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Les zones de non-traitement riverains (ZNT), entre discorde et dialogue

Le nouvel arrêté imposant des zones de non-traitement (ZNT) à proximité des habitations inquiète les producteurs et ne satisfait pas non plus les associations et riverains. Les chartes d’engagement devraient permettre d’ouvrir le dialogue et apaiser les tensions.

Le nouvel arrêté qui impose une zone de non-traitement quand des habitations sont proches est unanimement dénoncé par les agriculteurs.
Le nouvel arrêté qui impose une zone de non-traitement quand des habitations sont proches est unanimement dénoncé par les agriculteurs.

L’arrêté du 27 décembre 2019 instaurant des zones de non-traitement à proximité des habitations suscite depuis sa publication une véritable levée de boucliers du côté des professionnels mais aussi des associations et des riverains. La FNSEA dénonce une approche dogmatique et non pragmatique basée sur le dialogue et la science et a demandé le 9 janvier dernier au gouvernement un moratoire pour poursuivre le travail engagé sur les chartes de bon voisinage mais aussi pour clarifier certaines zones d’ombre de l’arrêté et compléter les moyens reconnus pour la réduction de la dérive. A l’opposé, la Confédération paysanne estime que le nouvel arrêté ne protège en rien les populations et demande une vraie politique publique de sortie des pesticides. L’association Générations Futures dénonce un cadre national avec des mesurettes et des distances de sécurité jugées inconséquentes. Et, dans un communiqué du 21 janvier dernier, le collectif des maires anti-pesticides a demandé au Conseil d’Etat la suspension du décret.

De nouvelles règles qui vont impacter les filières

Les nouvelles règles instaurant des zones de non-traitement à proximité des habitations auront des conséquences techniques et économiques pour les filières fruits et légumes. Le Bureau interprofessionnel du pruneau, sur la base d’une enquête réalisée auprès de 100 producteurs, estime que les trois-quarts d’entre eux sont concernés par la proximité d’une habitation. Pour la production des fruits, des départements comme le Vaucluse ou la Drôme seront très impactés souligne Luc Barbier, ancien président de la FNPF. « Certains arboriculteurs vont devoir abandonner la production sur les premiers rangs de leurs vergers, ce qui ne sera pas sans conséquence économique mais aussi technique avec un risque sanitaire sur des maladies comme le feu bactérien sur pommier et poiriers », souligne cet arboriculteur. « Ce décret a été publié dans la précipitation alors que des chartes d’engagement départementales ont déjà été signées et que d’autres ont en cours de finalisation. Notre volonté est d’aller vers des consultations et des solutions locales partagées avec une véritable volonté d’investissement de la collectivité pour développer des solutions alternatives ». Dans la filière légumes, Cyril Pogu, vice-président de Légumes de France, s’inquiète : « ce nouveau décret va à l’encontre du consommer local réclamé par les consommateurs, les producteurs de ceinture verte vont être très impactés. Certains seront obligés de reculer de plusieurs mètres leur production en fonction des produits phytosanitaires qu’ils pulvérisent et des équipements dont ils disposent pour limiter la dérive ».

Face à mise en œuvre immédiate du décret

La mise en œuvre de ce nouveau décret suscite par ailleurs de nombreuses questions des producteurs : comment appliquer les nouvelles règles immédiatement alors que des chartes sont en cours d’élaboration pour aménager les distances de sécurité, pourquoi les haies et filets brise-vent ne sont pas pris en compte comme mesure pour réduire la dérive ? Quels seront les espaces concernés à partir de la limite de propriété ? Quels les produits seront concernés par la distance incompressible de 20 mètres ? Tous les produits de biocontrôle sont-ils exemptés ? Sur ces deux derniers points, l’UIPP précise que « la distance de sécurité de 20 mètres concerne les spécialités qui ont une phrase de risque H* ainsi que les produits ou substances actives considérés comme perturbateurs endocriniens (à ce jour il n’y a pas de perturbateur endocrinien avéré). Concernant les produits de biocontrôle ou les produits utilisables en agriculture biologique, c’est l’évaluation de l’Anses qui déterminera si une distance de sécurité est nécessaire ». Par ailleurs, afin de faciliter la mise en œuvre de ces nouvelles règles, il a été demandé aux instituts techniques d’établir d’ici fin mars une liste des moyens et leviers qui pourraient être mis en œuvre rapidement pour limiter les risques liés à la dérive. « Il est probable que les solutions s’orienteront vers une combinaison de moyens alliant des pulvérisateurs adaptés avec des buses anti-dérive, l’implantation de haies ou encore la mise en œuvre de filets brise-vent », ajoute Florence Verpont, CTIFL. La liste des matériels d’application agréés pour limiter la dérive a été publiée le 23 décembre dernier. Une trentaine de matériels sont d’ores et déjà agréés pour l’arboriculture et selon Jean-Louis Sagnes, de la Chambre d’agriculture du Tarn-et-Garonne, « un quart des arboriculteurs seraient d’ores et déjà équipés ». Pour les autres, le coût de tels équipements oscille entre 15 000 et 35 000 euros.

Des chartes d’engagement pour ouvrir le dialogue

Annoncées par la loi Egalim, les chartes d’engagement départementales sont le passage obligé pour réduire les ZNT. D’ores et déjà, certains départements ou certaines filières ont pris les devants comme les producteurs de pomme du Limousin qui ont signé une charte en mars 2017 qui fait figure d’exemple. Dans l’Isère et la Drôme, les producteurs de noix ont signé le 10 décembre 2019 une charge de bon voisinage qui interdit notamment les traitements de synthèse sur les 50 premiers mètres et la pulvérisation sur la première rangée. Parallèlement, dans la Drôme, département fruitier très marqué par le mitage, une charte départementale a été signée par l’Association des maires, le Conseil départemental, la Chambre d’agriculture et l’Union départementale des associations familiales en octobre dernier mais compte tenu du nouveau décret, il faudra qu’elle soit revue pour être en conformité. « Bloquer ne sert à rien », souligne Régis Aubenas, arboriculteur dans la Drôme sur 45 hectares avec pas moins de 23 habitations à proximité de ses parcelles, « avec les chartes d’engagement, nous avons pris le parti de discuter afin de trouver un consensus local ». Le dialogue est ouvert mais les discussions s’annoncent tendues sur un sujet où les positions des parties prenantes sont souvent très éloignées…

*Phrases de risques H300, H310, H330, H331, H334, H340, H350, H360, H350i, H360F, H360FD, H360Fd, H360Df, H370, H372

En pratique

L’arrêté instaurant des distances de sécurité entre les zones de traitements et les habitations est applicable depuis le 1er janvier 2020 pour l’arboriculture et à compter du 1er juillet 2020 pour les parcelles maraîchères déjà emblavées à la date de publication du texte (29 décembre 2019).
Pour les substances les plus préoccupantes assorties de phrases de risque, la distance de sécurité à respecter est de 20 mètres non réductibles.
Pour les autres produits, en dehors des produits de biocontrôle, les substances de base et les substances à faible risque, la distance de sécurité à respecter est de 10 mètres pour les cultures hautes (vergers) et de 5 mètres pour les cultures basses (cultures maraîchères).
Sous réserve d’avoir recours à des matériels de pulvérisation performants sur le plan environnemental, les distances minimales de sécurité peuvent être ramenées, dans le cadre de chartes d’engagement jusqu’à 5 mètres pour l’arboriculture et 3 mètres pour les autres cultures.
Aucune indemnisation n’est prévue pour compenser les pertes de surface mais un budget de 25 millions d’euros est annoncé pour l’investissement de matériels d’épandage performants.

Paroles de producteurs

Patrice Blanchet (Corrèze) « Du bon sens »

 

 
« J’ai toujours eu de bonnes relations avec les riverains de mes vergers. Bien avant la signature de la charte « Pomme Limousin », j’avais mis en œuvre des actions de bon voisinage (et de bon sens) en plantant des haies par exemple (à ce jour j’ai 600 mètres de haies) ou en avertissant les riverains lorsque je traitais mes vergers. Signer la charte a conforté mes pratiques : je n’interviens plus le week-end sauf cas de force majeure, les traitements sont réalisés tôt le matin et je privilégie les produits de biocontrôle ou les produits utilisables en bio. Et, pour mes nouvelles plantations, j’intègre mon voisinage en plantant des haies ou en reculant les rangs ».

 

Jean-Claude Guehennec (Yvelines) « La remise en cause du maraîchage à proximité des villes »

 

 
« Mon exploitation maraîchère se situe dans une commune des Yvelines comptant 6 200 habitants et dans un bassin de population de plus de 500 000 habitants. Comme de nombreux producteurs maraîchers voisins qui sont à proximité d’habitations, j’observe avec une grande vigilance la mise en œuvre de ce nouveau décret. Le maraîchage de proximité est un atout pour les consommateurs mais il faut aussi que les riverains d’exploitations maraîchères soient compréhensifs vis-à-vis de nos pratiques qui ont par ailleurs beaucoup évolué ces dernières années. Je crains qu’un tel décret ne signe la fin du maraîchage à proximité des villes et ne conduise à l’importation de légumes qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes réglementaires ».

 

Yannick Fraissinet (Tarn-et-Garonne) « Inquiétudes pour mon verger »

 

 
« Trois de mes parcelles sont à proximité d’habitations et sont donc concernées par le nouvel arrêté ZNT riverains. A l’origine, ces maisons étaient occupées par des exploitants agricoles et au fil des années, elles ont été achetées par des citadins qui voulaient vivre à la campagne. Sur une de ces parcelles qui jouxte 2 riverains, j’ai investi 45 000 euros il y a 3 ans pour planter un nouveau verger de pommiers, je n’ai pas encore récolté et peut-être vais-je devoir arracher un rang ou deux pour me mettre en conformité. Sur une autre parcelle plus ancienne, j’envisage d’arracher le verger. Je suis à la fois dépité et inquiet car j’essaie de faire évoluer mes pratiques et j’entretiens autant que possible de bonnes relations avec mon voisinage, je les informe de mes traitements, je traite très tôt le matin ».

 

La charte Pomme Limousin en exemple

En signant en mars 2017 une charte d’engagement, les pomiculteurs de l’AOP Pomme du Limousin ont pris de l’avance et apaisé le climat avec les riverains.

 

 
« Suite à des tensions locales récurrentes entre arboriculteurs et riverains, nous avons réuni en 2015 les producteurs, les associations de riverains, les élus, des médecins afin de rédiger une charte de bon voisinage qui a été signée le 20 mars 2017 », explique Laurent Rougerie, producteur et président de l’AOP Pomme Limousin qui s’étend sur 2 000 hectares avec 200 producteurs. Près de trois ans après la signature de l’accord, 90 % des producteurs de l’appellation ont signé la charte et la confiance a été restaurée avec les riverains.

 

Des engagements concrets et un dialogue constructif

En signant individuellement la charte, les producteurs se sont engagés à mettre en œuvre un certain nombre de pratiques : pas de traitement le dimanche et jours fériés sauf cas de force majeure, aménagement des vergers avec installation de dispositifs antidérives (haies et filets brise-vent en attendant que les haies soient efficaces) lorsque le verger est situé à moins de 50 mètres d’une propriété bâtie notamment. De leur côté, les associations de défense des riverains et de l’environnement ont également pris des engagements : construire un dialogue constructif, promouvoir la charte et condamner les incivilités. Côté élus, la volonté est d’éviter en particulier toute aggravation du mitage de l’espace rural et de maîtriser les extensions urbaines. « Grâce à cette charte, le climat est apaisé », souligne Laurent Rougerie, « il n’y a plus de communication négative et notre filière est même devenue un exemple. Par ailleurs, l’attitude des producteurs a évolué : ils plantent des haies en bordure de riverains mais aussi en bordure de route (plus de 37 km de haies plantées sur l’appellation à la fin de l’hiver) ; grâce à de nouveaux équipements, ils traitent un rang sur deux, 30 % des produits appliqués sont des produits de biocontrôle, 20 % de la surface est en bio et 33 manches à air vont être installés ». Fabrice Micouraud, porte-parole de l’association Allassac ONGF reconnaît que la charte a été une opportunité pour ouvrir le dialogue et il espère « qu’elle sera évolutive, en particulier sur les distances de sécurité par rapport aux habitations » à l’instar de la distance de sécurité de 50 mètres qui a été adoptée dans la charte des nuciculteurs de la Drôme et de l’Isère.

Bientôt une appli pour informer les riverains

Pour que le dialogue et l’information soient toujours au cœur du dispositif, les signataires de la charte Pomme Limousin vont développer dès le printemps 2020, avec l’appui de la Région Nouvelle-Aquitaine, une application mobile qui permettra aux riverains d’être informés en temps réel des traitements en cours grâce aux enregistrements réalisés par les producteurs.

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