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Pommier : l'Apple proliferation, maladie ponctuelle ou émergente ?

En verger de pommier, les chercheurs du site Inra de Gotheron (Drôme) s’inquiètent du développement d’une maladie à phytoplasme sur pommier : l’Apple proliferation.

L’Apple proliferation (AP), causée par le phytoplasme ‘Candidatus Phytoplasma mali’ sur les pommiers ; le Pear Decline (PD), causée par ‘Candidatus Phytoplasma pyri’ sur les poiriers ; et l’European stone fruit yellow (ESFY ou ECA), causée par ‘Candidatus Phytoplasma prunorum’ sur Prunus, sont des maladies présentes en Europe où elles ont parfois un très fort impact économique. « On peut facilement confondre les trois maladies et leur pathogène », note Nicolas Sauvion, ingénieur de recherche l’Inra de Montpellier. « Mais ces phytoplasmoses sont en fait inféodées à une espèce végétale – pomme, poire, prunus – et, a priori, les trois n’interagissent pas entre elles. » Ces phytoplasmes des Rosacées « sont des bactéries sans paroi […] que l’on a mis longtemps à caractériser ». Elles sont localisées dans la sève élaborée (ou phloémienne) des plantes. Or, ce compartiment cellulaire est justement la cible des insectes piqueurs-suceurs de sève tels que les psylles, car ils y trouvent les nutriments nécessaires à leur alimentation. C’est pendant qu’ils se nourrissent que certaines espèces de psylles peuvent acquérir ou recracher (inoculer) des phytoplasmes. L’acquisition ou l’inoculation peut s’opérer en quelques heures, « ce qui complique les choses en termes de lutte, car il faut que les barrières physiques ou chimiques agissent en très peu de temps pour empêcher la transmission ». Sur pomme, deux psylles peuvent transmettre l’Apple proliferation : Cacopsylla picta et Cacopsylla melanoreura (voir encadré).

Un symptôme clair : les balais de sorcière

Le phytoplasme ‘Ca. phytoplasma mali’, responsable de l’Apple proliferation, est présent dans le phloème. Il peut être conservé dans les racines pendant l’hiver et se répartit de façon hétérogène dans l’arbre. « Des pertes pouvant atteindre 80 % de la production sont parfois décrites dans la littérature ». La maladie a été repérée dans des parcelles de Jubilé, sur porte-greffe M9, sur le domaine Inra de Gotheron. « Nous avons commencé à l’étudier en 10e feuille. Les résultats PCR ont montré que les arbres étaient infectés à 30 %, avec des origines de contamination inconnues », explique Julie Pradal-Meizel, en charge de l’essai (voir encadré). Une porte d’entrée de la maladie est les racines. « Elle peut se transmettre d’arbre en arbre via des ponts racinaires » mais la contamination se fait essentiellement par les insectes. Heureusement, la taille n’est pas un facteur de contamination, puisque les bactéries sans paroi meurent très vite au contact de l’air. « Nous n’aurons donc pas une contamination par la taille, ou toute autre transmission mécanique. Par contre, la transmission par greffage est possible », précise Nicolas Sauvion. Plusieurs symptômes semblent associés à l’Apple proliferation, en particulier les balais de sorcière, qui peuvent apparaître très tôt en saison, dès juillet, « comme si le phytoplasme désinhibait tous les bourgeons axiaux ». Les analyses PCR montrent que la présence de balais de sorcière est toujours associée à l’Apple proliferation. Autre signe d’alerte : les grandes stipules. « Nous avons fait les observations sur Jubilé, mais ce symptôme semble être plus délicat à interpréter car, par exemple, sur la variété Pitchoun, plus vigoureuse, identifier des grandes stipules sur arbres atteints est plus compliqué. Mais on retrouve bien les balais de sorcière. » Atteint par l’Apple proliferation, l’arbre s’en ressent au niveau de la qualité des fruits : répartition hétérogène des fruits sur l’arbre, petits calibres, fruits plus verts et une production brute plus faible. « Mais nous n’avons pas vu de différences sur le taux de sucre ou la fermeté », note Julie Pradal-Meizel. « Pour compliquer le tout, un arbre porteur du phytoplasme peut exprimer des symptômes une année, et pas la suivante. »

Une maladie rare présente dans plusieurs bassins

L’Apple proliferation a été formellement identifiée à Gotheron, mais à vrai dire on ne connaît pas sa prévalence dans les bassins de production de pommes en France. « Est-elle ponctuelle ou générale ? On n’a pas encore la réponse… », reconnaît Laurent Brun, ingénieur de recherche à l’Inra de Gotheron. Mais des informations recueillies dans d’autres bassins montrent qu’elle serait bel et bien présente ailleurs : en Savoie, des symptômes de balais de sorcières sont vus assez clairement, mais la maladie ne s’extériorise pas forcément tous les ans. De même, la maladie a été observée dans le secteur pyrénéen, « avec des dégâts parfois importants, quelles que soient les variétés et la conduite, en bio ou conventionnel. On observe notamment des débourrements précoces en été ». Des travaux suivis par l’école d’ingénieurs de Purpan semblent néanmoins l’associer à un environnement de prairie. En 2009, une enquête menée par le CTIFL ne faisait pas ressortir l’Apple proliferation comme étant réellement problématique. « Mais je pense que c’est une maladie sous-estimée car méconnue », conclut Nicolas Sauvion qui appelle à une vigilance renforcée sur cette maladie dans tous les bassins de production de pommes français, surtout dans le contexte actuel de réduction de l’utilisation des insecticides.

Deux vecteurs difficiles à distinguer

Les deux espèces ne peuvent se différencier de façon certaine que par analyse moléculaire. Les larves des deux espèces sont capables d’acquérir le phytoplasme, et les jeunes adultes peuvent le transmettre aux fruitiers, car ils restent longtemps dans le verger avant de migrer vers leurs zones refuges, contrairement aux psylles vecteurs du phytoplasme sur Prunus. La maladie peut se transmettre ainsi d’arbre en arbre.

Cacopsylla melanoneura est l’espèce majoritaire en France et le vecteur essentiel de la maladie dans nos vergers. Ce psylle arrive dès mi-janvier et repart début juillet dans les forêts d’épicéa ou de sapin. Il se reproduit en une génération dans les vergers de pommier mais aussi sur aubépine où il est présent en masse. Il fait de potentiels aller et retour entre aubépine et vergers mais ce n’est pas encore prouvé. « De fait, les interactions sont ici plus complexes et nous ne savons pas encore quel rôle joue l’aubépine dans la contamination des pommiers », nuance Nicolas Sauvion. Cette espèce se trouve en plus grand nombre dans les pays d’Europe du Sud.

 

 

 

 

 

 

Cacopsylla picta, tout comme le précèdent, arrive fin janvier. Il se reproduit exclusivement dans les vergers de pommier avec une à deux générations par an. Les adultes émergent en mai-juin et s’envolent pour passer l’automne et l’hiver dans les forêts de conifères de moyenne altitude. En France, C. picta est plus rare alors qu’il est dominant en Europe du Nord. En photo, un jeune adulte qui vient d’émerger. Vert, il prendra une couleur rouge proche de C.melanoneura au cours de l’été.

 

 

 

 

 

Des symptômes accentués les années de fortes chaleurs

« Les balais de sorcières sont apparus dès 2006, quand on a arrêté la protection insecticide. Le taux d’arbres atteints a augmenté chaque année », explique Laurent Brun. En 2016 et 2017, un suivi des vols de C. melanoreura sur vergers et bosquets d’aubépine a été réalisé, entre fin janvier et début juin, par aspirateur, pour analyse PCR également. « En 2016, le 1er pic de vol est intervenu mi-mars, le second mi-mai sur pommier ; sur aubépine, les pics sont les mêmes, mais avec environ 7 jours d’avance. Et en 2017, le 1er pic a eu lieu le 16 mars sur pommiers et le 24 février sur aubépine. » Ainsi, pour Nicolas Sauvion, il est utile de cibler à la fois l’entrée potentielle des vecteurs fin janvier, pour les empêcher d’entrer dans la parcelle, mais aussi le 2e vol, qui peut transmettre la maladie.

En 2016, 1 600 psylles ont été capturés sur pommiers, et 10 fois plus sur aubépine, contre 200 et 2 200 respectivement en 2017. « Cela veut dire que les niveaux de population étaient très élevés en 2016 par rapport à 2017, où nous avons eu des vols plus atténués, que ce soit sur pommier ou aubépine. » La question de l’effet réservoir ou de l’effet l’année est donc clairement posée. Les chercheurs supposent en effet que l’expression des symptômes est accentuée après les années à fortes températures et la sécheresse.

Mais sur les deux années, les dynamiques de vol ont été assez proches, avec deux pics clairement identifiés. De même, le pic sur aubépine précède d’environ 10 jours celui sur pommier. « C. melanoreura semble faire son cycle dans les vergers et les aubépines. La question est de savoir sur les deux espèces végétales sont interdépendantes ? Pour l’heure, nous n’avons pas de réponse : on ne sait pas qui du pommier ou de l’aubépine est le réservoir essentiel du pathogène. Autrement dit, si nous avons une dissémination de verger à verger, ou au contraire de plantes sauvages à verger. Il faudrait aller plus loin dans les analyses génétiques pour voir si on retrouve les mêmes populations de psylles dans les vergers et les aubépines. »

Pour avancer sur cette question, une évaluation variétale sur 24 variétés commercialisées a été lancée sur des arbres en 1re pousse en 2009. « En 2017, tous les arbres ont été arrachés et passés en PCR. On observe bien une tendance pour certaines variétés, mais rien de statistiquement fiable. D’autant que les analyses ont aussi montré que des arbres asymptomatiques portaient la maladie. »

Des pistes de lutte explorées

Actuellement, plusieurs pistes de lutte sont évaluées : de la semio-chimie qui attirerait les insectes par des odeurs attractives émises par des plantes hôtes ; mais aussi des champignons entomo-pathogènes, « dont certains semblent avoir une efficacité sur l’Apple proliferation », explique Laurent Brun. La piste des filets est plus compliquée, car il faudrait les positionner très tôt en saison, dès janvier. Sans compter qu’il faut savoir où les positionner : sur pommier ou sur aubépines, « que l’on sait être des réservoirs mais qui ne présentent aucun symptôme ».

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