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Tomate : Un nouvel outil anti Tuta

La confusion sexuelle fait partie depuis l’été dernier des nouvelles méthodes de protection des tomates sous abri contre Tuta absoluta. Deux essais expérimentaux ont validé son efficacité au sein d’une stratégie globale de protection.

Les diffuseurs sont mis en place idéalement à la plantation ou quelques jours avant (essai du Civam Bio 66).
© Civam Bio 66

Tuta absoluta poursuit sa conquête du territoire. Arrivée en Europe par l’Espagne en 2006, elle est signalée depuis 2008 en Corse et en Provence. Ont suivi le Roussillon, la région Rhône-Alpes, et plus récemment l’Aquitaine, les Pays-de-la-Loire, la Bretagne, Midi-Pyrénées… Chaque année, sa présence se fait plus marquée. Depuis quelques mois, la boîte à outils contre Tuta absoluta s’est enrichie, avec l’homologation du diffuseur de phéromones Isonet T de CBC Biogard. La confusion sexuelle s’est ainsi ajoutée aux autres méthodes déjà pratiquées, qui nécessitent d’être combinées afin de protéger efficacement les cultures de tomates : prophylaxie, prédateurs, parasitoïdes, filets de protection, pièges, traitements phytosanitaires… Le mode d’action d’Isonet T est la diffusion régulière d’une phéromone synthétique, analogue à la phéromone sexuelle femelle de Tuta absoluta (créée par l’entreprise Shin-Etsu), dans l’objectif de perturber le système olfactif des mâles. En saturant l’abri avec la phéromone sexuelle, la rencontre entre mâles et femelles est rendue plus difficile, et l’accouplement est donc très réduit.

Des piégeages de détection dès la plantation

« La confusion sexuelle n’est pas une alternative au chimique, prévient Coline Gauthier, de Biogard. C’est une méthode préventive qui ne tue rien, qui réduit les populations à moyen terme. En fonction de l’intensité de la pression des ravageurs, il peut être nécessaire d’intégrer l’usage d’insecticides à la confusion sexuelle ». Isonet T a été homologué en juillet 2018 pour une application annuelle en tomates sous abris. Une demande a été adressée à l’Anses, fin 2018, pour une nouvelle homologation permettant trois applications par an. Le diffuseur a fait l’objet d’essais par l’Aprel (Bouches du Rhône) et le Civam Bio 66 (Pyrénées-Orientales). « L’essai de l’Aprel a été réalisé sous tunnel chez un producteur en agriculture biologique, indique Anthony Ginez de l’Aprel, lors de la rencontre Ecophyto tomate en septembre à Med’agri. La confusion s’est inscrite dans une stratégie globale de protection comportant une introduction de Macrolophus en pépinière et des lâchers de trichogrammes chaque semaine à partir de l’observation des premières galeries sur feuilles, à une densité de 100 diffuseurs/ha ». Les tunnels témoins ont reçu la même protection, hors confusion sexuelle. Les diffuseurs Isonet T ont été installés le jour de la plantation et renouvelés au bout de 110 jours. Des piégeages de détection de Tuta ont été effectués dès la plantation. « Dans le témoin, on observe une augmentation rapide de la pression Tuta. Avec la confusion sexuelle, les piégeages sont quasi-nuls jusqu’en juillet. Les captures sont réduites de 80 % avec la confusion », note Anthony Ginez. L’apparition des dégâts de Tuta sur feuilles et fruits est réduite et décalée dans le temps dans les tunnels avec confusion. La réduction des dégâts est d’environ 65 % sur feuilles et de 70 % sur fruits. Sur fruits, les premiers dégâts apparaissent mi-juin dans le témoin et un mois plus tard avec la confusion. « La confusion sexuelle réduit efficacement les dégâts de Tuta absoluta, en combinaison avec d’autres méthodes de protection comme les filets, les auxiliaires et les traitements, résume l’expérimentateur de l’Aprel. Il faut bien observer les plantes et pièges de détection pour ajuster la protection. Aussi, le renouvellement des diffuseurs est nécessaire pour une efficacité durant toute la culture ».

Des attaques plus nombreuses dans le tunnel témoin

Dans les Pyrénées-Orientales, le Civam Bio a réalisé l’essai sur sa station d’expérimentation Biophyto au lycée agricole de Théza. En pépinière et lors de la plantation, les folioles des plants ont été inspectées, celles présentant des mines de Tuta ont été arrachées. Dans le tunnel confusé, 72 diffuseurs ont été installés le jour de la plantation (15 mars 2018), à la densité de 1 800 diffuseurs/ha. Le même jour, un piège delta a été installé dans chacun des deux tunnels (témoin et confusé) ainsi qu’à l’extérieur. Six jours après la plantation, 1 500 Macrolophus ont été lâchés dans chaque tunnel (3,75/m²). Enfin, deux semaines après plantation, des filets anti-insectes ont été posés sur l’extérieur des ouvrants. Des traitements de Bacillus thuringiensis ont été effectués tous les 15 jours environ entre la plantation le 15 mars et la fin juillet. « A partir du 20 mai, on a commencé à observer des différences entre le tunnel témoin et tunnel en confusion », indique Célia Dayraud, du Civam Bio 66, lors d’une journée maraîchage biologique en novembre. Au 20 juillet, près de 60 % des plants étaient touchés dans le tunnel témoin, contre moins de 10 % dans le tunnel confusé. De la plantation à fin mai, il y a eu peu de différences dans le nombre de feuilles affectées entre les deux tunnels. Mais à partir de début juin, les attaques étaient plus nombreuses dans le tunnel témoin. Un renouvellement des diffuseurs a été réalisé le 12 juin. Même tendance sur fruits, où les premiers dégâts ont été observés à partir du 12 juin dans le tunnel témoin. Pendant un mois, la part de fruits infestés est restée inférieure à 1 %, puis elle a augmenté à partir de mi-juillet, tout en restant peu préoccupante (moins de 5 % de dégâts). En confusion, la part de fruits infestés est restée proche de zéro. « La pression de Tuta était assez faible cette année-là, avec une arrivée tardive dans les tunnels, précise Célia Dayraud. L’efficacité de cette méthode devra être confirmée en 2019 avec des suivis directement chez les producteurs ».

Trois méthodes de protection contre Tuta

1 La prophylaxie

Les mesures prophylactiques sont à la base des stratégies de protection contre Tuta. Elles consistent à éliminer les solanacées sauvages, comme la morelle noire dans la serre et aux alentours, s’assurer de l’état sanitaire des plants avant plantation, éliminer manuellement les premières folioles minées, détruire les résidus de culture et les fruits infestés… L’observation et le suivi de Tuta et des premiers dégâts sont essentiels afin de réagir le plus tôt possible en cas d’attaque. L’utilisation de pièges à phéromones pour la détection est un bon moyen de surveiller l’évolution des populations.

2 Les auxiliaires

L’introduction de punaises prédatrices Macrolophus pigmaeus, utilisées aussi contre les aleurodes, permet de réduire le nombre d’œufs et de larves de Tuta. L’introduction doit être réalisée le plus tôt possible car l’installation de Macrolophus est assez lente (trois semaines sont nécessaires avant de voir les premières larves). Les punaises Nesidiocoris tenuis et Dicyphus sp, indigènes dans le Sud de la France, peuvent se nourrir des larves et des œufs de Tuta. . Il faut néanmoins être vigilant face à Nesidiocoris qui peut rapidement devenir nuisible et provoquer de graves dégâts sur les plantes. Les trichogrammes Trichogramma achae, parasitoïdes des œufs de Tuta, sont également utilisés.

3 Les filets

Les filets anti-insectes peuvent être mis en place sur les ouvrants et aux entrées des abris. « Les filets à maille large (2 x 8 mm), mis en place pour limiter la sortie des bourdons introduits dans la culture, sont de plus en plus utilisés sur les tunnels plastiques, indique le document « Stratégies de protection des cultures de tomates sous abri contre T. absoluta », réalisé dans le cadre du projet TutaPI. Ils réduisent les entrées de ravageurs tels que les punaises Nezara viridula ou les noctuelles et peuvent contribuer à limiter les entrées de Tuta, sans modifier trop fortement le climat de l’abri. »

Les conditions d’emploi

Les diffuseurs Isonet T sont constitués de deux tubes parallèles en polymères. L’un contient la phéromone, qui se diffuse par capillarité, et l’autre contient un fil d’aluminium qui permet le positionnement du diffuseur par enroulement autour d’un support. Ils doivent être mis en place le jour même de la plantation des tomates, ou quelques jours avant. La densité préconisée par Biogard est de 1 000 diffuseurs par hectare. Le maillage doit être homogène, avec un doublement du nombre de diffuseurs sur les bordures, en début et fin de rang et sur les entrées. Pour des cultures au niveau du sol, les diffuseurs doivent être disposés à une hauteur comprise entre 80 et 100 cm du sol. Pour des cultures hors sol sur gouttières suspendues, la hauteur de mise en place est fonction de la hauteur de la gouttière. Par exemple, si les gouttières sont à 80-90 cm du sol, placer les diffuseurs à 30 cm au moins au-dessus de la base des plantes. La fiche technique « l’info du maraîcher », diffusée par la coopérative Terres du Sud, met en garde sur le positionnement des diffuseurs par rapport aux tuyaux de chauffage. « La chaleur accélère la diffusion de la phéromone et réduit donc la durée d’efficacité, recommande la fiche. Placer les diffuseurs à au moins 50 cm d’eux. » La persistance d’action d’un diffuseur est d’environ 120 jours à une température moyenne de 25°C et de 150 jours à une température moyenne de 18 °C.

Avis de producteur : Frédéric Marchesin, producteur de tomates pleine terre dans le Lot-et-Garonne

« Une économie de 4 à 5 traitements phytosanitaires »

«La confusion sexuelle contre Tuta a été testée pendant l’été 2018 dans toute notre exploitation de 1,2 ha de tomate de pleine terre conventionnelle. Le test a été réalisé dans le cadre du réseau Dephy ferme légumes sous abri, animé par la Chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne. Nous avons positionné les diffuseurs en juillet sur les ficelles de culture, à mi-hauteur. Sur chacun des deux rangs de bordure, 20 diffuseurs ont été placés, ainsi que deux diffuseurs aux extrémités pour cinq rangs. A l’intérieur de la culture, 25 diffuseurs ont été répartis. La densité des diffuseurs était donc de 1 600 diffuseurs/ha. Sur l’exploitation, la pression Tuta est d’habitude faible à modérée à partir de fin juillet début août, puis plus forte sur fin août - début septembre. La confusion sexuelle dans notre stratégie de lutte contre Tuta a montré une réelle efficacité. Il y a eu beaucoup moins de dégâts sur fruits en 2018 (moins de 5 % de pertes) qu’en 2017 (10 % de perte). Et cela a aidé à réduire l’IFT, en économisant 4 à 5 traitements phytosanitaires par rapport à 2017. Seul un traitement a été réalisé fin août, en fin de culture, en raison de quelques fruits marqués.»

Tuta et ses dégâts

Tuta absoluta présente un cycle très rapide, de 40 jours environ (à une température moyenne de 19-20 °C sur 24 h), mais cette durée peut varier en fonction de la température. Elle peut être d'un mois à une température moyenne de 25 °C sur 24 h, et même de trois semaines à 30 °C. A 15 °C, elle est supérieure à deux mois. Le nombre de générations est compris entre 10 et 12 par an. Tuta absoluta passe par quatre stades de développement : œuf, larve, chrysalide et adulte. Les chenilles sont de couleur rose à verdâtre, avec la tête foncée pouvant atteindre 7,5 mm. On peut les observer facilement dans les galeries. Les adultes sont des papillons nocturnes gris foncé de 5 mm. Ils sont cachés dans le feuillage durant la journée et volent le matin ou le soir plutôt au bas des plantes en vol circulaire. Tuta attaque principalement la tomate mais aussi plusieurs autres solanacées. Les symptômes sur feuilles se caractérisent par des galeries de forme large et arrondie entre les épidermes de la feuille. Ils sont différents des dégâts de mouches mineuses qui sont plutôt filiformes. Les dégâts sur fruits se caractérisent par des perforations de la larve dans le fruit (pénétration souvent sous le calice).

Fiche technique Civam Bio 66 – Gestion de Tuta absoluta

Pour aller plus loin

- L’info du maraîcher novembre 2018 (Terres du Sud)
- Fiche technique – Gestion de Tuta absoluta, la teigne de la tomate sous abris (Civam Bio 66)
- Serres & Plein champ mars 2019 (Chambre d’agriculture 66)
- Stratégies de protection des cultures de tomates sous abri contre Tuta absoluta (projet Tuta PI)

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