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Bras de fer sur le sursis des quotas sucriers

Bruxelles veut mettre fin aux quotas sucre dès 2015, tandis que les betteraviers européens exigent leur maintien jusqu'à 2020. Pour la Commission européenne, cette stratégie expose la production communautaire à un risque d'asphyxie sous la pression des importations.

Pour la CGB, bras armé syndical des planteurs de betteraves, l'affaire est entendue : les quotas du régime sucre seront maintenus jusqu'en 2020. Pour la Commission européenne, c'est une certitude : ils tomberont avant. Jusqu'à la dernière ligne droite, le bras de fer se poursuit donc sur l'avenir de cet outil de régulation autour duquel s'articule toute l'organisation du secteur sucrier en Europe. À l'automne 2011, Bruxelles annonçait son intention de mettre fin aux quotas dès 2015, et donc la disparition du prix minimum de 26,29 euros par tonne de betteraves destinées au sucre du quota. Autant dire une révolution culturelle pour un secteur qui a toujours été fortement encadré. Pour la Commission, il en va de la survie de la filière : d'un côté, les accords passés avec les pays Afrique- Caraïbes-Pacifique (ACP) et avec les pays les moins avancés (PMA) dans le cadre de l'accord Tout sauf les armes (TSA) permettent une entrée à droit très réduit ou nul pour le sucre en provenance de ces pays ; de l'autre, le système des quotas a conduit l'Organisation mondiale du commerce à limiter les exportations européennes à 1,37 million de tonnes (Mt) sur fond d'accusation de dumping.D'où l'équation suivante : puisque l'Europe risque de voir arriver massivement du sucre des ACP et des PMA sans pouvoir exporter dans la même mesure, la production intérieure sera la variable d'ajustement du marché. Il faut donc en finir avec les quotas pour ouvrir grand les portes de l'export. CQFD. Ces prédictions pessimistes sont toutefois suspendues à deux conditions : que les importations massives se concrétisent, et que l'Europe soit compétitive sur le marché mondial pour que les exportations jouent leur rôle de ballon d'oxygène. Deux points sur lesquels l'analyse de la filière sucre et celle de Bruxelles divergent totalement. « Nous savons que vous auriez préféré la date de 2020, mais cette date n'est pas nécessaire eu égard à votre compétitivité », a lancé Yves Madre lors de l'assemblée générale de la CGB en décembre. Sans surprise, cette déclaration du membre du cabinet du commissaire à l'Agriculture Dacian Ciolos a suscité de copieux sifflets. « Nous avons fait un grand chemin, mais pas au point de pouvoir durablement nous confronter au marché mondial », a rétorqué peu après Éric Lainé, président de la CGB. La guerre de la compétitivité se résume essentiellement au duel UE-Brésil. Avec sa récolte de 37 millions de tonnes (Mt) issue de la canne, ce dernier produit la moitié du sucre de la planète et pèse près de 50 % des exportations mondiales. Sa suprématie est toutefois fragilisée par des coûts de production en hausse et par le renchérissement de sa monnaie face au dollar, tandis que la betterave européenne a largement accru sa compétitivité. Pour la CGB, la Commission est cependant dans l'erreur en considérant que le fossé est désormais comblé.
LE TEST DES ANNÉES À VENIR Une position partagée par Bruno Hot, président du Syndicat national des fabricants de sucre (SNFS). « Notre compétitivité est liée aux prix mondiaux. Ces deux dernières années, avec des prix mondiaux très élevés, il est vrai que l'Europe était capable d'exporter, mais ce ne serait plus vrai en cas de prix faibles. » Dans le contexte actuel de baisse des cours, les deux années à venir feront donc office de test pour mesurer la capacité des exportateurs européens à s'imposer sur le marché international. Pour l'heure, le prix proche du prix de référence européen ne semble pas dissuasif : un premier contingent de 650 000 tonnes ouvert en début de campagne a été intégralement utilisé, et le même scénario est attendu pour la seconde tranche qui devait être ouverte fin janvier. Reste à savoir ce qu'il adviendra si les prix poursuivent leur décrue. Cette phase de déflation permettra aussi d'évaluer le risque de montée en puissance des importations avancé par la Commission européenne. Lorsque les prix mondiaux étaient au plus haut, le marché européen a perdu de son attractivité pour les pays exportateurs, qui ont détourné leur marchandise vers des débouchés de proximité.Toutefois, après avoir été longtemps exportatrice nette de sucre, l'Europe est devenue structurellement importatrice depuis la réforme de l'organisation commune de marché (OCM) en 2006. La question est désormais de savoir si l'ouverture des frontières aux PMA et ACP, effective depuis octobre 2009, se traduira par une entrée massive du sucre de ces pays. « Ces importations montent et vont augmenter substantiellement à un moment donné, explique Yves Madre. Les raffineurs européens ont d'ailleurs fait passer leurs capacités industrielles de 2 Mt à 4 Mt entre 2009 et 2011, c'est bien le signe qu'ils attendent du sucre à raffiner. » Une conclusion contestée par la CGB, qui y voit plutôt une erreur d'analyse de la part de cette industrie. « Les raffineurs ont surestimé la capacité des ACP-PMA à accroître leur production et sous-estimé la croissance des marchés régionaux, notamment dans le continent africain », affirme le syndicat, d'où « une surcapacité structurelle de l'industrie européenne du raffinage ». Cette stratégie hasardeuse serait l'une des raisons du lobbying actif dont sont taxés les raffineurs auprès des autorités européennes afin d'ouvrir les vannes de l'importation pour disposer de volumes plus importants de sucre. « En théorie, l'argument de la Commission sur la hausse à venir des importations se tient, mais c'est ignorer les effets de la crise économique de 2008, estime Bruno Hot. Celle-ci a repoussé de nombreux investissements prévus dans les pays producteurs, d'où un retard des flux que l'on attendait au moment de la réforme. De fait, les importations ne sont pas au rendez-vous. » Et pour Alain Jeanroy, directeur général de la CGB, cette menace des importations est d'autant moins à craindre que « le système actuel offre tous les outils pour parer à toutes les éventualités»STABILITÉ POUR AFFRONTER LE BRÉSIL Si la filière sucre rejette les sombres prédictions de la Commission, elle ne doute pas des effets délétères qu'aurait une suppression précoce des quotas. « Il y aurait un risque majeur de déséquilibre de l'offre et de la demande du marché communautaire, avec pour conséquence une perturbation sur les prix du sucre, assure Alain Jeanroy. Et sans l'exutoire qu'est le marché mondial, faute d'être compétitif durablement, on s'orienterait vers un scénario de perte de potentiel de production en Europe. » Pour ses avocats, le système de quotas est aussi un gage de relative stabilité des prix intérieurs dans un contexte de forte volatilité. « À partir de la fin de la campagne 2008-2009, contre toute prévision, le prix mondial du sucre a commencé à remonter avec de fortes variations. L'on constate que le prix du sucre a été moins volatil dans l'UE qu’aux USA et que le prix intérieur [européen] était inférieur au prix intérieur de la plupart des marchés internationaux », note ainsi un rapport du Copa-Cogeca, organisation représentative de coopératives et de syndicats agricoles à l’échelon européen. Pour la CGB, cette stabilité est la meilleure garantie d’engranger les gains de compétitivité nécessaires pour affronter le Brésil. « Les usines investissent d’autant plus volontiers dans l’amélioration des process qu’elles se trouvent dans une situation qui permet de prévoir à quelle sauce elles seront mangées, explique Alain Jeanroy. Un programme de sélection, Aker, est également en cours. Nous avons besoin de huit ans pour jouer dans la cour des grands. » SOUTIENS POLITIQUES Face à la Commission, la CGB dispose d’alliés de poids, à commencer par Stéphane Le Foll. Le ministre de l’Agriculture a réaffirmé à l’occasion du congrès du syndicat que « la France est pour que l’on maintienne l’OCM sucre jusqu’en 2020 ». Les eurodéputés de la commission Agriculture ont eux aussi apporté leur soutien, et cette position devrait également rallier une majorité au conseil des ministres. « On voit mal comment la Commission pourrait ne pas en tenir compte », veut croire la CGB. Alors, 2015 ou 2020 ? Une autre issue est envisageable. Lors d’une conférence de presse précédant l’assemblée générale de la CGB, son directeur prenait date pour 2018 afin de « voir si la productivité est au rendez-vous ». Pour envisager, certes, l’après 2020. Quant au représentant de la Commission Yves Madre, il exclut « totalement » l’échéance 2020, mais affirme que « toute négociation est ouverte ». De là à penser qu’une fin des quotas en 2018 permettrait à chacun d’affirmer avoir eu gain de cause...Exportations et importations de sucre de l'UE et solde net

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