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CONCURRENCE INTERNATIONALE
Branle-bas de combat logistique en Russie

À coup d’investissements colossaux, la Russie muscle ses capacités logistiques d’exportation, notamment dans les ports de la mer Noire. Le signe que le blé russe entend poursuivre sa conquête du marché mondial.

L’an dernier, avec seulement 4,4 millions de tonnes de céréales exportées, la Russie enregistrait son plus mauvais score depuis dix ans. La faute à une vilaine canicule qui avait mis le feu aux plaines et contraint les autorités à décréter un embargo sur les exportations. Un an et demi plus tard, cette contre-performance apparaît comme un simple accident de parcours dans la course à l’export dans laquelle s’est lancé le pays depuis 2000.
Dès cette campagne, les exportations de céréales russes devraient décrocher un nouveau record à 26 millions de tonnes (Mt), effaçant les 21 Mt enregistrées en 2008-2009 et en 2009-2010. Au passage, la Russie s’installerait à la troisième place des exportateurs de blé, avec 20 Mt, derrière les États-Unis et l’Australie. Et ce n’est pas fini: selon les projections de la Russian Grain Union, elle exportera 40 Mt de céréales en 2020.


FREIN À L’EXPORT


« Sur le papier, le potentiel d’exportation en céréales est très important, mais il ne peut pas se concrétiser pleinement à l’heure actuelle pour des raisons logistiques », expliquait Michel Ferret, spécialiste des marchés chez FranceAgriMer, lors d’une conférence organisée au salon de l’agriculture. Les Russes le savent, et entendent bien se donner les moyens de leurs ambitions. Les sommes colossales investies dans les ports pour augmenter les capacités de chargement annuelles en témoignent : évaluées à moins de 8 Mt en 2001, ces dernières dépassent désormais 30 Mt.


C’est au bord de la mer Noire, antichambre maritime donnant sur la Méditerranée, que se concentrent les efforts de modernisation de l’appareil logistique. De là partent les Panamax destinés à alimenter les gigantesques débouchés de proximité que constituent les pays du pourtour méditerranéen. Chargés en eau profonde, ces bateaux capables d’embarquer plus de 60 000 tonnes de céréales confèrent à la Russie un avantage certain pour s’imposer dans les appels d’offres du Gasc, l’opérateur public égyptien. À cette force de frappe s’ajoute la possibilité d’affréter de plus petits bateaux depuis les ports de la mer d’Azov, du Don ou de la Volga, plus au nord. Leurs cargaisons de 3 000 à 6 000 tonnes sont parfaitement adaptées au mode d’achat des acheteurs privés égyptiens… et à certains clients du sud de l’Europe. Cette complémentarité entre la mer Noire et le bassin Volga-Don-Azov, couplée aux progrès qualitatifs de la récolte, expliquent la domination de l’origine russe — jusqu’à 70 % de parts de marché — dans les achats de blé de l’Égypte.

Malgré la glace qui bloque les ports d’Azov entre décembre et mars, ces derniers ont assuré 37 % des exportations russes de céréales en 2009-2010. Plus impressionnant encore, plus de la moitié des 18 Mt de blé exportées la même année par la Russie est partie de Novorossiysk. C’est par ce port de la mer Noire qu’entraient les céréales du temps où l’Union soviétique était l’un des plus gros importateurs de grains.


Reconverti à l’export, Novorossiysk constitue désormais la principale porte de sortie de l’origine russe. Les travaux de modernisation des terminaux ont permis d’augmenter la capacité d’exportation annuelle d’un million de tonnes l’an passé, à 11,5 Mt. Elle devrait encore croître de plusieurs millions de tonnes d’ici à 2018 avec l’extension d’un terminal.


Le deuxième port russe de la mer Noire en importance, Tuapse, dont le terminal céréalier est opérationnel depuis 2009, affiche une capacité d’exportation de 2,5 Mt.Un potentiel resté jusqu’ici très théorique en raison de l’embargo de 2010 et des problèmes d’acheminement jusqu’au port, accessible uniquement par train.Tuapse devrait de toute façon céder sa place de deuxième place forte russe de la mer Noire après 2014, date d’entrée en fonction du terminal céréalier à Taman.


Avec ses 6 Mt de capacité d’exportation annoncées, Taman devrait endosser le rôle de « Novorossiysk bis » et permettra de désengorger ce dernier.


LOGISTIQUE PORTUAIRE TRÈS EFFICACE


« La logistique portuaire de la Russie est très efficace et compétitive, notamment grâce à des installations assez récentes », affirme Leandro Pierbattisti, de France Export Céréales. L’un des terminaux de Novorossiysk est ainsi capable de charger 4 Mt de grains par an, pour une capacité de stockage de 100000 tonnes, soit un taux de rotation de 40, quatre fois supérieur à celui de Rouen! Toutefois, « il faut distinguer la logistique portuaire de la logistique interne, qui est beaucoup moins performante, notamment en raison d’une absence d’organisation verticale en filière », souligne Leandro Pierbattisti. Efficience relative du réseau ferré aux mains de l’État, flotte de wagons obsolète et disputée par l’Ukraine, tarification favorisant d’autres secteurs industriels, inflation du nombre d’autorisations étatiques nécessaires pour les conducteurs… Le rail, censé être le mode de fret le plus adapté aux grandes distances en jeu, est bien souvent un goulet d’étranglement pour la filière exportatrice.


« La modernisation de la logistique portuaire devrait tirer la modernisation du rail », estime Natalija Riabko, chargée d’études chez FranceAgriMer. C’est déjà le cas à proximité de certains ports, comme à Tuapse, mais, étonnament, le développement de l’infrastructure ferroviaire semble avoir été ignorée dans les plans initiaux du terminal céréalier de Taman.


ÉTAT OMNIPRÉSENT


L’importance des moyens mis en oeuvre pour moderniser les ports témoigne de l’implication de l’État. La logistique n’est d’ailleurs que l’une des facettes d’une stratégie beaucoup plus large. Fin 2011, le gouvernement adoptait le Plan de développement de l’agriculture russe 2012- 2020 impliquant un budget de 230 millions de dollars pour augmenter la production. En Russie, les exportations céréalières se trouvent en effet au coeur de grands enjeux géopolitiques. Il s’agit d’abord de réduire la très forte dépendance de l’économie nationale aux ventes de gaz et de pétrole. Ensuite, l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce va se traduire par une baisse du taux des taxes à l’export sur les céréales, qu’il faudra compenser par une hausse des volumes. Autre enjeu: la conquête du Far East. La filière céréalière sera l’un des fers de lance de l’État dans l’assaut économique qu’il compte porter dans la zone Asie-Pacifique (voir ci-contre).


La mainmise de l’État sur le secteur céréalier se manifeste à tous les niveaux. De la United Grain Company, créée il y a quelques années dans le but de devenir le champion national à l’export, à la gestion des infrastructures. « Toutes les infrastructures nécessaires pour l’export appartiennent à l’État », souligne Leandro Pierbattisti. Le capital des principaux ports est ainsi sous la coupe de l’UGC et de Summa Group. Si UGC est une structure clairement étatique, Summa Group est une puissante holding privée spécialisée dans la logistique, les télécommunications et l’énergie… détenue par un proche de Vladimir Poutine.


Ce quasi-monopole d’État est à la source de formidables capacités d’investissement, mais se traduit aussi par une lourdeur bureaucratique et par des coûts d’exploitation importants. Le coût de Fobing (frais dont doit s’acquitter l’exportateur pour les opérations allant du déchargement du grain dans le silo portuaire au remplissage du bateau) peut monter à 25 dollars par tonne à Novorossiysk, soit quatre fois plus qu’à Rouen. Ce montant est néanmoins revu à la baisse au besoin pour doper la compétitivité du blé russe sur la scène mondiale.


MENACE POUR LE BLÉ FRANÇAIS


« Les objectifs des Russes pour leurs exportations de blé, ce n’est pas de l’intox, avertit Leandro Pierbattisti. Lorsqu’ils ont annoncé la création de l’UGC, tout le monde pensait que c’était du bluff. Ils l’ont fait. Que la Russie puisse exporter 40 millions de tonnes de céréales en 2020, ce n’est pas de la fiction. » Cela ne simplifierait pas la tâche des exportateurs français déjà fortement concurrencés par le blé russe sur certains de leurs débouchés, notamment en Afrique du Nord. Reste à savoir si la hausse de la production suivra, et quelles quantités de blé seront détournées de l’export pour alimenter la relance de l’élevage russe, autre défi ambitieux à l’agenda du gouvernement.

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