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Quand la production de fruits et légumes facilite l’insertion

La production de fruits mais surtout de légumes peut aussi être un pilier de l’économie sociale et solidaire, en offrant un support d’activité aux multiples atouts, facilitant l’insertion de personnes depuis longtemps éloignées de l’emploi ou handicapées.

« Nous avons rapidement compris que le maraîchage permettait de reconstruire des personnes en situation de handicap psychiatrique, de leur redonner confiance pour bâtir un projet de vie et professionnel. Les mains dans la terre, ça sert à ça. C’est même une vraie thérapie, complémentaire aux autres soins », explique Benoît Guillard, directeur du pôle travail à l’Adapei (Association départementale des amis et parents de personnes handicapées) des Hautes-Pyrénées et qui gère l’Esat (Etablissement et service d’aide par le travail) Handibio 65. Cette structure qui est aussi une SCEA, accueille au quotidien une trentaine de travailleurs handicapés qui mettent en œuvre le concept « de la graine à l’assiette », en produisant plants et légumes vendus en brut ou transformés sous la marque Handibio 65. « Nous avons créé celle-ci afin de sortir de l’ombre et d’être identifiés par les consommateurs comme un acteur de l’économie locale et solidaire », ajoute Benoît Guillard. « Vous avez besoin de légumes, ils ont besoin de travail. Ensemble, cultivons la solidarité » : tel est le leitmotiv du Réseau Cocagne, un acteur de l’insertion, spécialisé dans la filière alimentaire et reconnu d’utilité publique. Celui-ci rassemble une centaine d’Ateliers et chantiers d’insertion (ACI), encore appelés Jardins de Cocagne, qui salarient des personnes éloignées de l’emploi pour une durée de deux ans maximum, tout en leur proposant un accompagnement socioprofessionnel pour les aider à rebondir. Les légumes produits sont commercialisés sous forme de paniers à des « consomm’acteurs ». « Le modèle des Jardins de Cocagne est à dominante maraîchère. Le maraîchage biologique est en effet utilisé en tant que support pédagogique et de remobilisation afin que les jardiniers en parcours d’insertion acquièrent ou révèlent des compétences qui pourront être transférables à d’autres activités que le maraîchage. Mais ce dernier, par la reconnexion à la terre qu’il offre, a de réels effets thérapeutiques. Les personnes renouent ainsi avec des choses très concrètes comme le cycle des saisons, celui des plantes. Et lorsque vient le temps de la récolte, ils ont accès directement aux fruits de leur travail. Ce qui est très bénéfique », indique Angélique Piteau, chargée de communication et de plaidoyer au Réseau Cocagne.

« C’est physique. Parfois, il faut transpirer »

Le but des ACI maraîchage n’est effectivement pas de transformer leurs salariés en futurs maraîchers. Même si cela peut déclencher parfois des vocations. « L’objectif est de les rendre les plus polyvalents possible », expose Fanny Heyndrickx, chargée de développement à l’ACI La Ferme, situé à Wavrin (Nord). Et par rapport à d’autres activités comme les espaces verts, le maraîchage offre cette diversité d’activités. « La production de légumes est aussi une activité exigeante, même si elle ne demande pas de grandes qualifications. Ce qui en fait néanmoins un bon support d’insertion. Or, cette notion d’exigence a souvent été oubliée par ces personnes qui ont depuis longtemps quitté le champ économique », souligne Erik Polrot, directeur des Jardins de la Croisière, créés en 1995 par la Chambre d’agriculture de l’Yonne et la FDSEA 89 et membre du Réseau Cocagne. « C’est physique et parfois, il faut transpirer. L'été, par exemple, le travail commence à six heures. Cela demande de prendre soin de soi, d’être en bonne santé physiquement et psychologiquement. Autant d’éléments qui rentrent dans la logique du parcours d’insertion. »

Sensibiliser à une alimentation plus saine

L’ASPI (Association seynoise pour l’insertion), basée dans le Var, a mis en place, il y a trois ans, à côté des ateliers nettoyage et espaces verts, un chantier d’insertion par le maraîchage à destination des handicapés mentaux ou de personnes en insertion professionnelle. « Au vu des résultats obtenus, nous allons développer cette activité. Nombre d’entre eux, arrivés sans conviction, se passionnent soudain au contact de la terre. Et puis, alors que la plupart ne mangeaient pas auparavant de légumes, et encore moins de légumes bio, ils font désormais attention à ce qu’ils consomment. Il s’opère une vraie prise de conscience sur la façon de se nourrir et sur ce que la terre peut produire », constate Michel Vaccaro, directeur de l’ASPI. La plupart des chantiers d’insertion par le maraîchage sont en bio. « Ce qui permet effectivement de sensibiliser nos salariés à une alimentation plus saine », ajoute Bérengère Dubois, directrice de l’association Solembio, située dans le Loiret. « Mais cela permet aussi de les former au respect de l’environnement. Nous leur expliquons, par exemple, l’intérêt des bandes fleuries autour des parcelles, nous leur parlons également de la nécessité de protéger la biodiversité. Cela peut même avoir un effet révélateur quant à leur appréhension de la transition écologique », souligne encore Angélique Piteau.

Pas de concurrence déloyale

Toutes les structures de l’insertion par l’activité économique (ACI, entreprise d’insertion, association intermédiaire, entreprise de travail temporaire d’insertion) bénéficient d’aides de l’Etat. Et à ce titre, elles souffrent parfois d’un a priori négatif selon lequel elles pourraient générer une concurrence déloyale vis-à-vis des maraîchers en place. « Il n’en est rien », affirme Angélique Piteau. « Dans la charte d’engagement, les Jardins de Cocagne ont l’obligation de respecter les prix du marché. D’accord pour œuvrer au retour à l’emploi de personnes en difficulté mais pas au prix de la déstructuration d’un tissu économique. Notre modèle attire de plus en plus de consommateurs et parfois, ils doivent s’inscrire sur des listes d’attente. Ce qui nous amène à contractualiser avec des producteurs locaux pour intégrer leurs produits dans nos paniers ». Une pratique que confirme Amélie Totée, directrice adjointe des Potagers de Marcoussis basés dans l’Essonne. « Nous jouons effectivement le jeu avec les maraîchers qui n’ont pas la même offre que nous. Nous nous inscrivons complètement dans notre territoire. Souvent, également, nous ne touchons pas la même clientèle. Nos consommateurs se montrant particulièrement sensibles à l’objet social que nous poursuivons ».

Des salariés en insertion témoignent

Didier Loustaunau (Handibio 65)

© DR
« Cela fait sept ans et demi que je travaille à l’Esat et c’est le hasard qui m’y a conduit. Je m’y plais et j’ai le sentiment d’avoir trouvé ma voie. Le travail de la terre est bon pour le moral. Le fait de travailler à l’extérieur procure un sentiment de liberté et du bien-être. Et grâce à tout cela, j’ai retrouvé un équilibre psychologique. Il faut dire aussi que l’équipe encadrante est bienveillante. Et puis j’apprends plein de choses. J’ai même passé un diplôme grâce à la VAE (Validation des acquis de l’expérience). Aujourd’hui, j’ai 52 ans et j’espère bien y finir ma carrière. »

Christophe Fouilloux (Les Jardins de la Croisière)

© DR
« Je suis cuisinier de métier mais je n’avais plus du tout envie de faire de la cuisine. Il m’a été proposé d’entrer aux Jardins de la Croisière. Ce que j’ai accepté car j’aime bien le maraîchage et puis surtout s’il est bio. C'était très important pour moi. Et même essentiel. Depuis le 1er mars, date de mon entrée, j’ai pratiqué beaucoup le maraîchage mais j’ai aussi tenu la boutique et vendu au marché. Cette diversité des activités me convient. Je n’ai plus qu’à attendre deux ans avant de prendre ma retraite et si on veut bien me garder jusque-là, je resterai. »

Joséphine Mouton (ACI La Ferme)

© DR
« J’ai toujours aimé le maraîchage et je voulais en faire mon métier. Mais j’ai dû élever mes enfants. Cela faisait dix ans que je n’avais pas travaillé et j’avais peur de me lancer dans la vie active. Ici, on est tous un peu fragilisé mais humainement, c’est incroyable. C’est familial. Cela fait du bien et m’a conforté dans ma volonté de devenir maraîchère. J’adore mon boulot. La chose la plus difficile à se dire est que cela ne pourra pas durer plus de deux ans. Après, il faudra rebondir. Alors pourquoi pas louer des terres et s’installer en maraîchage ? Avec un collègue, on y songe très fort. »

En pratique

Le Réseau Cocagne, c’est :

- 102 fermes biologiques

- 1 million de paniers de légumes vendus

- 100 000 consom’acteurs solidaires

- 1 400 points de dépôts partout en France

- 16,3 millions d’euros de chiffre d’affaires soit 6,6 % du chiffre d’affaires de la vente directe de légumes bio en France

- 4 820 salariés en parcours d’insertion

Solène Espitalié : une chef d’entreprise pas comme les autres

Solène Espitallié et ses salariés. © DR
L’aventure de Solène Espitalié dans le domaine de l’économie sociale et solidaire a commencé, il y a douze ans, avec la création de Solid’Agri, pour permettre l’inclusion socioprofessionnelle durable de personnes handicapées mentales en milieu ordinaire. Solid’Agri réalise ainsi des chantiers agricoles en prestation de service. « Je considère ces personnes en situation de handicap comme mes collaborateurs. L’objectif est qu’ils construisent au sein de la structure leur projet professionnel et qu’ils montent en compétences. » Pour consolider un modèle financier qui reste fragile car soumis aux aléas climatiques, Solène Espitalié a eu l’idée de créer, en 2017, les Jardins de Solène, qui assurent la transformation de fruits et légumes voués au rebut car déclassés qu’elle achète auprès des agriculteurs locaux... une façon pour elle de lutter contre le gaspillage. Une fois emballés sous vide, ceux-ci sont livrés auprès de restaurants collectifs. Et depuis ce mois d’août, est testé le marché des particuliers. Sur les 9 salariés que compte l’entreprise, 7 sont en situation de handicap, l’objectif étant d’embaucher pour arriver à 15 personnes. « Il est important pour moi de valoriser professionnellement mes salariés. Je leur propose de la formation continue pour que les choses ne soient pas ennuyeuses. Mes deux chefs d’équipe qui travaillent de façon autonome ont d’ailleurs le niveau technique d’agent de maîtrise. »

L’insertion : une autre voie de diversification

Le réseau Astra cherche à promouvoir et à professionnaliser l’accueil de personnes en difficulté chez des agriculteurs pour offrir à ces dernières un autre cadre de vie et de travail. Une activité qui ouvre la voie à une autre forme de diversification.

Astra (Agriculture sociale et thérapeutique en région Auvergne-Rhône-Alpes) est une association créée en 2011, par une poignée de bénévoles voulant œuvrer au développement de fermes d’accueil. « L’objectif est donc double : social car les agriculteurs accueillent sur leur exploitation des personnes en difficulté ou en situation de handicap, pas seulement pour les mettre au travail mais aussi pour leur permettre de se poser, de se pencher sur leurs problèmes, et thérapeutique car l’ambiance proposée sur la ferme va leur donner une chance de modifier leur comportement et de pouvoir s’insérer à nouveau en milieu ordinaire. Tout ne passe pas par le médicament », explique Jean-Paul Barithel, président d’Astra. L’association qui travaille en partenariat avec le Civam et Accueil paysan cherche à professionnaliser cette activité. Ce qui commence par la définition de tarifs d’accueil. « Actuellement, ça bidouille et souvent les négociations de tarif se font de gré à gré quand l’accueil de la personne n’est pas tout simplement bénévole. Or, c’est une activité qui nécessite de consacrer du temps à la personne accueillie et qui doit donc être rémunérée. »

Une diversification à zéro euro d’investissement

« Cela pourrait devenir un nouvel outil de diversification, poursuit Jean-Paul Barithel. En effet, pratiquer cette activité permettrait à l’agriculteur de disposer d’un revenu complémentaire dans des secteurs où souvent, l’agriculture s’apparente à un système de crève-la-faim. Je pense notamment à l’agriculture de moyenne montagne. D’autant plus qu’il n’y a rien à créer, aucun investissement à prévoir. Il suffit d’être ouvert et prêt à porter de l’attention à l’autre. » Les durées d’accueil peuvent être très variables. Cela peut aller de la visite d’une exploitation de quelques heures à des séjours de plusieurs jours jusqu’à l’accueil en apprentissage d’une personne en situation de handicap. « Nous essayons de privilégier les petites et moyennes exploitations car elles sont en mesure d’offrir une diversité d’activités. Pour les personnes accueillies, c’est une source de bienfaits. Le but étant de les valoriser, de les mettre en position de réussite pour qu’ils aient envie de continuer ici ou ailleurs. Même s’il faut bien avouer que cela ne marche pas à tous les coups. » L’association organise des journées d’échange entre agriculteurs qui pratiquent déjà l’accueil à la ferme et ceux qui pourraient être tentés. Elle se charge également de mettre en relation les demandes des prescripteurs comme les Maisons départementales du handicap, la protection judiciaire de la jeunesse ou encore les établissements ou services médico-sociaux avec les offres d’accueil et d’hébergement.

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