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Aux petits soins de ses couverts végétaux d'interculture

Agriculteur marnais, Sébastien Gougelet prend grand soin de ses cultures intermédiaires. En retour, ses couverts "travaillent pour lui".

Le couvert associant plusieurs espèces est broyé avec un équipement de 7 mètres de large permettant un débit de chantier de 7-8 ha/h.
© C. Gloria

Ses couverts, il les bichonne. En assolement en commun depuis deux ans avec cinq agriculteurs à Auve en Champagne crayeuse, Sébastien Gougelet considère l’implantation de ses cultures intermédiaires avec autant d’attention que pour n’importe quelle autre culture. Adepte des techniques culturales simplifiées (TCS) depuis dix ans, il s’agit selon lui de « faire travailler les plantes et le vivant à notre place ». Et son enthousiasme est communicatif. Si lors de la création de l’assolement en commun, seul deux des six adhérents pratiquaient les TCS, tous ont accepté de partir sur l’agriculture de conservation. « Notre objectif est de travailler le sol le moins possible, afin d’améliorer la résilience du sol, sa fertilité et même la propreté des parcelles, notamment envers le vulpin », argumente le passionné. Les couverts d’interculture apportent leur pierre à l’édifice d’une meilleure gestion du sol. « Nous n’utilisons la charrue qu’avant la plantation des pommes de terre fécule. Sur les 560 hectares que nous cultivons, nous réservons un petit tiers pour le blé, un cinquième pour la betterave, 15 % pour l’orge de printemps et le colza, 7 % en pommes de terre de fécule et en luzerne et environ 3 % pour le maïs ensilage et l’escourgeon », détaille l’agriculteur.

Mais transformer ce que nombreux considèrent comme une contrainte administrative en atout agronomique, voire économique, ne s’improvise pas. « Le premier secret de réussite des couverts consiste à les semer le plus tôt possible après la moisson. Ainsi le sol n’est pas desséché », explique le producteur. Le deuxième réside dans le choix des couverts. Avec ses collègues, il a opté pour deux types de cultures intermédiaires. Sitôt la récolte des 80 hectares de colza réalisée, il implante systématiquement de la féverole (15 grains/m²). Ensuite, le blé est semé en direct, profitant de l’amélioration de structure créée avec le système racinaire très agressif et structurant de cette légumineuse. « J’apprécie aussi la vitesse et la facilité de levée de cette plante, sans oublier ses apports en azote », ajoute l’agriculteur.

Un mélange d’espèces adapté sur 150 à 170 hectares

Les agriculteurs optent pour un mélange pour les 150 à 170 hectares de couverts restants qui précèdent les betteraves, maïs, orge de printemps (si précédent paille) et pommes de terre. Ils associent 1,5 kg/ha de moutarde d’Abyssinie, de 11 à 12 kg/ha de vesce velue de variété Massa et 600 g/ha de phacélie dans la première cuve du semoir. Dans la seconde, ils apportent la féverole en visant 40 à 60 kg/ha. La phacélie joue un rôle de stabilisateur dans le semoir avec ses graines et permet une homogénéisation du semis malgré les différentes tailles de graines. La moutarde blanche n’est pas utilisée. Semée dès fin juillet, elle lignifierait trop vite en créant par la suite des problèmes de faim d’azote. La moutarde d’Abyssinie fleurit plus tardivement et permet d’obtenir un rapport C/N inférieur à 20 lors de sa destruction. Enfin, la vesce velue dispose d’une très bonne vigueur de départ et a besoin de peu d’eau pour pousser. Et comme toutes les légumineuses, elle apporte de précieuses unités d’azote au sol.

En 2018, avec ce mélange semé le 20 juillet, Sébastien Gougelet a obtenu 6 tonnes de matière sèche (MS) de la biomasse avec un rapport C/N de 15 en novembre. La quantité de MS indique la réussite ou non du couvert. Il est broyé avec un équipement de 7 mètres, acquis en Cuma (vitesse de 10 à 15 km/h, soit un débit de chantier de 7 à 8 ha/h). Quant aux semis, ils sont réalisés à l’aide d’un semoir à semis direct acheté lors de la création de l’assolement en commun pour 92 000 euros.

Un sol plus meuble grâce aux plantes

Autre atout constaté des couverts : le travail du sol réalisé par les plantes. « Après le couvert précédant nos semis de betteraves, le sol s’ameublit, même lorsqu’il contient beaucoup d’argile. Un passage d’un outil à dents sur 15 cm, juste après l’apport de digestat, et un coup de herse rotative ou de herse crosquillette suffisent », affirme l’agriculteur. Quant au gain économique, Sébastien Gougelet juge difficile son estimation. Mais il y a moins de passage d’engins, moins de déchaumage desséchant les sols et surtout moins de carburant.

Conférences, visites, voyages, tours de plaine, formations : pour cet adepte des défis, se faire accompagner s’avère indispensable. Avec les groupes FDSEA 51 agriculture de conservation et Agrosol de Vivescia, il partage aussi son expérience tout en bénéficiant de celle des autres. D’ailleurs, les couverts de Sébastien Gougelet ont séduit le jury du concours "Sors-tes-couverts" qu’il a remporté en 2019 (1). Organisé par la FDSEA 51, la chambre d’agriculture de la Marne, la coopérative Vivescia et l’association Sol, agronomie et innovation, ainsi que 13 autres partenaires, ce concours visait à mettre en avant les vertus des couverts végétaux : retenue des éléments fertilisants, évitement de la compaction des sols nus, vie du sol… Des arguments qui plaident pour une gestion raisonnée à part entière de l’interculture.

(1) https://bit.ly/2PAwGPY

En chiffres

6 agriculteurs sur un assolement en commun à Auve, Marne

560 ha dont 175 de blé tendre, 100 de betterave, 80 de colza, 40 de luzerne, 40 de pomme de terre fécule, 88 d’orge de printemps, 20 de maïs ensilage, 17 d’escourgeon

2 types de couverts : 80 ha de féverole derrière colza et devant le blé semé en direct ; 170 ha avec un mélange de moutarde d’Abyssinie, vesce velue, phacélie et féverole

Économiser sur les fertilisants ou déplafonner les rendements

Difficile de calculer le gain économique apporté par les couverts. Olivier Josselin, responsable filières et références à la FDSEA Conseil 51, propose quelques estimations de coûts de semence (de 30 à 50 €) et de gains permis par la production d’éléments fertilisants. « Attention, prévient-il, nous sommes partis d’une restitution totale des éléments au sol. Or certains éléments fertilisants ne sont pas toujours disponibles pour les cultures. Il s’agit vraiment d’une approche. »
D’autre part, si l’agriculteur a pour simple objectif de maintenir les rendements de ses cultures, les couverts seront mis à contribution pour économiser sur les apports de fertilisants, avec une économie sur les charges opérationnelles aux alentours de 50 €/ha. Mais l’agriculture peut ne pas prendre en compte les apports des cultures intermédiaires et conserver sans changement sa fourniture d’engrais aux champs. Le couvert aura un effet déplafonnement du rendement en pouvant faire gagner de 2 à 3 q/ha en colza et 6 à 8 q/ha en blé environ.

Avec second tableau
Jean-Luc Forrler, ingénieur Vivescia animateur des groupes Agrosol dédié à l’agriculture de conservation

« Raisonner ses couverts comme une culture »

Selon vous, quelle doit être la finalité d’un couvert d’interculture ?

Jean-Luc Forrler - "Un couvert doit stocker du carbone dans le sol pour améliorer le taux de matière organique. Mais l’effet de stockage demande deux à trois ans de transition en système cultural simplifié, temps d’adaptation des champignons du sol transformant le carbone en humus. Un couvert captera l’azote de l’air et réorganisera cet élément du sol. L’azote relargué aide à déplafonner les rendements de la culture suivante, avec au final une meilleure durabilité du système. Mais pour réussir, le challenge est d’obtenir un rapport C/N du couvert inférieur à 20 au moment de la destruction."

Que conseillez-vous sur la base de ce rapport C/N ?

J.-L. F. - "Dans le but d’augmenter la biomasse, l’idéal est de garder les couverts trois à quatre mois. Mais il faut impérativement choisir des espèces et des variétés qui ne fleurissent et ne lignifient pas trop rapidement. Sinon le C/N dépasse la valeur de 20. Une moutarde précoce de type Rumba atteint facilement un C/N supérieur à 25, voire 30 si elle lignifie. De même, les couverts fleuris ont souvent des C/N élevés (40 pour un tournesol par exemple). Le choix des espèces du couvert et de leur variété doit être raisonné comme pour un blé, en fonction de la date de semis et du type de sol."

Y a-t-il des associations d’espèces que vous recommandez plus particulièrement ?

J.-L. F. - "Je conseille souvent un mélange simple avec une crucifère et une légumineuse auquel j’ajoute 500 grammes de phacélie pour stabiliser le mélange dans le semoir. Pour un couvert semé tôt et installé jusqu’à l’entrée de l’hiver, la moutarde d’Abyssinie est intéressante. Pour un semis en août, une moutarde blanche très tardive sera adaptée, mais surtout pas une précoce ou intermédiaire. La légumineuse sera choisie en fonction du type de sol. Ainsi pour un mélange semé fin juillet, je propose à l’hectare 1,5 kg de moutarde d’Abyssinie, avec 18 kg de vesce commune de printemps ou 10 kg de vesce velue et 500 g de phacélie. Pour un semis d’août, je remplace la moutarde d’Abyssinie par 2 kg de moutarde blanche tardive. J’évite les graminées en cultures intermédiaires, véritables viviers à pucerons. Je réserve la féverole pour des cultures associées ou entre deux blés."

Véritablement, dans quelle mesure l’azote provenant du couvert peut bénéficier à la culture qui suit ?

J.-L. F. - "Un couvert de 2 tonnes de MS au C/N inférieur à 20, avec 3 % d’azote, crée 60 unités d’azote. La moitié sera disponible pour la culture suivante, soit 30 unités. Ce résultat peut doubler, voir tripler si la biomasse générée arrive à 4 ou 6 tonnes de MS. L’effet couvert sur la quantité d’azote disponible pour la culture suivante est immédiat en système labour ou non labour. Nous constatons des gains de 5, voire 10 q/ha en orge de printemps."

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