phytos dans l’air

La réglementation n’impose pas de suivi de concentrations de pesticides dans l’air, ni de valeurs seuil au-delà desquelles des mesures pourraient être prises, au contraire d’autres polluants atmosphériques. À court terme, il n’existe pas de projet de réglementation en la matière, que ce soit en France ou en Europe. Il est vrai que la multiplicité des molécules phytosanitaires et leur large gamme de caractéristiques physico-chimiques ne rendent pas la chose aisée. Malgré tout, des mesures spécifiques de restriction d’usage ont déjà été prises pour certaines substances.

 

Faire le lien entre pratiques agricoles et pollution de l’air

Le projet Casdar intitulé RePP’Air est en passe de dévoiler ses premiers résultats. Démarré en 2017, il se termine après l’été. Sur sept sites d’étude en France, les produits phyto présents dans l’air ont été analysés selon un protocole commun pour rendre les résultats exploitables. Sur un rayon d’un kilomètre autour de chaque site, les pratiques des agriculteurs ont été recueillies. Le but : faire le lien entre ces pratiques et la qualité de l’air. Un guide des bonnes pratiques est en cours de rédaction. Un indicateur estimant le risque de transfert de phyto dans l’air est en cours de mise au point : I-Phy Air. Le projet fera l’objet d’une restitution le 14 octobre à l’APCA à Paris.

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