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Comment le blé français s'exporte

Un petit tiers de la récolte nationale de blé tendre est vendu à l’export, principalement sur l’Afrique du Nord. Comment ces importateurs s’approvisionnent ? Comment estimer leurs achats ? Tour d’horizon.

Les pays tiers ont absorbé 11,3 millions de tonnes (Mt) de blé français sur la campagne 2014-2015, soit environ 30 % de la récolte nationale. Le débouché est loin d’être anecdotique. « Avec l’élargissement de l’Union, nous observons un rééquilibrage des exportations de blé français, observe Alexandre Bois, chez Agritel. Les ventes vers l’Union ont baissé tandis que celles vers les pays tiers ont augmenté. Or ce sont celles où la concurrence avec les grands exportateurs est la plus forte. » La France vend majoritairement son blé aux pays du sud du pourtour méditerranéen, Algérie en tête, mais aussi Maroc, Tunisie, et Égypte, des états structurellement importateurs. Elle n'a pas toujours le dernier mot, loin de là : les blés russes, ukrainiens ou roumains ont fait leur place.

L’Algérie : de la place pour la France mais une stratégie opaque

Fin octobre 2015, la France avait déjà vendu pas loin d’1,6 Mt de blé tendre à l’Algérie. Pour des raisons historiques, l’Hexagone reste l’un des principaux fournisseurs du pays, habitué au pain de tradition française. Un blé standard (teneur en protéines de 10,5 %, temps de chute de Hagberg de 240 s, humidité inférieure ou égale à 14 %) suffit sur le plan technique au bonheur de l’OAIC (Office algérien interprofessionnel des céréales), en charge de 80 % des importations du pays. Cependant, « la campagne 2014-2015 nous a fait beaucoup de mal, observe Roland Guiragossian, chef de mission Égypte et Moyen-Orient chez France export céréales. Nous n’arrivons pas à retrouver les 80 à 90 % de parts de marché que nous détenions auparavant. Nous sommes tombés à 65 % en 2014 et ne sommes pour l’instant qu’à 70 %. » Au risque de prendre de mauvaises habitudes, l’OAIC s’est approvisionné auprès des pays de la mer du Nord et de la Baltique, les taux de fret, très faibles, n’étant pas un obstacle.

Diversifier ses sources de blé est d’autant plus facile pour l’Office qu'il n'impose pas d'origine dans ses appels d'offres. L’opérateur doit seulement respecter les délais ainsi que le cahier des charges qualitatif et sanitaire. C’est ce dernier point qui protège encore le blé français aujourd’hui : l’OAIC refuse notamment les punaises, ce qui exclut les blés originaire de la mer Noire, trop peu fiables sur ce point. Toutefois, « le blé roumain, lui, n’a pas ce type de problème, et il commence à arriver sur le marché », remarque Roland Guiragossian. Si l’OAIC lance des appels d’offres à peu près tous les mois pour 50 000 t, le marché n'est pas pour autant transparent : l’Office utilise ces appels pour sonder le marché et peut au final décider d’acheter bien plus que prévu. « On a énormément de mal à avoir des informations », regrette Roland Guiragossian. Les difficultés financières que le pays rencontre avec la baisse des cours du pétrole pourraient jouer sur les importations : le gouvernement, qui aujourd'hui subventionne le prix de la farine, réfléchit à des outils à même de limiter la consommation et d'éviter les abus.

Le Maroc : des importations qui démarrent tardivement

À l’inverse de l’Algérie, le Maroc a complètement libéralisé ses importations : les minotiers privés achètent en direct et recherchent encore plus qu’ailleurs le meilleur rapport qualité/prix. La présence de l’état pèse toutefois, car il fixe des droits de douane à l’importation, son objectif étant d'assurer avant toute chose l'écoulement de la récolte nationale. Il impose donc en général des droits de douane dissuasifs durant les premiers mois de la campagne de commercialisation, qui commence dès juin. « Plus encore que la récolte elle-même, c’est le niveau de production annoncé par le gouvernement qui constitue l’indicateur déterminant pour évaluer le rythme des importations du pays », note Alexandre Bois. Car quel que soit le niveau de la récolte, le pays importe. « Le blé local est trop hétérogène pour que les quelque 150 minotiers industriels puissent l’utiliser seul, poursuit le spécialiste. Ils travaillent en général avec des mélanges comportant 60 à 70 % de blé meunier, 15 à 25 % de blé canadien à haute teneur en protéines et 15 % de blé local. » Les surplus de la récolte marocaine sont utilisés par les 10 000 moulins artisanaux ou stockés en partie par les producteurs lorsque les prix de l’année sont trop bas. Au final, le Maroc importe chaque année en moyenne 2,5 Mt de blé tendre, la fourchette allant de 1 Mt en 2006-2007 à 3,5 Mt en 2007-2008, selon les chiffres de l’Onicl (office public en charge des céréales).

 

Le jeu des droits de douane pousse les importateurs à concentrer leurs achats le plus souvent sur les quatre premiers mois de l’année. « Ce système a une incidence forte sur la logistique, observe Yann Lebeau, en charge de la zone Maghreb-Afrique chez France export céréales. À un instant 't', on observe une forte concentration de bateaux dans la rade de Casablanca, principal port du pays pour les importations de céréales. Et ils perdent de l’argent car ils ne peuvent pas décharger ! » Dans ce contexte, les importateurs se préoccupent peu de l’origine. Le blé standard français a toute sa place dans les mélanges… à condition qu’il soit au meilleur rapport qualité-prix.

La Tunisie : des achats sous contrôle

« En Tunisie, c’est l’État qui doit approvisionner ses habitants », résume Yann Lebeau. Toutes les étapes de la commercialisation du blé tendre sont sous contrôle de l’administration, qui détermine les prix d'achat et les prix de vente au niveau des différents maillons de la filière (de l'importateur à l'utilisateur final). Seul acheteur, l’Office des céréales tunisien anticipe ses achats par rapport aux besoins d’écrasement. « Lorsque la Tunisie lance un appel d’offres, c’est pour une livraison à deux, trois ou six mois, indique Yann Lebeau. Dès que les autorités sentent le marché actif, elles se positionnent. » Les appels d’offres interviennent tous les quinze jours en moyenne, et ce, toute l'année. La Tunisie profite ainsi de toutes les opportunités de prix et fait porter le coût du stockage sur ses fournisseurs qui la livrent au gré de ses besoins. Pas de surprise, donc, et une place « traditionnelle » pour l’origine française, qui reste limitée compte tenu de la taille du marché.

L’Égypte : l’outsider qui pèse lourd

Beaucoup ou pas grand chose : avec l’Égypte, tout est possible concernant l’origine France. Sur 2014-2015, l’Hexagone a ainsi vendu un peu plus de 2 Mt à ce pays, mais seulement 700 000 t sur 2013-2014. Encore plus qu’ailleurs, tout est affaire de prix… et de protéines. Comme le Maroc, l’Égypte cherche à valoriser sa récolte locale. Mais ici aussi, les meuniers sont dès les premiers mois obligés de compenser l’irrégularité de la récolte nationale par des mélanges avec du blé importé. Les achats commencent dès le début de campagne et sont conduits pour à peu près la moitié par le Gasc, organisme public qui procède par appel d’offres. Tout est transparent, qu’il s’agisse des quantités, des prix ou des origines. « Regarder les appels d’offres que lance le Gasc constitue un bon indicateur pour situer le blé français par rapport à la concurrence à un instant donné », estime Alexandre Bois.

L’origine française a du mal à faire sa place en raison des critères qualitatifs imposés par l’office : un minium de 12 % de protéines et de faibles humidités, les écarts à la baisse n’étant pas tolérés. Ces exigences rendent le blé russe particulièrement attractif. Les opérateurs privés, eux, achètent à 80 % des blés russe ou ukrainien (à parts égales). C’est donc quasiment sur le seul marché public que le blé français a ses chances.

Le manque de devises auquel le pays est confronté modifie la donne. L’office doit désormais s’assurer qu’il a bien les ressources pour lancer un appel d’offres. Cette nouvelle contrainte pourrait expliquer le relatif déplacement des achats observés ces dernières années : « En 2011-2012 et 2012-2013, le Gasc a réalisé quasiment 60 % de ses achats entre le 1er juillet et le 30 septembre, au moment où les pays de la mer Noire ont besoin de dégager des volumes, note Roland Guiragossian. Mais en 2013-2014, seuls 35 à 45 % des achats du Gasc ont été réalisés sur cette période. » Le manque de devises se traduit également par un allongement des délais entre les appels d’offres et les livraisons, les lettres de crédit n’étant pas ouvertes.

L’avenir contient probablement des surprises, en Égypte comme ailleurs.

 

Pour en savoir plus, voir aussi article " Le Maghreb et l'Egypte au cœur des débouchés du blé français ".

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